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Homélie pour le 2e dimanche de Pâques (C)

 Les lectures offertes par la sainte liturgie ce dimanche nous invitent à méditer sur la place des signes dans notre vie spirituelle. Dans la première lecture, en effet, tirée du livre des Actes des Apôtres, nous voyons les disciples du Seigneur passer de l’évangile à l’évangélisation, de l’écoute de la Bonne nouvelle à sa propagation sur toute la Terre. Et ils entreprennent cette propagation au moyen de signes miraculeux, faits en abondance, qui viennent attester du caractère surnaturel de leur mission et, par conséquent, de la vérité du message qu’ils portent. Dans l’évangile, en revanche, il semble y avoir comme un contrepoint à cette démarche : la seule parole des apôtres semble inefficace pour vaincre l’incrédulité de l’un d’entr’eux : Thomas ; voilà que Jésus lui-même apparaît alors au milieu de ses disciples choisis pour se manifester sensiblement à celui qui ne croyait pas encore en sa résurrection : il se laisse voir, entendre et même toucher, cette fois. Mais il en blâme Thomas.

« Cesse d’être incrédule – lui dit Jésus – désormais sois croyant ». Jésus reproche, en effet, à Thomas son manque de foi : la foi consiste justement à adhérer à une vérité qu’on ne voit pas, mais qu’on a pourtant des raisons de croire. Et une des très nombreuses raisons qu’il y a de croire, ce sont les signes sensibles, voir miraculeux. Mais la finalité de ces signes, c’est la foi : ce que l’on voit doit nous conduire à croire, c’est-à-dire à reconnaître la vérité de l’évangile quand bien même on ne verrait plus rien, de la même façon que les échafaudages du chantier d’une maison servent à monter des murs qui, ensuite, tiennent par eux-mêmes et maintiennent toute la maison, alors même qu’on démonte les échafaudages qui ont permis de les édifier.

C’est pourquoi l’abondance de miracles opérés par les mains des apôtres afin d’annoncer l’évangile aux multitudes est une chose louable ; il faut louer Dieu de se manifester ainsi par ses disciples. Alors que l’incrédulité de Thomas, qui était un des plus proches disciples de Jésus, qui l’avait déjà vu lui-même accomplir de nombreux miracles, elle, n’est pas louable. Mais si notre miséricordieux Sauveur lui en fait le reproche, comme toujours, ce n’est pas pour le condamner mais pour que, le péché étant manifesté, le pécheur se convertisse, et c’est justement ce qu’il se produit.

La foi est un mystère, c’est dans le mystère qu’il faut chercher Dieu. Il n’y a pas d’évidence dans la foi : celui qui veut ne pas croire trouvera toujours des raisons de demeurer incrédule. Dans un célèbre journal, nous pouvions lire pas plus tard que ce vendredi un article sur un miracle eucharistique en cours d’étude ; le journaliste citait les propos d’un scientifique, qui déclarait que « la qualification de miracle vient du milieu religieux. La science ne connaît pas les miracles. Le terme qui existe en science, c’est “je ne sais pas” ». Les signes nous guident mais ne nous forcent jamais. Dieu se cache car il veut que nous fassions toujours un pas volontaire vers lui.

 Jésus, dans l’évangile, pénètre dans la maison où se tenaient les apôtres alors que « toutes les portes étaient verrouillées » dit le texte. Ce n’est pas que Jésus avait caché une clef sous un pot de fleurs, ni qu’il était passé par la fenêtre : c’est plutôt que rien dans le monde ne peut arrêter la bonne nouvelle de sa résurrection. Rien, sauf notre propre obstination : Jésus entre, il se montre, mais il ne force pas à croire ; au contraire : il préserve la liberté de ses disciples, afin que chacun puisse le rejoindre, à son rythme : « viens, Thomas, avance ta main ». Les signes donnés sont une aide, un secours pour notre faiblesse, mais ils ne sont pas une fin. La fin, c’est la vision de Dieu dans la lumière de la gloire du ciel.

