Les textes que nous offre ce dimanche la sainte liturgie mettent l’accent sur l’humilité, ce qui n’est pas sans représenter un défi pour le prédicateur chargé de nourrir la méditation des fidèles à ce sujet. Pour parler d’une chose, il faut, en effet, commencer par la connaître ; or, on ne peut prétendre connaître l’humilité sans mentir. Celui qui le revendiquerait, qui se réclamerait d’une certaine excellence dans cette vertu en disant « ah, moi, je suis vraiment humble ! » se dédierait du même fait.
Le Sage, d’ailleurs, manifeste ce paradoxe, lorsqu’il associe deux recommandations à son disciple : « mon fils – dit-il – accomplis toute chose dans l’humilité, l’idéal du sage c’est une oreille qui écoute » ; la pratique de la parole semble bien périlleuse pour l’humilité. « Qui est sensé médite », ajoute le Sage, sur le modèle de Marie, dont les paroles, dans l’évangile, sont rares, tandis qu’elle méditait et gardait dans son cœur le mystère qui se déployait autour d’elle et par elle.
L’auteur de la lettre aux Hébreux parle de la Révélation donnée aux juifs par le feu et l’ouragan ; il fait référence au don de la loi et à la fondation de l’Ancienne alliance sur le mont Sinaï et à cette voix qui, du haut de l’Horeb, se fit entendre au milieu des trompettes célestes et prononça ces premiers mots, comme préambule et prérequis à tout ce qui suivit : « écoute, Israël ». « Écoute, tend l’oreille ». L’écoute attentive de la Parole de Dieu se manifeste comme étant un élément constitutif de toute relation authentique avec lui : « parle Seigneur – disait Samuel le prophète – ton serviteur écoute ».
« Écoute, mon fils, les préceptes du maître et prête l’oreille de ton cœur » : ce sont encore les premiers mots de la règle de saint Benoît, qui fait de l’humilité l’un des principaux moyens de perfection de la vie chrétienne. Quelle étrange vertu que celle de l’humilité, si délicate qu’on la flétrit dès lors qu’on se croit la pouvoir toucher mais qui germe en nous précisément lorsque l’on est sincèrement convaincu qu’elle nous échappe.
Dans ce jeu du chat et de la souris, essayons de la piéger pour la contempler ! Nous savons que Jésus la possède, cela se manifeste dans l’évangile, alors cherchons-la là où Jésus se rend présent, cherchons-la sur l’autel, dans le Saint-Sacrifice de la messe. Et bien, elle est vraiment trop maline pour nous ! La voilà nous échappe encore ! Si nous lisons attentivement les textes de l’ordinaire de la messe, nous ne l’y trouvons mentionnée… que deux fois ! La première fois par le prêtre seul à voix basse lorsque, à l’offertoire, après avoir présenté à Dieu, les oblats, il s’incline profondément et dit : « le cœur humble et contrit, nous te supplions Seigneur, accueille-nous, que notre sacrifice en ce jour trouve grâce devant toi ». La seconde fois dans la deuxième prière eucharistique seulement, juste après la consécration, pour demander à Dieu la grâce d’être agrégé au corps mystique du Christ par la communion à son corps eucharistique. La liturgie nous fait revendiquer l’humilité pour nous à voix basse seulement, mais à haute voix s’il s’agit de nous effacer dans l’Église. Voyez comment la liturgie nous éduque à la sainteté et, par conséquent, quel respect il faut avoir pour elle et pour ses exigences.
Et en y regardant mieux, l’humilité transparaît d’une autre façon dans la liturgie. Elle est peu mentionnée, mais elle se manifeste beaucoup plus par des actes : lorsqu’on se frappe la poitrine en confessant que l’on a péché, lorsqu’on s’incline en invoquant l’incarnation du Seigneur ou que l’on se met à genoux devant sa présence réelle, ou encore le seul fait d’associer notre chant à celui des autres en tâchant de ne pas trop détonner – et ce n’est pas toujours facile ! – nous posons des actes d’humilité. Et il n’est pas étonnant, en réalité, avec ce que nous avons dit, que l’humilité transparaisse par les actes plus que par les paroles.
C’est d’actes que Jésus parle dans l’évangile : l’acte de vouloir la dernière place, de la rechercher, mais aussi de se laisser faire simplement lorsqu’on nous invite à prendre une place supérieure : Jésus n’encourage pas à refuser les honneurs s’ils sont mérités, mais condamne leur recherche.
Tandis que nous cherchons à cerner avec délicatesse ce qu’est l’humilité, il s’avère qu’elle se montre dans les actes, bien plus que dans les paroles. Si nous devons ne pas hésiter à proclamer notre foi en Dieu, il faut, en revanche, être beaucoup plus silencieux sur nos vertus personnelles – réelles… ou supposées ! – au risque de les perdre et ne laisser aucun doute à ceux qui nous entourent à ce sujet ; en particulier en ce qui concerne l’humilité.
Dans la seconde partie de l’évangile que nous avons lu, Jésus nous exhorte à n’avoir pour seul motif de nos actes que la foi en « la résurrection des justes » : ce que nous faisons, nous le faisons pour Dieu, afin de lui plaire, sur le modèle de ce que lui a fait pour nous tous, et non sur le modèle de nos frères et sœurs qui, comme nous, sont bien imparfaits. Ne contemplons rien d’autre que Jésus mourant pour nous sur la croix, ne cherchons la complaisance que de son seul cœur ouvert.
Amen.
