Le passage de l’évangile dont nous venons de faire la lecture nous plonge à nouveau en pleine Semaine Sainte, avec le récit de la dernière Cène de Jésus. Le texte a toutefois une actualité particulière à cette époque de l’année liturgique. Jésus, en effet, prépare ses disciples à son départ : « c’est pour peu de temps encore – dit-il – que je suis avec vous » ; il parle ici de sa mort sur la croix le lendemain. Mais bien qu’il nous renvoie à un évènement passé, le récit évangélique résonne d’une façon particulière à nos oreilles ce dimanche, alors que, dans dix jours, nous célèbrerons un nouveau départ de Jésus, mais pour le ciel, cette fois, avec la solennité de l’Ascension du Seigneur.
Cette fête a toujours une saveur douce-amère. Amère, car elle marque une nouvelle séparation à la présence sensible de Jésus parmi les hommes, après le premier arrachement qui eut lieu dans le Jardin des oliviers et au Calvaire. Nous voudrions que Jésus nous ait été rendu une fois pour toutes le matin de Pâques et qu’il soit demeuré avec nous jusqu’à ce jour. Il fallait toutefois que Jésus s’en retourne vers le Père, son départ nous laisse cependant une certaine amertume, que vient tempérer et adoucir l’espérance chrétienne, c’est-à-dire l’attente de son retour dans la gloire, retour qu’il a promis et que nous appelons de nos vœux à chaque messe, après la consécration, lorsque nous acclamons la présence de Jésus sur l’autel, bien réelle, mais encore cachée sous les espèces eucharistiques. Espérer, c’est aussi pour nous attendre avec confiance le jour où nous serons invités à prendre à ses côtés la place que Jésus nous réserve dans son royaume. Espérer, c’est encore attendre de Dieu les moyens dont nous avons besoin pour parvenir à cette fin. Le Christ ne se contente pas de nous montrer le chemin de la foi, mais nous apporte encore le secours concret dont nous avons besoin pour le parcourir. Ce secours, c’est la grâce ; et la grâce, c’est l’effet des sacrements.
Les sacrements, en effet, perpétuent la présence du Christ parmi nous, de façon mystérieuse toutefois : réelle mais cachée sous des signes ; des signes qui, parce qu’ils sont sensibles, correspondent à notre façon de connaître les choses, puisque nous appréhendons la réalité à travers les sens : le toucher, la vue, etc. Mais ces signes particuliers que sont les signes sacramentels : l’eau versée au baptême, l’onction de la confirmation, le pain et le vin consacrés sur l’autel, etc., par la puissance de Dieu, réalisent ce qu’ils signifient et causent la grâce : la purification du péché originel, la fortification et la pénétration de la foi, la présence réelle de Jésus, etc.
Lors de la dernière Cène, après avoir justement institué le signe de l’eucharistie, Jésus laissa à ses disciples un commandement nouveau : celui de s’aimer les uns-les-autres comme lui nous a aimé. Lors de son Ascension, il laissa à ses apôtres un autre commandement : celui d’aller vers tous les peuples de la terre et de les baptiser.
Avec le mystère conjoint de l’Ascension et de la Pentecôte s’achève le temps de la présence sensible de Jésus parmi nous et s’ouvre le temps de l’Église et de son œuvre : la réalisation de la sanctification des hommes et du mystère de la présence de Jésus en nos âmes. Nous pourrions penser que c’est là un mode de présence quelque peu éthéré ; mais c’est plutôt une présence qui est d’autant plus réelle pour nous qu’elle est plus intérieure, et qu’elle se confond avec notre être-même, jusqu’à l’intime.
C’est à la spiritualité de ce temps que la messe de ce dimanche nous prépare déjà afin de vivre avec fruit la fête de l’Ascension qui approche. Voila pourquoi, dans la prière d’ouverture de cette messe, nous avons demandé à Dieu qu’il continue d’accomplir en nous le mystère pascal : mystère de son amour absolu, de son amour jusqu’au bout, jusque dans la mort.
La nuit-même où il fut livré, Jésus laissa à ses apôtres à la fois le sacrement de son corps et de son sang, mais aussi le commandement de l’amour. L’amour de Dieu pour nous est à la fois le modèle et le motif de l’amour que nous devons avoir pour nos frères et sœurs, et cet amour est indissociable de la pratique des sacrements. Or, si la vie sacramentelle est ordonnée à l’eucharistie, le plus noble de tous les sacrements, elle est néanmoins fondée sur notre baptême.
Par le baptême, notre âme a été marquée d’un sceau, d’un caractère que rien de peut effacer. Le baptême n’est pas simplement un évènement passé, dont on se souvient parfois à peine et même pas du tout, surtout si nous avons été baptisés enfant. Le baptême, parce qu’il marque notre âme pour l’éternité, marque tous les aspects de notre être : c’est un évènement qui est toujours présent, à chaque instant de notre vie de chrétiens. La grâce d’être enfant de Dieu est une richesse dans laquelle il faut sans cesse puiser, sans craindre de l’épuiser.
Oui Seigneur, soutiens et protège ceux que tu as voulu renouveler par le baptême. Nous parlons ici des récents baptisés de Pâques, mais aussi de tous les autres baptisés, parfois de longue date ! Par le baptême, nous avons, comme les hébreux, été plongés dans les eaux de la mer rouge pour passer de l’amour du monde à l’amour de Dieu. Par le baptême, nous sommes, comme le Christ, morts à ce monde pour être associés à sa résurrection. Nous avons été marqués du sceau de l’amour de Dieu et avons reçu les promesses de la vie éternelle, la promesse de marcher sur la terre nouvelle dont parle saint Jean dans l’Apocalypse : la terre où il n’y aura plus ni deuil, ni cri ni douleur.
C’est vers cette terre que sont en route les baptisés, soutenus dans les efforts sur le chemin, comme en pèlerinage sur cette terre, par le pain eucharistique. Car, au témoignage de Paul et Barnabé, dans le livre des Actes des apôtres, que nous lisons ce dimanche, « il faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu ». Mais notre espérance de chrétiens, c’est qu’il viendra un jour où Dieu essuiera toute larme de nos yeux.
Déjà en cette vie, Dieu nous soutien et nous protège, et il le fait par les sacrements : signes qu’il a lui-même institués pour donner par eux sa grâce. C’est pourquoi les baptisés doivent avoir la plus grande attention pour leur vie sacramentelle ; non la vivre avec scrupule comme une pratique purement extérieure, mais plutôt en méditant constamment le trésor de grâce qu’est le fait d’être chrétien, et la façon dont nous devons répondre à l’amour inconditionnel et gratuit de Dieu pour nous.
Amen.