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Homélie pour le 29e dimanche "per annum" (C) : « Nous existons pour Dieu ! »

 À la source de tout raisonnement, il y a une interrogation primordiale : une question qui nous empêche de dormir. La question qui est offerte ce dimanche à notre méditation nous est posée par le psalmiste : « Je lève les yeux vers les montagnes, d’où le secours me viendra-t-il ? ». Ces montagnes, ce sont les difficultés qui nous entourent, et qui passent parfois pour des barrières infranchissables. En les regardant, en levant les yeux vers elles car elles semblent nous dépasser et excéder nos forces, notre cœur découragé se fait alors l’écho de cette plainte : « d’où le secours me viendra-t-il ? ».

Le psalmiste apporte immédiatement la réponse : « le secours me viendra du Seigneur qui a fait et ciel et la terre ». Évidemment, nous n’attendions rien d’autre ; toute réponse différente, dans la Bible, nous aurait semblé très incongrue. Cependant, dans la réalité de notre vie quotidienne, la réponse ne semble pas toujours aller de soi ; nous préférons parfois, en effet, nous tourner vers des causes inférieures. Les textes que nous venons d’entendre nous invitent à rectifier notre intention.

Dans la première lecture, tirée du livre de l’Exode, nous voyons les Hébreux lancés à travers le désert, en marche vers la Terre promise, entrer en conflit avec un autre peuple : les Amalécites. Pour les affronter, Josué, sur l’ordre de Moïse, « choisit des hommes », dit l’Écriture : c’est la logique de la prudence humaine ; Josué ne prend pas des hommes au hasard, mais en tant que chef de guerre, il les sélectionne soigneusement avant de se lancer dans la bataille. Toutefois, c’est à la prière de Moïse que les Hébreux prennent l’avantage et que leurs efforts : la science militaire de leurs chefs et l’ardeur de leurs soldats, touchent leur but ; c’est ce que résume la belle formule de sainte Jeanne d’Arc : « les hommes d’armes combattront, Dieu donnera la victoire ». Il est bien légitime, en effet, de faire tout ce que l’on peut – et il faut le faire – mais c’est à Dieu qu’appartient le sort de toute chose, qu’il réalise toutefois non seulement à travers nous, mais encore par nous, avec le concours de notre volonté. Dieu ne nous force jamais. Voyez quelle est la grandeur de l’homme, créé à l’image de Dieu, c’est-à-dire libre, capable d’être le principe de ses propres actions.

Et nous touchons là un point très important pour la vie spirituelle : la toute-puissance de Dieu s’harmonise parfaitement avec la grandeur de l’homme, alors qu’un des mensonges du diable et du monde est de faire croire que l’humanisme, c’est-à-dire l’exaltation de l’homme, ne peut se faire qu’au détriment de la religion, c’est-à-dire de la relation qu’il y a entre l’homme et Dieu, comme si la grandeur de l’un faisait de l’ombre à l’autre. Dieu, au contraire, cherche à nous relever et à nous élever.

Notre Dieu n’est pas un dieu qui dédaigne ni qui méprise, mais un Dieu qui répond : c’est ainsi que nous l’avons invoqué à l’ouverture de cette messe : « je t’appelle, toi, le Dieu qui répond ». Dieu s’intéresse à nous, il se fait connaître à nous, et répond lorsque nous l’invoquons, contrairement aux idoles, qui restent muettes, ces créatures faites de la main des hommes qui ont une bouche, mais ne parlent pas. Dieu, lui, a bel et bien une Parole, vivante et efficace, comme nous l’avons chanté au moment d’acclamer l’évangile par l’alléluia. Mais parce que cette Parole doit être entendue dans la foi, dans le silence de la grâce, elle s’accompagne d’un certain mystère, d’une certaine obscurité. Et c’est pourquoi nous sommes parfois tentés de tendre l’oreille à des discours plus faciles et plus confortables à entendre que la Parole du Seigneur.

L’idolâtrie a changé de visage depuis l’Antiquité, mais elle est toujours là. Les idoles, ce sont tout ce que nous érigeons en absolus auxquels nous nous vouons et pour lesquels nous sommes parfois prêts à tout sacrifier : amour de soi-même, de l’argent, de sa carrière, de la nation, des honneurs du monde, de la technique, etc. Amours déréglées que les papes de l’époque contemporaine, depuis Léon XIII, ont régulièrement dénoncées ; idoles faites par les hommes eux-mêmes pour s’y consacrer, mais qui ne manquent jamais de les dévorer. Un jour, une dame âgée m’a dit : « Oh ! Nous étions assez pratiquants avec mon mari, nous nous sommes mariés à l’Église, et puis lui était passionné de football, et comme les matchs étaient le dimanche matin… Et bien vous comprenez, nous avons arrêté d’aller à la messe… Il fallait faire un choix… » ; voyez-vous l’idole ? C’est le mensonge qui vous promet une grande joie : un sport enthousiasmant, des amis, etc., mais qui demande que vous lui sacrifiiez votre amour pour Dieu ; à la fin, l’idole finit toujours par vous trahir, parce qu’un jour vous ne pouvez plus faire de foot, mais vous étant détourné de Dieu, vous finissez par mourir dans votre péché. Seul Jésus-Christ a le pouvoir de nous sauver de la mort, les idoles ne sont capables que de nous la faire oublier, pour un temps seulement, juste assez pour nous décourager de revenir à Dieu.

Dans l’évangile, Jésus parle de ce juge qui n’était pas juste, car ne craignant ni Dieu ni les hommes, il méprisait les justiciables. Toutefois, semble-t-il, il n’avait de respect que pour lui, car sa propre tranquillité le poussa finalement à accéder à la demande d’une pauvre veuve qui l’importunait. Si un impie est capable de faire justice, alors combien plus le Dieu qui écoute ses fidèles le fera-t-il ? Le Christ raconte cette histoire pour exhorter ses disciples à la confiance, la confiance dans le fait qu’il a un cœur attentif aux soupirs des leurs ; mais que ce cœur est toutefois troublé par une angoisse, que le Seigneur exprime par une nouvelle question : « quand le Fils de l’homme viendra – demande Jésus – trouvera-t-il la foi sur la terre ? ». Cette angoisse, qui culmina au jardin des oliviers, la veille de la Passion du Sauveur, et qui lui fit suer du sang, nous est exprimée pour nous pousser à avoir confiance en lui.

La foi est une épreuve, mais une épreuve salvifique, comme l’explique saint Paul à Timothée : « les saintes Écritures ont le pouvoir de communiquer la sagesse en vue du salut par la foi en Jésus-Christ ». Avoir la foi, ce n’est pas seulement croire que Dieu existe, mais encore croire que nous, nous existons pour Dieu, que nous comptons pour lui, qu’il y a une place pour nous dans son Cœur sacré, qui a tant aimé le monde, au point de se laisser ouvrir par un coup de lance, afin que nous y puissions entrer. En ce dimanche, alors que nous avons célébré la mémoire de sainte Marguerite-Marie Alacoque la semaine passée, et que bon nombre des fidèles de notre paroisse sont en pèlerinage à Paray-le-Monial, les lectures nous invitent à revenir à Dieu de tout notre cœur : il n’est jamais trop tard. Ne nous laissons pas décourager par les mensonges de ce monde, mais aimons Dieu d’un cœur sans partage, dans l’obscurité de la foi et l’espérance de la vie éternelle.

Amen.