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Homélie pour le 17e dimanche “per annum” (C) : « Si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble »

 Tant l’évangile que nous venons d’entendre que la première lecture nous parlent de la puissance de la prière. Jésus, comme toujours, ne se contente pas de répondre strictement aux questions qui lui sont posées ou aux demandes qui lui sont faites : il va encore au-delà, et invite ses interlocuteurs, comme nous-mêmes, à une certaine hauteur de vue.

Voilà qu’on lui demande comment il faut prier ; « apprends-nous à prier comme Jean le Baptiste l’a fait pour ses disciples ». On imagine, en effet, quel était le transport des disciples du Précurseur, alors qu’il les entretenait de la vie spirituelle, sur les bords du Jourdain. Nous imaginons les pieux colloques qui devaient être les leurs, les longues soirées autour du feu. Et c’est cela que les disciples du Baptiste voulaient retrouver avec Jésus, l’Agneau de Dieu, que Jean leur avait commandé de suivre.

Touché par cette piété, Jésus enseigne à ceux qui le sollicitent la prière que nous connaissons tous désormais : le « Notre-Père ». Mais il ne se contente pas de leur transmettre des mots pour prier, il leur transmet aussi l’esprit avec lequel il faut prier, et c’est le sens de la parabole que Jésus ajoute.

Il faut toujours, en effet, se garder de deux extrêmes quant à la façon dont nous comprenons la prière. Le premier est de considérer que Dieu sait bien ce qu’il nous faut, et qu’il n’y a donc pas besoin de le lui demander ; étant très bon, il nous donnera tout ce dont nous avons besoin quoiqu’il arrive. Et cela nous conduit à penser que la prière est inutile, et nous enferme dans une sorte d’attentisme spirituel, et finalement au délitement de la foi.

L’autre extrême consiste à considérer que Dieu nous exauce toujours exactement, pourvu que nous demandions avec conviction, et donc que nos paroles ont une sorte d’efficacité propre, comme si elles s’imposaient à Dieu. Le fait d’être exaucé ne dépend donc plus tellement, selon cette conception, de la bonté de Dieu, ni de sa toute-puissance, mais de la justesse de nos paroles et de notre propre génie ; et cela nous conduit à la superstition.

Avec la parabole presque comique que Jésus livre à ceux qui l’écoutent, il donne à comprendre que la juste conception de l’efficacité de la prière se situe au-delà de cette dichotomie. Il y a, en effet, deux leçons à tirer de la parabole de l’ami importun. La première est que notre prière est toujours entendue, et elle obtient toujours une réponse. Elle n’est donc jamais inutile : « demandez, et on vous donnera ». Mais la seconde chose à comprendre, et qu’il faut aussi tenir, est que la réponse n’est pas toujours celle qu’on attend. Dieu ne nous donne pas toujours ce que nous demandons, tout comme le père de famille réveillé au milieu de la nuit par son ami ne l’exauce pas tellement par amitié mais plutôt pour avoir la paix.

« Nous avons reçu un esprit qui nous fait crier vers Dieu : “Abba”, Père, notre Père ». Un père ne méprise jamais la prière de ses enfants, mais il ne l’exauce pas toujours à la lettre ; non parce qu’il le néglige, mais au contraire par attention : il sait mieux que lui ce qu’il lui faut. Avoir la foi, ce n’est pas seulement croire que Dieu existe, mais encore croire que nous existons pour Dieu. « Si haut que soit le Seigneur – chante le psalmiste – il voit le plus humble ». Nous existons pour Dieu, il fait attention à nous en nous donnant ce dont nous avons besoin.

La prière n’est jamais vaine, mais elle n’est pas une formule magique destinée à nous procurer les biens du monde dont nous voulons jouir. Elle est avant tout le moyen par lequel nous sommes en relation avec Dieu. Elle est ce souffle qui nous unit à lui et fait battre nos cœurs à l’unisson, cette voix par laquelle nous nous confions à lui.

Il n’est pas pour autant trivial de demander, dans la prière, les biens de ce monde. Quand le Christ lui-même nous apprend à demander le pain dont nous avons besoin, il s’agit bien sûr du pain eucharistique, vrai corps, vrai sang, vraie âme et vraie essence divine de Jésus, il s’agit du pain de la vie spirituelle, car nous nous nourrissons aussi de la méditation de la parole de Dieu, mais il s’agit encore véritablement du pain dont nous nourrissons notre corps et, par synecdoque, de tous les biens temporels qu’il nous faut. Ce qui rendrait cette demande triviale, se serait de voir les biens du monde comme une fin désirable en elle-même. Ce qui rend cette demande légitime, au contraire, c’est de voir les biens du monde que nous demandons comme des moyens pour obtenir les biens spirituels.

C’est encore pour cela, par exemple, qu’il est bon de bénir la table avant de s’y asseoir. Que signifie cette prière ? Le repas n’est pas que la réponse à une simple nécessité biologique, sans quoi nous mangerions comme des animaux. S’il y a tout un rituel de la table, en particulier chez nous français, c’est parce que c’est aussi un exercice social. Et c’est encore un exercice spirituel, un exercice à la pratique de la charité, et c’est pourquoi le « benedicite » ne devrait jamais être omis.

La prière est bonne si elle est adressée à Dieu avec confiance. Confiance dans le fait qu’il nous entend, et qu’il veille sur nous. La prière efficace n’est pas celle qui nous procure ce que nous avons demandé comme on ferait une liste pour le Père-Noël, c’est celle qui attache notre cœur à Dieu et nous le fait appeler sans cesse « “Abba”, Père ».

Amen.


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