Dans le film « L’Aile ou la cuisse », sorti en 1976, nous voyons Louis de Funès, qui incarne le directeur d’un grand guide gastronomique, se déguiser à plusieurs reprises de façon totalement burlesque afin de mettre à l’épreuve la qualité de l’accueil des restaurants qu’il peut visiter ainsi incognito. Et en effet, l’habile inspecteur est souvent méprisé au profit de clients jugés plus important par les restaurateurs. Le spectateur, de cette façon, en vient à comprendre avec humour que « l’habit ne fait pas le moine », comme le dit l’expression populaire. Et nous pouvons tirer de ce spectacle la leçon suivante : qu’il vaut mieux traiter tout le monde avec la même déférence, car on ne sait jamais vraiment à qui l’on s’adresse. Il nous est donc utile de faire preuve de prudence en la matière : celui qui nous paraît ridicule ou méprisable pourrait, en réalité, ne pas être celui qu’il paraît. Voilà la maxime que la sagesse de ce monde tire de cette histoire.
Et saint Jacques, dans la lettre dont nous lisons un passage ce dimanche, exhorte ses lecteurs à avoir la même attitude. Il illustre son propos avec un exemple : si une personne mal mise et une personne élégante se présentent à l’église, il faut leur offrir le même accueil. Sauf que c’est pour un motif bien différent de celui de la prudence mondaine que saint Jacques condamne ce que l’on appelle « l’acception de personnes », c’est-à-dire le fait d’avoir un comportement différent avec autrui – notamment dans les services qu’on peut lui rendre – selon ce que l’on espère en tirer : un intérêt, de la satisfaction, le fait de se sentir important ou estimé, etc.
S’il faut traiter tous les hommes de la même façon, dit saint Jacques, c’est parce qu’il y a une égalité fondamentale entre eux, qui procède de l’amour de Dieu. Dieu, en effet, a constitué tous les hommes qui l’aiment comme héritiers du Royaume des cieux. Ce qui fait l’égalité entre tous les hommes, ce n’est pas, ici, d’où ils viennent, mais c’est où ils vont. Or, tous, nous marchons par des chemins différents qui, en définitive, vont tous vers un seul but : l’éternité.
Nous sommes tous riches ! Quelle bonne nouvelle ! Nous sommes tous riches car nous sommes tous ici des héritiers, héritiers du Paradis, car nous avons été adoptés par Dieu dans le baptême. C’est le baptême, en effet, qui nous constitue comme enfants de Dieu, et nous rend riches de la foi, en vue de la vie éternelle.
La cérémonie du baptême des adultes, selon la forme choisie, peut s’ouvrir avec ce très beau dialogue introductif qui remonte à l’Antiquité chrétienne ; le ministre interroge le catéchumène : « — Que demandez-vous à l’Église de Dieu ? — La foi. — Que vous procure la foi ? — La vie éternelle. » S’ensuit toute une série de rites, et notamment, comme pour les enfants, le fait de toucher les oreilles et les narines du catéchumène en disant « Effata, ouvre-toi ». C’est le baptême, en effet, qui nous ouvre à la foi. Tout comme Jésus a fait parler les muets et entendre les sourds – c’est le passage de l’évangile que nous avons lu – la grâce du baptême nous aide à comprendre les enseignements de la Parole de Dieu et à proclamer sa louange dans le monde.
Ainsi, le baptême nous permet de marcher pleinement à la suite du Christ. Et parce que nous avons tous reçu « un seul baptême pour le pardon des péchés », comme nous le disons dans le « Je crois en Dieu », il y a entre nous tous, chrétiens, une égale dignité. La constitution Lumen Gentium du second concile du Vatican le reconnaît bien : « Commune est la dignité des membres du fait de leur régénération dans le Christ ; commune la grâce d’adoption filiale ; commune la vocation à la perfection ; il n’y a qu’un salut, une espérance, une charité indivisible ».
Si nous sommes donc invités à avoir pour tous nos frères une égale attention, ne n’est pas par prudence ni par politesse mondaine – quoique ce soit déjà un bon début ! – c’est surtout parce que nous partageons l’héritage commun de la vie éternelle, qui nous a été promis au moment de notre baptême, qui a fait de nous des fils adoptifs de Dieu.
Sachons donc reconnaître en notre prochain le frère qui nous est donné, et invitons-le joyeusement à cheminer à nos côtés vers le Paradis.
Amen.