Quelle joie ! Quelle joie pour moi d’être ici parmi vous en ce jour de fête ! Ce dimanche est, en effet, une fête à un triple titre. C’est dimanche, évidemment : c’est tout d’abord le jour du Seigneur. C’est ensuite un jour d’une particulière solennité car nous célébrons la fête du Prince de la milice céleste : l’archange saint Michel. C’est, enfin, une fête à un titre tout à fait personnel, car cela fait exactement trois mois, jour pour jour, que l’ai eu la grâce d’être ordonné prêtre et je suis très heureux de célébrer cet anniversaire en votre compagnie.
Le prêtre, en effet, c’est avant tout l’homme de l’autel, celui qui est député au culte divin rendu au nom de l’Église, c’est-à-dire la liturgie. Et vous vous serez certainement rendu compte que les prières de cette messe mettent un accent particulier sur la liturgie ; c’est même encore plus évident dans les antiennes des vêpres de ce jour. L’antienne d’offertoire, tirée du livre de l’Apocalypse, évoque un ange thuriféraire, dont l’encensoir d’or qu’il tient à la main laisse échapper une fumée qui monte vers le ciel. Et lors de la bénédiction de l’encens qui a lieu à l’offertoire de la messe solennelle, le prêtre dit la prière suivante : « Que par l’intercession du bienheureux archange Michel, qui se tient à droite de l’autel de l’encens, et par l’intercession de tous ses élus, le Seigneur daigne bénir cet encens et le recevoir comme un parfum agréable ».
Le livre de l’Apocalypse contient de nombreuses références à la prière des saints qui monte vers le trône de Dieu. L’encensoir, en effet, est une allégorie de l’Église, qui contient en elle la charité ardente comme des charbons rougis, et dans laquelle ses membres, représentés par les grains d’encens, viennent se consumer dans le feu de l’amour afin de monter vers le ciel, de sorte que le parfum de leur exemple pousse tous les chrétiens qui s’en inspirent à faire de même.
Le prêtre, ensuite, encense les offrandes en disant cette prière : « Que cet encens béni par vous, Seigneur, monte vers vous, et que descende sur nous votre miséricorde ». Admirable échange entre le Ciel et la Terre, par lequel les sacrifices, la louange, l’action de grâce, les supplications montent vers le ciel tandis que pleuvent les grâces comme la rosée du matin. Et tout comme la fumée a la vertu de chasser les mouches, la prière a la vertu de chasser les démons. C’est pourquoi, dans la hiérarchie traditionnelle du sacrement de l’ordre, c’est au clerc à qui a été conféré l’ordre mineur d’exorciste qu’est dévolue la fonction de porter l’encens. Et ce n’est pas anodin que la sainte liturgie identifie l’ange thuriféraire de l’Apocalypse à saint Michel, lui qui fit se précipiter les anges déchus depuis le haut des cieux jusque dans l’abîme, selon la vision du prophète Daniel.
À travers ces quelques considérations, je voudrais simplement, chers amis, vous faire prendre conscience de la façon dont s’exprime, dans le culte divin, dans la liturgie, ce merveilleux mystère de la communion des saints, qui rassemble toutes les parties de l’Église : l’Église militante d’ici-bas, l’Église souffrante du Purgatoire, et l’Église triomphante des saints et des anges du ciel. Toutes les dimensions de l’Église participent à la célébration du mystère de la sainte liturgie.
Il faut aimer la liturgie et toujours chercher à en comprendre la richesse symbolique inépuisable. L’encens, les génuflexions, le fait de se lever, de s’asseoir, de s’agenouiller, tout cela peut sembler un peu rébarbatif et l’on veut souvent s’en dispenser pour gagner du temps ou s’économiser un effort. Mais c’est une erreur. La liturgie, ce sont les battements du cœur de l’Église qui dit son amour pour le Christ. Et il y a là, chers amis, quelque chose qui est inhérent à notre nature humaine.
Parce que nous sommes des êtres rationnels, notre être est gouverné par notre esprit, et c’est là qu’est l’origine de notre prière. Mais nous ne sommes pas de purs esprits, nous sommes aussi des êtres corporels. Pour que notre prière soit pleinement humaine, elle doit faire participer le corps, et c’est le sens à la fois des gestes et des attitudes que nous devons avoir dans la prière, mais encore du soin qu’il faut porter pour ce lieu sacré qu’est l’église, pour l’embellissement du sanctuaire et notamment de l’autel, pour son fleurissement, pour la beauté des vêtements liturgiques et des autres objets du culte, pour la propreté des nappes de l’autel et de tout le linge sacré. Tout cela est la participation des corps et de la matière à notre prière.
Mais l’homme est également par nature un être social. Pour que notre prière soit vraie, elle doit avoir une dimension sociale, communautaire. Et c’est là que nait à proprement parler la liturgie, comme le culte public que rend l’Église, c’est-à-dire la société des baptisés. Et il ne faut pas entendre cette expression de « culte public » comme simplement « culte réalisé en public ». Au sens fort, la liturgie est l’acte de toutes l’Église : si l’accomplissement des rites les plus manifestes est le propre des ministres sacrés, il n’en demeure pas moins que tous les fidèles sont non seulement invités, mais encore pressés de s’y joindre en vertu de leur baptême et de leur confirmation.
Car les trois sacrements qui impriment un caractère en nos âmes, que sont le baptême, la confirmation et l’ordre, nous députent tous au culte divin, mais de façons diverses.
En vertu de notre baptême et de notre confirmation, en effet, nous devons prendre une part active dans la célébration de la liturgie. Il est vrai qu’à la messe, le prêtre – alter Christus – est le seul sacrificateur : c’est lui qui accomplit le sacrifice eucharistique. Mais c’est tous ensemble que nous célébrons ce mystère. Oui, chers amis, nous concélébrons tous la messe actuellement. Non de façon sacramentelle, évidemment, mais nous sommes tous unis dans la célébration de ce mystère. Et c’est pourquoi, tous, nous accomplissons les mêmes gestes de dévotion et d’adoration, selon notre état.
Les préfaces au canon de la messe s’achèvent toutes de la même façon : en déclarant que nous unissons nos voix à celles des anges pour chanter la sainteté de Dieu, comme des invités à des noces proclament d’une seule voix la louange des mariés – et c’est justement des noces mystiques de l’Agneau que parle l’évangile de ce XIXe dimanche après la Pentecôte, dont nous faisons la mémoire. En cette fête de l’archange saint Michel, puissions-nous, par notre méditation sur le mystère de la sainte liturgie, de ce culte communautaire que l’Église rend à Dieu, méditer sur ce qui unit tous les baptisés du monde visible et ceux du monde invisible : la célébration de la gloire de Dieu dès ici-bas en vue de chanter ses louanges pour l’éternité.
Amen.