« Réjouissez-vous, rassemblez-vous et jubilez, vous qui étiez dans la tristesse ; vous exulterez et serez rassasiés de consolations ». L’antienne d’ouverture de cette messe nous invite à l’enthousiasme ! La liturgie, en ce quatrième dimanche de carême, nous fait déposer pour un temps la couleur violette et prendre le rose afin de raviver notre joie. C’est, en effet, sous le signe de la joie qu’est placé ce dimanche, dimanche de « lætare », du nom du premier mot latin de l’antienne d’ouverture : « lætare Ierusalem – réjouis-toi, Jérusalem » ; c’est donc sur la nature de cette joie qu’il convient de méditer ce dimanche. Qu’est-ce qui me réjouis ? Qu’est-ce qui me rend heureux ? Qu’est-ce qui me transporte d’enthousiasme ?
Le première lecture, tirée du livre de Josué, permet de donner un premier élément de réponse. Nous voyons les hébreux, qui viennent de franchir le Jourdain et entrer dans la Terre promise, célébrer la Pâque. La Pâque, c’est le passage. La fête de la Pâque juive, c’est la commémoration du passage de la Mer rouge à travers les abysses, qui permit aux hébreux de sortir d’Égypte et, mystiquement, de quitter la terre du péché pour marcher vers la Terre sainte ; symbolisme réitéré au moment de traverser le Jourdain. Le passage n’est pas la fin : c’est le moyen ; et c’est la réalité de ce moyen qui est célébré par les hébreux. La joie propre de la Pâque, c’est de marcher vers le salut, c’est la joie de la route.
Celui qui marche vers son salut n’est pas encore sauvé, mais parce qu’il est en chemin, et qu’il a en vue son but, il le possède déjà un peu d’une certaine façon : il a son but à l’esprit, dans son intention, et il a en sa possession des moyens qui sont ordonnés à ce but. Et ça, c’est déjà un motif de joie, la joie d’avoir la certitude d’être sur la bonne route. C’est un peu comme quand on cherche son chemin, en voiture ou en randonnée, et que, tout à coup, on voit un panneau qui indique précisément le lieu que l’on cherche à rejoindre. Certes, la route n’est pas achevée, et elle peut encore être longue, mais ayant la certitude d’être dans la bonne voie, nous possédons déjà en quelque sorte quelque chose de notre destination : le moyen d’y parvenir, et ça, c’est une cause de joie.
Or, ce que nous cherchons tous, chrétiens, c’est à être sauvés. La foi nous donne l’assurance que la mort n’est pas une fin indépassable, que la vie n’est pas absurde. La vie présente et la mort sont un passage : un passage qui nous permet de revenir vers le Père, de qui le péché nous a séparé. Et ce passage est rendu possible par le passage du Christ lui-même dans notre vie et dans notre mort, afin qu’en le suivant dans le mystère de sa propre vie et de sa propre mort, nous ayons part à son salut. C’est le mystère de Pâques : le mystère du passage de Jésus.
La joie chrétienne, c’est donc la joie d’être en chemin pour revenir vers le Père. C’est la joie d’être, dans le Christ, une créature nouvelle, comme le dit saint Paul aux Corinthiens, c’est-à-dire une créature purifiée du péché, comme les hébreux furent lavés spirituellement dans les eaux de la Mer rouge et du Jourdain. « Dieu a réconcilié le monde avec lui dans le Christ », continue saint Paul. Et il ajoute : « il nous a donné le mystère de la réconciliation ». Saint Paul insiste : « Dieu a déposé en nous – c’est-à-dire dans l’Église – les paroles de la réconciliation ».
Quelles sont ses paroles ? Quels sont ces mots qui nous réconcilient avec Dieu en nous associant à la vie et à la mort de Jésus ? Quelles sont ces paroles qui nous font, avec le Christ ressuscité, mourir au péché et vivre pour Dieu ?
Ce sont, en premier lieu, les mots de l’évangile, bien entendu : la prédication de la foi, mots que nous allons tous ensemble dire dans un instant en proclamant ce que nous croyons. Mais ce sont encore les paroles sacramentelles, c’est-à-dire les mots que Jésus lui-même nous a donné pour faire naître, croître ou restaurer en nous la grâce. Ce sont les paroles du baptême, qui, comme les hébreux et avec le Christ nous plongent dans l’eau et nous lavent de toute faute. Mais ce sont aussi les paroles de la Réconciliation, et c’est surtout au sujet de celles-ci que nous devons songer ce dimanche.
« Nous le demandons au nom du Christ, lance saint Paul : laissez-vous réconcilier avec Dieu ! ». Dieu veut que nous soyons sauvés : c’est « pour notre salut que Jésus s’est fait homme », disons-nous dans la profession de foi. Il nous donne les moyens d’être sauvés, mais il veut que nous saisissions librement, car il n’y a pas d’amour réel sans liberté. C’est pourquoi l’homme dont parle Jésus dans l’évangile ce dimanche laissa partir son fils. Non parce qu’il avait la certitude qu’il reviendrait – il n’en avait pas la certitude mais l’espoir – mais parce qu’il ne l’aurait pas sincèrement aimé s’il l’avait tenu prisonnier. Dieu nous laisse libre car il veut que nous lui ressemblions par l’exercice de notre liberté, qui nous permet de véritablement faire des choix pour choisir le bien, et le seul vrai bien, c’est Dieu.
« Festoyons ! lance le père, car mon fils qui était perdu et il est retrouvé ». Le retour à Dieu, le choix du bien, doit nous transporter de joie. Lors de la vigile pascale, nous assisterons à des baptêmes. Le choix de Dieu doit nous faire toujours exulter de joie. Mais d’une joie qui n’est pas celle du monde : la joie du monde, c’est une désinvolture mensongère qui fait croire que la mort n’existe pas. La joie chrétienne, c’est se souvenir que la mort est le prix que nous avons tous à payer pour le péché, mais qu’en suivant le Christ, cette mort n’est plus tragique : elle est un passage vers la vie. La joie chrétienne, c’est la joie de posséder les moyens du salut et de s’en servir. C’est la joie d’être enfant de Dieu, mais un enfant qui est en route vers son Père et qui n’a pas encore atteint son but.
C’est pourquoi saint Paul insiste sur les paroles de la réconciliation : car la réconciliation est aussi un sacrement, distinct du baptême. Et les paroles de l’absolution des péchés sont aussi un don de Dieu, paroles données pour que nous revenions à lui. Le baptême n’est pas la fin du chemin : c’est, au contraire, le début. La célébration du pardon de nos fautes dans le sacrement de la Réconciliation vient raviver la joie de notre baptême, joie d’être un enfant de Dieu qui s’était perdu et qui se retrouve, de nouveau, sur le bon chemin.
On ne fait pas un bon Carême sans une bonne confession. Qu’est-ce que c’est qu’on bon Carême ? C’est un Carême utile, c’est-à-dire un Carême qui est une occasion de conversion, de retour à Dieu. Et ça, ça doit nous réjouir ; c’est pourquoi la réconciliation est au cœur des paroles de ce dimanche de la joie.
À l’exemple du fils prodigue, et avec saint Paul, je nous exhorte également : laissons-nous réconcilier ! Laissons-nous revenir à Dieu ; laissons-nous, en dépit de notre orgueil, tomber à genoux et demander la Miséricorde du Père. Laissons-nous nous réjouir d’entendre les paroles que Dieu a confiées à l’Église et à ses prêtres : « je vous pardonne tous vos péchés ».
Amen.