La première lecture de la messe de ce dimanche, tirée du livre du Deutéronome, c’est-à-dire littéralement : « le livre de la seconde loi » – c’est-à-dire la loi postérieure aux dix commandements – ce texte, disais-je, a de quoi nous surprendre. Nous y lisons, en effet, cette promesse que Dieu fait au Peuple qu’il s’est choisi, par la bouche de Moïse : « Quand les nations païennes entendront parler des commandements que je vous donne, elles s’écrieront : “Il n’y a pas un peuple sage et intelligent comme cette grande nation !” ». Mais cela n’a pas l’air d’être notre lot, chers amis : dans notre monde, en effet, les chrétiens passeraient plutôt pour des fous.
Le monde méprise la morale chrétienne : il préfère l’utilitarisme aux principes, il justifie le mensonge, la cupidité et la violence par l’opportunité, les hommes préfèrent ne penser qu’à eux plutôt que de penser à Dieu et préfèrent poursuivre la chimère d’une liberté absolue plutôt qu’avoir le sens des engagements ; tous ces maux que Jésus reproche aux hommes dans l’évangile.
Auprès de ces gens, les commandements de Dieu passent pour une folie, pour une contrainte inutile. Et la folie suprême, ce qu’il y a de plus incompréhensible, c’est que le Fils du Dieu tout-puissant soit mort sur la croix pour notre salut. Comment alors comprendre cette parole de Moïse ?
En réalité, cette promesse n’est pas pour la vie présente. On voit trop souvent l’Ancien testament comme un récit purement préparatoire à l’incarnation du Seigneur Jésus. Et il l’est, mais il ne se réduit pas à cela. Les paroles de l’Ancienne alliance sont toujours actuelles et ne s’adressent pas seulement aux juifs d’avant la venue du Christ dans le monde, mais encore à nous, chrétiens d’aujourd’hui. Et c’est parce que ces paroles sont toujours actuelles que la sainte liturgie les offre à notre méditation. Elles sont même d’autant plus actuelles à notre époque où, le Christ étant venu dans le monde, il les a éclairées de la lumière nouvelle de sa propre Parole.
Et dans l’évangile, le Christ nous apprend qu’il y aura un jour une justice. On hésite beaucoup, depuis quelques temps, à parler de la justice de Dieu, et du jugement de la fin des temps. Cette idée nous rebute car elle nous amène à comprendre qu’on ne peut pas faire ce qu’on veut et qu’il faudra un jour rendre des comptes. Et notre mentalité actuelle, qui voudrait pouvoir « jouir sans entrave », comme on dit, a beaucoup de mal avec cela. En réalité, s’il nous promet le jugement dernier, c’est parce que Jésus fait appel à notre liberté et notre responsabilité.
L’idée du jugement doit plutôt nous réjouir. C’est une pensée certes grave, car elle nous engage, mais une pensée salutaire. C’est parce qu’il y aura un jugement que je ne peux pas faire ce que je veux ; c’est parce qu’il y aura un jugement que je dois pratiquer les commandements et rester fidèle à la parole de Dieu, mais surtout que je dois demeurer dans l’amour de Dieu. C’est parce qu’il y a un jugement que le salut nous sera, avec la grâce de Dieu, offert personnellement un jour. Le jugement, c’est une parole de vérité – avant d’être une récompense ou une condamnation – proférée par celui qui a la faculté de le faire ; c’est donc un des rôles éminents de Jésus, lui qui sait tout et qui est toute bonté.
Car le jugement, ce n’est pas que l’annonce d’une sanction. Et cela est même secondaire. Le but principal du jugement, c’est d’annoncer la vérité et que l’on s’entende dire par notre Dieu : « tu m’as été fidèle, tu as bien agi, tu m’as suivi, tu m’as aimé et tu as aimé tes frères et tes sœurs à cause de moi ; voici ta récompense : la vie bienheureuse en ma compagnie et en celle des anges et des saints pour l’éternité ». C’est parce que Dieu est bon qu’il nous offre le bonheur éternel avec lui, c’est en raison de sa bonté qu’il récompense les justes et c’est en conséquence de sa bonté que Dieu châtie les méchants. Quelle serait cette bonté qui ferait que l’innocente victime soit liée à l’éternité par son bourreau impénitent ? Quelle serait la bonté du berger qui accueillerait le loup parmi les agneaux ? C’est parce que Dieu est bon qu’il sépare les criminels qui ne se repentent pas des innocents. La justice et le jugement de Dieu sont des conséquences nécessaires de son amour.
Voilà pourquoi, au jour du jugement, alors que la vérité éclatera aux yeux des incrédules, ces derniers s’écriront : « oui, les gens de foi ont été sages, et c’est nous qui avons été fous ». C’est ainsi que se réalisera la parole prophétique de Moïse. Voilà pourquoi ce qu’il nous faut demander ce dimanche, c’est de demeurer enracinés dans l’amour de Dieu afin que lui-même s’enracine en nous par sa grâce et nous face grandir dans la charité, en vue de la vie éternelle. C’est justement la grâce que nous avons demandée dans la prière d’ouverture de cette messe.
Amen.