Le mot « épiphanie » est tiré du grec « ἐπιφάνεια », qui signifie « manifestation ». Ce mot est lui-même tiré du verbe « φαίνω », qui signifie dans son sens premier : « faire briller ». « Jérusalem, resplendis ! – Clame le prophète Isaïe – Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi ». La lumière dont il est question, c’est celle qui a transpercé l’obscurité de la nuit de Noël, et dont parlait saint Jean dans le prologue de son évangile, que nous avons lu le jour de la Nativité : « la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée ». Cette lumière, c’est le Christ lui-même, venu dans l’obscurité d’un monde blessé par le péché, afin de s’y manifester.
Cette lumière, chrétiens, nous avons été invités à la contempler par les célébrations de la Nativité de Jésus, alors qu’elle nous avait déjà été donnée. La lumière du Christ, en effet, nous a été donnée au jour de notre baptême, et elle nous a été donnée de deux façons. Tout d’abord, elle nous a été donnée matériellement, lorsque, à la fin de la cérémonie, un cierge, allumé à la flamme du cierge de Pâques, représentant le Christ ressuscité, fondement de la foi, nous a été tendu ; cierge que nous avons reçu nous-mêmes ou bien par l’intermédiaire de notre parrain ou de notre marraine. Ce faisant, le ministre du baptême, c’est-à-dire le diacre, le prêtre, ou même l’évêque peut-être, nous confiait une mission : entretenir la flamme de la foi en vue d’aller à la rencontre du Christ dans la vie éternelle ; paroles faisant écho à la parabole évangélique bien connue des jeunes filles qui attendent l’arrivée de l’époux pour les noces, tenant en main une lampe allumée.
Ce feu qui nous fut confié, en effet, symbolise la vraie lumière qui nous fut donnée par le baptême, une lumière spirituelle : celle de la foi. La première encyclique du Pape François s’intitule justement Lumen Fidei : la lumière de la foi, texte qui avait été largement préparé par son prédécesseur Benoît XVI. La foi est une vraie lumière car elle nous éclaire : elle nous montre d’où nous venons, elle nous montre ce que nous sommes, elle nous montre où il faut aller et par quels moyens. C’est pourquoi la foi perfectionne et complète notre vision du monde. Et parce que la foi nous guide et nous oriente, notamment dans le temps qui s’écoule et à travers lequel nous allons vers l’éternité, c’est un usage très antique de l’Église que, le jour de l’Épiphanie, le jour où la lumière de la crèche de Bethléem a été découverte par les nations du monde entier, représentés par les mages venus d’Orient, on annonce solennellement, après le chant de l’évangile, les dates des fêtes mobiles de l’année les plus importantes, et notamment celle du saint jour de Pâques, qui détermine toutes les autres, pour se souvenir du fait que non seulement la résurrection du Christ est le fondement de la foi, mais encore que c’est cet évènement fondateur qui doit structurer toute notre vie chrétienne, et notamment ordonner notre temps, c’est-à-dire mettre de l’ordre dans les choses, et fixer nos priorités.
Aujourd’hui, le Christ se donne au monde et nous invite à faire de même. Le temps de Noël, c’est le temps d’une certaine intimité, c’est le temps par excellence des fêtes de famille. Le temps de l’Épiphanie, qui s’ouvre en ce saint jour, c’est le temps de la manifestation de Jésus au monde entier, afin que toutes les nations marchent vers sa lumière, comme l’appelle le prophète Isaïe de ses vœux dans la première lecture de cette messe.
Le Cardinal Joseph Ratzinger, qui n’était pas encore Pape, dans une conférence de carême à Notre-Dame de Paris, en 2001, déclarait que « l’Église n’est pas là pour elle-même, elle a une mission pour l’humanité ; elle est là pour que le Dieu vivant soit annoncé, pour conjurer la progression de l’enfer sur terre et pour rendre celle-ci habitable à la lumière de Dieu ». La mission sublime et mystique de l’Église, c’est de propager la lumière de Dieu dans un monde englouti par les ténèbres. « Tu seras radieuse – poursuit Isaïe – ton cœur frémira et se dilatera » ; il se dilatera sous l’effet de la chaleur du feu de la charité qui nous habite, comme le métal se dilate dans la fournaise de la forge. La charité dilate le corps de l’Église pour lui faire embrasser tous les peuples ; cette même charité nous fais nous aussi nous porter vers les autres pour leur annoncer la bonne nouvelle du salut.
Au jour de notre baptême, en effet, la lumière de la foi nous a été donnée pour nous-mêmes, personnellement, pour notre propre vie et notre salut. C’était le temps de notre naissance ; même si nous avons été baptisés tardivement, c’était le temps de notre naissance à la foi. Cette lumière, désormais, doit avoir grandie et s’être fortifiée ; il est temps qu’elle soit manifestée.
Le mot de « Épiphanie », nous l’avons dit, vient du verbe grec « φαίνω », qui signifie briller, devant lequel on a ajouté le préfixe « ἐπί », qui signifie à la fois « au-dessus » ou bien « à la suite ». « Nous avons vu une étoile, et nous sommes venus nous prosterner devant le roi qui vient de naître », dirent les mages. Nous aussi, nous avons reçu une lumière, qui nous a fait connaître Jésus et l’adorer. Comme les mages, nous nous prosternons devant lui et lui offrons l’or de la royauté en lui remettant tous nos biens terrestres, comme nous y invite l’antienne d’ouverture de cette messe : « voici venir le Seigneur souverain, il tient en main la royauté, la puissance et l’empire ». Comme les mages, nous lui offrons la myrrhe, dont on se servait dans l’antiquité comme aromate pour embaumer les défunts ; nous le faisons en reconnaissant que Jésus est vraiment né dans notre chair et nous le faisons encore en compatissant aux souffrances de sa Passion qui nous sauve. Comme les mages, nous lui offrons l’encens de nos prières, confessant qu’il est vraiment le Fils de Dieu.
Les mages nous donnent à la foi l’exemple d’une confession de foi simple, qui ne passe pas que par des mots mais aussi des actes. Ils nous donnent encore l’exemple d’une vie missionnaire, eux qui ayant vu la lumière, « regagnèrent leur pays par un autre chemin », dit l’évangéliste. Les mages s’en retournèrent tout illuminés et joyeux, riches de ce qu’ils avaient vu afin de le porter chez eux, tout en évitant désormais les ténèbres du péché. Jésus nous transforme, il nous fait changer de chemin pour nous conduire au salut, et il nous invite à porter son message au monde, sans se compromettre avec lui.
Évoquant la lumière qui nous est confiée, le Pape François dit, dans l’encyclique Lumen Fidei, que « le baptême nous rappelle que la foi n’est pas l’œuvre d’un individu isolé, elle n’est pas un acte que l’homme pourrait accomplir par ses propres forces; mais elle doit être reçue, en entrant dans la communion de l’Église qui transmet le don de Dieu : on ne se baptise pas soi-même, pas plus qu’on ne naît soi-même à l’existence. Nous avons été baptisés ». L’Église, dont le cœur doit se dilater pour toucher tous les hommes, n’existe qu’à partir de nous ; elle est le corps mystique du Christ, mais nous en sommes les membres. C’est à nous d’oser porter l’évangile.
« La religion, c’est pas pour moi », entend-on parfois dire dans le monde. Mais le mystère qui nous illumine aujourd’hui, au témoignage que saint Paul lui-même livre aux éphésiens « c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, à la même promesse » – c’était la deuxième lecture. Que la lumière particulière de ce saint jour de la manifestation du Seigneur nous guide donc, pour porter au monde la bonne nouvelle du salut.
Amen.
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