Le passage de l’évangile selon saint Marc dont nous venons de faire la lecture, nous annonce qu’il y aura une grande détresse, que le soleil s’obscurcira, que la lune ne donnera plus sa clarté et que les étoiles tomberont du ciel. Ce sera un temps de détresse comme il n’y en a jamais eu, ajoute le prophète Daniel, où les uns s’éveilleront pour la vie éternelle, tandis que les autres s’éveilleront pour la honte et la déchéance éternelles. Quel programme !
Pourtant, chers amis, voilà que Jésus nous dit aussi, à travers les mots de la sainte liturgie, dans l’antienne d’ouverture de cette messe : « mes pensées sont des pensées de paix et non de malheur ; vous m’invoquerez, je vous écouterai et de partout je libèrerai vos captifs ». Comment comprendre le lien qu’il y a entre ces paroles qui peuvent, à première vue, sembler contradictoires ? Ce dimanche, les textes que nous proclamons nous invitent à réfléchir à ce qu’il y a de consolant, et aussi de grave et d’important, mais non pas d’effrayant, à songer au fait que ce monde a une fin.
« Je ramènerai vos captifs », promet le Seigneur. De qui parle-t-il ? Qui est captif ? Au temps du prophète Daniel, c’était l’élite du peuple juif qui avait été emmenée en déportation à Babylone ; et Dieu avait prédit à Daniel que cet exil prendrait fin. Pourtant, dans ce passage précis, ça n’est pas de ça qu’il s’agit ; il est dit, en effet, que « beaucoup de gens qui dormaient dans la poussière de la terre s’éveilleront ». Il ne peut s’agir que de l’annonce de la résurrection des corps, à la fin des temps.
Car ce qui nous tient tous captifs, en réalité, c’est la mort : c’est l’horizon indépassable de cette vie, qui borne notre existence ici-bas. Et ce qui nous enchaîne à l’inéluctabilité de la mort, c’est le péché. C’est justement pour nous libérer de la captivité du péché que Jésus s’est offert en sacrifice ; c’est ce qu’explique l’auteur de la lettre aux Hébreux.
Dans l’Ancienne Alliance, en effet, l’ordonnancement liturgique du Temple de Jérusalem prévoyait qu’on offrit quotidiennement et perpétuellement, chaque soir et chaque matin, le sacrifice d’un agneau sans tâche ; c’est ce qui est dit dans le livre des Nombres. Le sacrifice d’un agneau, évidemment, préfigurait le sacrifice du Christ, innocente victime. Jésus étant venu dans le monde, il n’a pas aboli, mais il a accompli la loi ancienne, c’est-à-dire qu’il l’a menée jusqu’à son achèvement ; l’Ancienne alliance était là, en effet, pour préparer l’avènement du Verbe de Dieu dans la chair. Ainsi, les pratiques anciennes perdirent leur raison d’être, car ce qu’elles préfiguraient s’est réellement produit. Et ce qu’il s’est produit, c’est que Jésus a offert un unique sacrifice : le sien, sur la Croix, pour les péchés du monde entier.
Toute la puissance sanctificatrice de l’Église est puisée, en effet, dans le mystère pascal : mystère de la mort et de la résurrection de Jésus. Tous les sacrements sont des signes institués par le Christ pour faire naître, pour restaurer ou pour faire grandir la grâce dans nos âmes, afin de nous conduire à lui dans la vie éternelle.
Le baptême, en effet, par le signe de l’eau, nous fait naître à la vie de la grâce. Par ce sacrement qui nous lave du péché originel qui nous séparait de Dieu, Dieu nous reçoit comme son enfant. Dans le sacrement de la réconciliation, nous recouvrons l’état d’amitié avec Dieu que nos péchés personnels ont pu nous faire perdre après le baptême. Par le signe du pain et du vin qui fortifient le corps, dans l’eucharistie, notre âme est fortifiée dans la lutte contre le péché et affermie dans l’amour de Dieu.
L’eucharistie est le plus grand de tous les sacrements, c’est la source et le sommet de toute la vie chrétienne. C’est ce que nous proclamons juste après la consécration, en liant la grandeur de ce mystère, avec la mort et la résurrection du Christ, et l’attente de son retour glorieux. Tout comme Jésus institua ce sacrement « la veille de sa Passion », l’eucharistie nous rend présent le sacrifice du Christ et l’ensemble de tout le mystère pascal. Il ne s’agit pas d’un nouveau sacrifice à chaque messe, mais d’une ré-actualisation, d’une mise en présence de l’unique sacrifice de la croix, d’une façon non sanglante toutefois, selon le commandement de Jésus qui a dit à ses disciples : « vous ferez cela en mémoire de moi ».
