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Homélie en la mémoire de Notre-Dame de La Salette

 Nous célébrons ce soir la mémoire de l’apparition de Notre-Dame à La Salette, sur les montagnes pelées du massif des écrins, faisant face, de l’autre côté de la vallée au fond de laquelle serpente sournoisement le Drac, à l’écrasante et lugubre masse rocheuse de l’Obiou. C’est, en effet, dans un paysage à la fois magnifique et austère qu’en 1846, la Sainte Vierge apparu à deux petits pâtres : Mélanie Calvat et Maximin Giraud. Et ce n’est pas sans une certaine appréhension qu’un enfant du diocèse de Grenoble, né à quelques kilomètres de là, vous adresse ce soir ces quelques mots.

Car l’apparition de Notre-Dame à La Salette a quelque chose de très particulier, par rapport aux autres apparitions mariales les plus connues, en particulier celles qui eurent lieu à Lourdes dix ans plus tard, ou à Fatima.

L’apparition de La Salette se démarque, tout d’abord, par la controverse dont elle fut dès l’origine entourée. Ce fut, certes, le cas de toutes les autres apparitions ; et c’est bon signe, car cela veut dire que les gens réfléchissent à ce qu’il se passe. Mais ce qu’il y a de particulier avec l’apparition de La Salette, c’est qu’elle fut remise en cause après son approbation par l’Autorité ecclésiastique par des personnalités elles-mêmes en odeur de sainteté de leur vivant, comme le saint Curé d’Ars. Ce dernier, en effet, avait eu des doutes au sujet de l’apparition suite à une entrevue avec Maximin, qui avait 15 ans à l’époque. Mais dans la prière, le saint Curé avait ensuite trouvé la résolution de ses doutes puis s’était même fait un apôtre de l’apparition.

Les deux voyants eux-mêmes eurent des parcours fort mouvementés après leurs témoignages ; de nombreuses personnes cherchant à se servir de leur message pour satisfaire leurs propres intérêts. Et quel message, justement ! Mélanie et Maximin déclarèrent avoir vu une femme en pleurs se tenant le visage dans les mains et arborant les instruments de la Passion du Christ, notamment le marteau et la tenaille qui servirent à planter puis retirer les clous de la Croix. Cette femme exhorta les enfants à être fidèles à la prière quotidienne, mais aussi au respect du repos dominical et à la pratique de la pénitence pendant le carême. Elle déplora aussi les grossièretés blasphématoires proférées par tant d’hommes. Le message était également assorti d’un autre point moins souvent connu : la mise en garde des prêtres contre la tentation de la luxure ; la Dame disant du clergé qu’il était devenu – je cite – « un cloaque d’impureté ». Tous ces péchés appelaient, dit-elle, la colère de son Fils, qu’elle avait de plus en plus de mal à contenir.

Mais ces condamnations et ces avertissements, comme toujours, n’ont qu’un seul but : détourner les pécheurs de leurs égarements pour les ramener sur le chemin du salut ; c’est pourquoi, dans le diocèse de Grenoble, on invoque souvent Notre-Dame de La Salette sous le vocable de « Réconciliatrice des pécheurs ». Marie, en effet, se manifeste, à La Salette, non comme un simple messager mais encore comme notre avocat.

L’austérité du message de La Salette provoque souvent une grande réserve de la part de ses auditeurs. Et en réalité, Dieu se sert aussi de cette réserve pour nous faire grandir dans la foi. On est prompt, en effet, à annoncer les bonnes nouvelles : elles nous remplissent de joie et nous font parler. L’apparition de La Salette, quant à elle, aurait plutôt tendance à nous laisser sans voix ! Mais, la foi passe avant tout par l’écoute.

Dans son beau cantique « Adoro Te devote », saint Thomas d’Aquin dit que « la vue, le toucher et le goût sont mis en défaut » par la présence réelle de Jésus dans les espèces eucharistique, mais – ajoute-t-il – seule l’ouïe nous renseigne fidèlement. Si nous croyons à la présence réelle de Jésus dans l’eucharistie, en effet, ce n’est pas parce que nous l’y voyons, car nos yeux ne voient que l’apparence du pain. Ce n’est pas parce que nous le touchons ou sentons son goût. C’est uniquement parce que nous avons reçu un enseignement qui nous apprend la réalité de sa présence : « je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu », dit saint Paul aux Corinthiens.

Il en va de même pour tout ce qui est objet de foi. Il n’y a pas d’évidence dans la foi. La foi, c’est adhérer dans l’obscurité à une vérité que nous ne voyons pas mais qui nous a été dite. Dans les sciences, l’auteur du message n’a que peu d’importance, seule compte la manifestation de la vérité par les faits eux-mêmes. En matière de foi, en revanche, les faits sont incroyables ! Ils échappent à notre rationalité. Nous adhérons au contenu de la foi en vertu de l’autorité de celui qui nous transmet le message, car nous reconnaissons, en définitive, qu’il vient de Dieu.

Chercher à progresser dans la foi, c’est donc avant tout chercher à progresser dans notre qualité d’écoute. Le caractère austère du message de La Salette et l’ambigüité qui a entouré sa révélation nous porte plus volontiers au silence qu’à la parole. Il faut savoir chercher Dieu aussi dans ce doute, à l’exemple du saint Curé d’Ars, ou de la Sainte-Vierge elle-même, qui gardait les paroles de Dieu dans son cœur. Ainsi, nous saurons découvrir la certitude de la foi dans le silence et la prière davantage que dans l’évidence des manifestations extérieures.

Notre-Dame de La Salette, Réconciliatrice des pécheurs, priez sans cesse pour nous qui avons recours à vous.

Amen.