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Homélie pour le premier dimanche de l'Avent (C)

 « La prière est pour l’homme le premier des biens. Elle est sa lumière, sa nourriture, sa vie même, puisqu’elle le met en rapport avec Dieu. Mais, de nous-mêmes, nous ne savons pas prier comme il faut ; il est nécessaire que nous nous adressions à Jésus, et lui disions comme les Apôtres : Seigneur, apprends-nous à prier. Lui seul peut délier la langue des muets et rendre disserte la bouche des enfants, et il fait cela en envoyant son Esprit, qui supplie en nous par un gémissement inénarrable. Or, c’est dans la sainte Église que réside ce divin Esprit. Il est descendu vers elle comme un souffle impétueux, en même temps qu’il apparaissait sous la forme de langues enflammées.  Depuis lors, il fait sa demeure dans cette heureuse épouse ; il est le principe de ses mouvements ; il lui impose ses demandes, ses vœux, ses cantiques de louange, son enthousiasme et ses soupirs. De là vient que, depuis des siècles, l’Église ne se tait ni le jour, ni la nuit ; et sa voix est toujours mélodieuse, sa parole va toujours au cœur de l'époux. »

C’est par ces mots que Dom Prosper Guéranger, abbé de Solesmes, ouvre son admirable commentaire de L’Année liturgique, qui était une des lectures favorites de la petite Thérèse et de toute la famille Martin. La prière des fidèles, en effet, a toujours une dimension communautaire, car elle est un acte des membres de l’Église, qui composent ensemble un corps : le corps mystique du Christ. La prière publique de l’Église, c’est-à-dire la liturgie, revêt donc un caractère particulièrement important dans la vie spirituelle des fidèles, comme un continuel chant d’amour que fait monter, dans l’Esprit saint, l’Église vers Jésus.

Alors que s’ouvre ce dimanche une nouvelle année liturgique – un nouveau cycle de prière, en quelque sorte – nous pouvons nous demander quel sens a cette répétition annuelle car nous avons peut-être l’impression de tourner en rond.

Dans la première lecture de cette messe, en effet, le prophète Jérémie annonce la venue dans le monde de Jésus, descendant du roi David, qui sauva Juda, c’est-à-dire, par métonymie, tout son peuple – venue qui s’est déjà réalisée ; tandis que dans l’évangile, Jésus annonce la fin des temps, sujet sur lequel nous avons déjà été invité à méditer par les lectures que nous offre la liturgie pendant presque tout le mois de novembre.

Nous pourrions être tentés de voir cette nouvelle année liturgique qui commence ce dimanche comme un film dont on connaît déjà la fin. Un bon film, certes ! Un film que l’on a plaisir à revoir chaque année, comme on le fait volontiers pour nos films préférés. Mais dont le suspens est depuis longtemps estompé, en dépit de l’intensité émotionnelle qui continue à se dégager de l’œuvre.

En réalité, voir les choses ainsi, c’est manquer quelque chose d’essentiel dans la spiritualité que l’année liturgique nous offre par le déroulement répété du cycle des mystères du salut. Et le temps de l’Avent, qui s’ouvre ce dimanche, est le bon moment pour y réfléchir.

L’Avent est le bon moment pour y réfléchir à deux titres. Tout d’abord, évidemment, car c’est par l’Avent que commence l’année liturgique et que si l’ont veut bien comprendre où l’on va, le mieux est encore de se poser la question au moment du départ ; nonobstant qu’il vaille toujours mieux tard que jamais !

Mais encore car le mot de « Avent » lui-même a un sens très profond. L’Avent, ce n’est pas juste ce qui est « avant » Noël. Sinon on écrirait « avant » avec un « A », alors que « l’avent » s’écrit avec un « E ». Ce mot vient du latin « ad-ventus », c’est-à-dire « ce qui doit ad-venir », ce dont on attend « l’a-vènement ». Or, ce dont on attend l’avènement – ou plutôt celui dont on attend l’avènement – c’est Jésus. Toutefois, il faut bien comprendre en quoi consiste cet avènement.