Et à travers le Christ, l’eucharistie est le sacrifice de toute l’Église, corps mystique du Christ. « Avec Jésus, l’Église s’offre toute entière. Elle s’unit à son intercession auprès du Père pour tous les hommes. La vie des fidèles, leur louange, leur souffrance, leur prière, leur travail sont unis à ceux du Christ et à sa totale offrande et acquièrent ainsi une valeur nouvelle » (CEC 1368). C’est parce que c’est toute l’Église qui agit dans l’eucharistie que l’on mentionne le nom du pape et de nos évêques dans la prière eucharistique, mais encore le nom des apôtres, marquant ainsi l’unité de l’Église non seulement dans l’espace mais aussi à travers le temps. C’est encore pour cela que sont présentées, avant l’offertoire, les intentions de prières de la communauté des fidèles rassemblés. C’est aussi pour manifester l’unité de l’Église que sont invoqués dans la prière eucharistique les saints du ciel, notamment la Vierge Marie. Et c’est dans ce même esprit d’unité de l’Église que l’on intercède également pour tous les fidèles défunts, qui continuent, sous un mode différent du nôtre, leur chemin vers le ciel.
Parce que, dans la messe, c’est vraiment toute l’Église qui s’associe à l’intercession du Christ, la messe est la prière la plus puissante qui existe. Pour cette raison, c’est un usage très ancien et très légitime que la messe puisse être offerte à une intention particulière. Certes, nous venons tous célébrer l’eucharistie avec les intentions qui nous sont chères et personnelles, mais il est encore possible de demander aux prêtres d’appliquer le saint sacrifice à une intention particulière : pour demander telle ou telle grâce, comme la conversion d’un pécheur, ou bien au contraire pour remercier Jésus d’une grâce déjà obtenue, ou encore pour accompagner un défunt dans sa route vers le ciel.
Il est d’usage, pour demander que la messe soit célébrée à une intention particulière, de verser une offrande. Ce faisant, les fidèles contribuent aux besoins de l’Église en même temps qu’ils s’associent plus étroitement, par une privation symbolique, au sacrifice offert à l’autel par le prêtre en leur nom.
Entre parenthèses : nous commençons déjà à voir apparaître les décorations et les marchés de Noël et, avec eux, la question absolument existentielle qui revient chaque année : que vais-je offrir comme cadeaux ? Et bien peut-être pourrions-nous songer, cette année, à ne pas offrir seulement des biens périssables que viendront ronger les vers et la rouille, mais aussi des cadeaux qui se préserveront dans l’éternité. Pourquoi ne pas offrir une messe à nos proches, par exemple ? « Bon pour une messe », écrit à la plume sur un beau carton avec un joli nœud, posé sous le sapin. C’est juste une idée !
L’eucharistie est un « banquet sacré où nous recevons le Christ, où nous ravivons le souvenir de sa Passion, où nous sommes comblés de la grâce et où nous est donné le gage de la vie à venir ». Les premiers chrétiens, en effet, faisaient souvent cette prière : « que ta grâce vienne, que ce monde passe ». Ce monde, en effet, est borné par la mort. Ça ne veut pas dire qu’on y est condamné à être malheureux, mais cela signifie qu’on n’y est pas chez nous, car nous sommes faits pour la vie éternelle avec Jésus ; nous sommes tous des exilés sur cette terre : notre patrie est dans les cieux.
Et c’est dans cette foi que l’annonce de la fin des temps, tant dans l’évangile de Marc que dans la prophétie de Daniel, est un message d’espérance, et donc de paix. En mettant notre attention dans les choses qui passent, nous nous condamnons à la tristesse car nous les perdrons inévitablement un jour, d’une façon ou d’une autre. C’est en ayant constamment présent à l’esprit, paradoxalement, que tout ici-bas a une fin, que nous sommes capables de mettre toute chose dans une juste perspective et d’éprouver la véritable joie chrétienne, joie de se savoir enfants de Dieu, héritier de la promesse du ciel.
« Mon âme est en fête, chante le psalmiste, ma chair repose en confiance car je ne suis pas abandonné à la mort ». Notre Dieu est le Dieu des vivants qui se donne à nous dans les sacrements en vue de la vie éternelle. Toute la joie chrétienne doit procéder de cette certitude et doit donc converger vers les moyens d’y parvenir : joie de venir à la messe chaque dimanche et même en semaine, joie de souvent demander le sacrement du pardon, joie d’accompagner ceux qui se préparent à recevoir les sacrements de l’initiation chrétienne : le baptême, la confirmation, et la première communion. Joie de préparer d’une façon ou d’une autre la célébration des mystères divins : joie de faire le ménage dans l’Église, joie de participer à la liturgie par le service de l’autel, la lecture ou les chants, etc.
Dans la dernière prière de cette messe, après la communion, nous demanderons l’augmentation de la charité. La charité n’est pas un sentiment béat, elle est une vertu, c’est-à-dire une disposition à bien agir ; elle suppose donc des actes. Dieu nous appelle à la vie éternelle, mais il nous appelle aussi à nous y disposer par nos actes.
C’est pourquoi la pensée des évènements de la fin des temps, bien qu’elle ne doit pas nous faire peur – la peur est l’œuvre du diable, et ça n’est pas la même chose que la crainte respectueuse – cette pensée, donc, suppose tout de même de la gravité, car même si nous sommes ses enfants, Dieu nous traite en adultes, libres et responsables de nos actes.
Que la grâce de Dieu vienne donc parfaire nos cœurs et nos actes pour vivre et mourir dans l’attente de la résurrection.
Amen.
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