Voilà pourquoi saint Jean ajoute, à la fin de l’évangile, qu’« il y a beaucoup d’autres signes que Jésus a faits et qui ne sont pas écrits, mais qu’a été écrit ce qu’il faut pour que nous croyions que Jésus est le Christ et que nous ayons la vie en son nom ». Nous n’avons pas besoin de tout voir : nous avons besoin de voir juste ce qu’il nous faut. Et pour certains, les expériences sensibles sont peu nécessaires au soutien de la foi ; merci Seigneur de leur donner une foi si forte. Et pour d’autres, il y a un plus grand besoin en cette matière ; merci Seigneur de venir les combler. Et garde-nous tous de la présomption et de l’orgueil. Pour la plupart d’entre nous, en réalité, il y a une progression au sujet de la place de la sensibilité dans le cours de notre vise spirituelle.

Dans la jeunesse, en effet – et la jeunesse spirituelle peut se maintenir parfois à un âge avancé du corps ! – nous avons besoin d’être soutenus sensiblement. C’est pourquoi nous sommes généralement à la recherche de signes sensibles : on veut voir des petits miracles partout ; de même, nous recherchons des manifestations très sensibles de notre spiritualité : on veut avoir une très grosse croix de cendres sur le front pour le carême, on fait un coin prière qui prend la moitié du salon, etc.

Et avec le temps, l’Esprit saint vient purifier notre démarche, si bien que conserver la même quête dans les signes constituerait une régression dans la vie spirituelle. Il n’y a pas de l’absolument bon ou mauvais en ces choses, mais du bon et du mauvais relativement à l’état de notre vie spirituelle. Saint Jean, pour croire, n’eut besoin de voir que le tombeau vide ; saint Pierre dut y entrer et voir les linges qui avaient enveloppé le corps du Seigneur mort pliés ; saint Thomas eut besoin d’aller jusqu’à toucher le corps du Ressuscité ; quant à Marie, si l’évangile ne dit pas un mot à ce sujet, alors même qu’elle se tenait parmi les apôtres, c’est sans doute parce qu’elle conserva une foi intacte et n’eut besoin d’aucun secours sensible pour croire à la résurrection de son fils et de son Dieu.

« Heureux ceux qui croient sans voir », dit Jésus. Le passage d’un âge à l’autre dans notre vie spirituelle s’accompagne toujours de purifications, à commencer par celle des sens. La foi n’en devient pas plus abstraite : elle en devient au contraire plus réelle, plus ancrée dans la réalité de son objet, c’est-à-dire de Dieu, à mesure que nous entrons dans le mystère à travers les purifications et les sècheresses ; Dieu parle avant tout à nos esprits : à nos intelligences et nos volontés, qui doivent être avides de sa Parole, comme des enfants nouveau-nés le sont de lait. Et c’est cette Parole qui vient nous soutenir dans l’épreuve du doute, à la place qu’occupait le réconfort de notre sensibilité auparavant.

Rendons grâce à Dieu de nous donner des miracles. Merci Jésus pour le 72e miracle officiellement reconnu que tu viens de nous donner par l’intercession de ta sainte Mère à Lourdes. Merci pour les miracles eucharistiques. Merci de soutenir la faiblesse de notre esprit par des effusions et des consolations sensibles, et de nous réinviter sans cesse à croire. Mais ne permet pas que nous nous appesantissions sur le chemin, et trouvions sur la route des délectations que nous préfèrerions à notre but, qui est de te connaître, de t’aimer et de te rejoindre pour n’être jamais séparé de toi. Ranime notre foi et purifie notre intention, afin de nous faire comprendre que tu n’as pas versé ton sang sur la terre pour nous faire jouir de ce monde, mais pour nous ouvrir les portes de l’éternité.

Amen.