Jésus est advenu dans l’histoire de l’humanité ; c’est l’incarnation, que nous célébrons à Noël, qui avait été prophétisée notamment par Jérémie, et qui s’est produite une fois pour toutes. Et il est juste de s’en réjouir, c’est pourquoi nous fêtons Noël chaque année.

Mais il y a toutefois un nouvel avènement du Christ à attendre : c’est son avènement dans notre âme. « Frères – dit saint Paul aux Thessaloniciens – que le Seigneur affermisse vos cœurs afin que vous soyez saints. Faites toujours des progrès ». Dieu, en effet, habite dans l’âme des saints par sa grâce. Or, les saints ne sont pas nés saints, ils le sont devenus. Nous sommes tous invités à la sainteté. Les saints, ce sont ceux qui ont cru à l’évangile et se sont convertis, c’est-à-dire qui ont disposé leurs actes en conformité avec la foi. Ça ne veut pas dire qu’on n’a pas le droit à l’erreur ; ça veut dire, au contraire, que puisque nous avons foi en un Dieu miséricordieux, alors nous devons solliciter sans cesse sa miséricorde : lui confier notre misère et implorer son secours, en vue d’encore un autre avènement du Christ.

Car Jésus, en effet, viendra de nouveau dans le monde d’une troisième façon : dans la gloire, à la fin des temps. C’est ce que nous appelons de nos vœux à la messe, au moment d’acclamer l’eucharistie, quand nous disons à Jésus « nous attendons ta venue dans la gloire ». Ta venue dans le monde, Seigneur Jésus, ta venue dans notre nature humaine, s’est déjà produite. Ta venue mystique, réelle mais cachée, dans nos âmes et dans les sacrements, se réalise chaque jour par ta grâce. Ta venue ultime, qui mettra fin à la souffrance et à la mort, nous l’attendons dans l’espérance car tu l’as toi-même annoncée ; c’est le passage de l’évangile que nous avons lu.

Et nous voyons là comment le premier évangile de l’année liturgique fait écho aux lectures du mois de novembre. Les années liturgiques, en réalité, ne se répètent pas : elles se continuent l’une-l’autre. Elles ne forment pas un simple recommencement, une réitération absurde jusqu’à ce que le monde prenne soudainement fin ; en réalité, la répétition du cycle liturgique ne forme pas des cercles qui se superposent et se confondent, mais forme plutôt une spirale ascendante vers le ciel, à la manière dont un grand oiseau s’élève en formant des cercles concentriques dans un courant d’air chaud, au-dessus d’un champ de blé en plein été.

De même, chers amis, notre âme, dans le cycle liturgique, se laisse porter par la prière de l’Église, sous la motion de l’Esprit saint, vers la contemplation et la vie éternelle. « Vers toi, Seigneur, j’élève mon âme » ; c’était l’antienne d’ouverture de cette messe. En ce début d’année, nous ne sommes pas invités à simplement revivre passivement, comme un spectacle, le cycle liturgique qui s’ouvre, mais à nous élever davantage. Les débuts d’année sont souvent l’occasion des bonnes résolutions : rentrée scolaire, début d’année civile, etc. mais début d’année liturgique également. Que vais-je améliorer en moi cette année ? Quelle marche vers le ciel vais-je gravir ? Quel service vais-je offrir pour mon prochain et pour l’Église ? Quelle mauvaise habitude vais-je sacrifier de grand cœur pour mon Dieu qui s’est livré pour moi ? Qu’en est-il de ma pratique sacramentelle ? Depuis combien de temps ne me suis-je pas confessé, n’ai-je pas demandé pardon à Jésus pour mes péchés et ne lui ai-je pas confié ma misère ?

Que le temps de l’Avent et l’attente des fêtes de Noël soient l’occasion pour nous de nous préparer à toujours mieux accueillir Jésus qui se donne à nous chaque jour par sa grâce, en vue de son dernier avènement dans la gloire.

Amen.