Dans le passage de l’évangile que nous venons d’entendre, il y a une des plus belles paroles que Jésus nous a laissées : « Père saint, je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi ». Or, ceux qui étaient là quand Jésus tint ce discours, c’était ses disciples, et même les plus proches de ses disciples : ceux qu’on appelle les apôtres. Jésus a prié pour eux, mais pas seulement pour eux : il a encore prié pour ceux qui croiraient en lui grâce à leur parole. La parole des apôtres, c’est la prédication de l’évangile, prédication qui s’est répandue dans Jérusalem et les régions alentour et, à partir de la Pentecôte, que nous célèbrerons la semaine prochaine, dans le monde entier.
Cette parole n’était pas une simple parole humaine, relatant un évènement passé : elle possédait une efficacité procédant de la prière de Jésus lui-même. C’est pourquoi la parole des apôtres a pu susciter des conversions, qui permirent de faire de nouveaux disciples – comme Étienne, dont nous avons entendu le récit du martyre – disciples qui, eux-mêmes, propagèrent l’évangile à travers le monde entier mais aussi à travers les différentes époques, jusqu’à nous ; nous qui, aussi, avons cru en Jésus à cause de ce qui nous a été un jour annoncé. Nous sommes nous-mêmes, tous ici, ceux dont parle Jésus dans l’évangile que nous venons d’entendre, nous sommes ceux pour qui Jésus dit qu’il a prié. Jésus a prié pour nous.
Et il est très important de nous souvenir régulièrement de ce point alors que nous pouvons parfois, dans notre vie spirituelle, être en proie au découragement. Jésus ne nous a pas laissé une liste de commandements comme une liste des courses à faire : il nous laisse une parole vivifiée par sa prière, il nous donne la grâce dont nous avons besoin pour mettre en acte cette parole. C’est pourquoi il faut cultiver, dans notre vie spirituelle, l’abandon à la volonté de Dieu.
C’est cet abandon que nous désirons lorsque nous disons, dans la prière que Jésus nous a apprise, le « Notre Père » : « que ta volonté soit faite », c’est-à-dire « fais-là, toi, ta volonté, mais aide-nous aussi à la faire, nous ».
Au début de notre vie spirituelle, « que ta volonté soit faite », cela signifie généralement « Seigneur, fais que j’évite de t’offenser, garde-moi du péché, garde-moi de la tentation elle-même » et aussi, ajoutons-nous souvent : « ne m’éprouve pas trop, ne me demande rien de trop difficile ». Avec le temps et la progression dans la vie spirituelle et la croissance de notre intimité avec Dieu, soutenus par l’espérance, vertu attachée à la méditation du mystère de l’Ascension, qui tourne nos regards vers le ciel et nous fait attendre du ciel ce dont nous avons besoin, cette soumission à la volonté de Dieu se parfait ; entrant petit à petit dans le mystère de la rédemption, dans le mystère du Christ et de sa Passion qui nous sauve, nous comprenons un peu plus que c’est par la croix que nous sommes sauvés, et que les croix que nous avons à porter dans notre vie sont aussi des occasions d’expier nos péchés pour notre salut.
Puis avec la croissance spirituelle et l’augmentation de la charité vient une nouvelle étape : celle où nous comprenons que les croix que nous avons à porter nous font d’une façon spéciale ressembler à Jésus ; et que les épreuves vécues ainsi en deviennent presque désirables : non en elles-mêmes mais parce qu’elles nous permettent de nous unir plus intimement encore au Christ, comme des amis ou des frères, liés de façon indéfectible par une histoire commune. C’est l’exemple admirable que nous donne Étienne en ce jour : la patience parfaite qui permet de tout supporter pour rendre gloire à Dieu. Et c’est là l’abandon parfait, c’est là l’exemple de tous les saints.
L’abandon à la volonté de Dieu, ce n’est pas seulement respecter les commandements qu’il nous a laissés, même si c’est un prérequis nécessaire. C’est encore voir toute ressemblance avec Jésus comme une grâce désirable, même dans les humiliations, les persécutions, la souffrance et même la mort. Il y a des choses injustes dans ce que nous avons à vivre. Oui, c’est vrai. Et Jésus aussi a supporté l’injustice. Et le Seigneur appuie son trône sur la justice et le droit, comme le chante le psalmiste ; il donne à chacun selon ce qu’il a fait, comme le relate saint Jean dans l’Apocalypse. Il viendra un temps, en effet, où le mal sera châtié et le bien exalté. Mais ce qu’il nous appartient ici-bas n’est pas de mettre fin à toute injustice – c’est impossible : non seulement parce que tous les maux du monde ne viennent pas de la seule volonté humaine, mais encore de notre nature blessée par le péché – ce qui nous appartient en cette vie, c’est de vivre justement, en ce qui nous concerne. Or, ce que nous avons à faire, c’est parfaire par nos actes notre ressemblance avec le Christ, que nous avons commencée par la réception du baptême et que nous continuons par tous les choix de notre vie.
C’est de cela que parle Jésus quand il évoque avec saint Jean ceux qui lavent leurs vêtements. Il s’agit, spirituellement, de la blancheur de notre baptême, que nous faisons resplendir à chaque fois que nous faisons le bien, et que nous lavons dans le sang de la Passion de Jésus chaque fois que nous confions à sa miséricorde, dans le sacrement de Pénitence, ce que nous avons fait de mal. Pour le reste, pour ce qu’il ne nous appartient pas de choisir, il faut être abandonné à la volonté de Dieu.
L’abandon à la volonté de Dieu, ce n’est pas une indifférence selon laquelle il n’y aurait ni bien ni mal. Ce n’est pas une insensibilité selon laquelle rien ne nous toucherait. Ce n’est pas non plus une indolence qui viendrait de la pensée selon laquelle rien ne serait en notre pouvoir, selon laquelle nous serions absolument impuissants en toute chose.
L’abandon, c’est conformer notre propre volonté à celle de Dieu, en voulant sa gloire et notre salut et en acceptant, pour cela, de parcourir les chemins parfois raboteux sur lesquels nous conduit la recherche de la contemplation de sa face, comme nous y invite l’antienne d’ouverture de cette messe, confiant avant tout dans la parole de Jésus, selon laquelle il a prié pour que nous restions unis à lui et unis les uns aux autres par lui.
Amen.