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Homélie pour la fête de saint Louis

 Nous célébrons ce dimanche la fête de saint Louis, roi de France, à qui notre petite chapelle est dédiée. Louis IX, quarantième successeur de Clovis, arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-petit-fils d’Hugues Capet, monta sur le trône de France âgé de seulement douze ans, en 1226, et régna jusqu’à sa mort en 1270. En 1234, il épousa la belle Marguerite de Provence, née à Brignoles, dont il tomba très amoureux dès l’instant où il la vit. Marguerite était à l’image de notre Provence : pas très riche par sa dote, mais sa beauté – dit-on – valait le monde entier.

Saint Louis fut, certes, un grand homme d’état, et demeure un modèle pour tous ceux qui sont dépositaire de l’autorité publique. Cet aspect de sa vie est bien connu et vous en trouverez les détails dans tous les bons livres d’histoire. C’est sur autre aspect de sa vie que je voudrais vous proposer, chers amis, de méditer ce matin. Louis, en effet, ne fut pas seulement un roi, il fut encore un père, de onze enfants ! Six garçons et cinq filles.

Alors que beaucoup de personnages puissants – non seulement à l’époque, mais encore de nos jours – délaissent le soin de leur famille, le roi mettait un point d’honneur à s’occuper lui-même de l’éducation morale et religieuse de ses enfants. Il leur laissa, de surcroît, un testament, en particulier pour l’héritier de la couronne : Philippe, qu’on appellera « le Hardi ».

Les mots « testament » et « témoin » ont la même racine étymologique. Le testament, c’est ce qui vient témoigner d’une chose qui ne changera pas, d’un message rendu définitif par la mort de son auteur. Mais c’est aussi le mot qu’on emploie pour désigner l’alliance entre Dieu et les hommes : alliance rendue intangible par la sainteté de Dieu, c’est-à-dire par ce qui le sépare de nous, ses créatures, mais qui, sous un autre rapport, nous le rend inaliénablement présent. Celui qui reçoit un testament reçoit quelque chose de ferme et définitif. Et puisque c’est tout ce qu'il reste de son auteur après la séparation, c’est dans le testament que l’on met ce que l’on a de plus important à dire, de plus définitif. Et alors on peut se demander à quoi bon faire mémoire de ce roi, mort il y a près de neuf siècles ! C’est que, comme nous l’avons dit, un testament rapporte ce qu’il y a de plus définitif chez une personne ; ce qu’il y a de plus définitif et de plus éternel chez saint Louis, ce n’est pas qu’il fut roi, c’est qu’il fut homme et, qu’en tant qu’homme, il fut appelé à connaître et aimer Dieu jusqu’à être parfaitement uni à lui. C’est ça la sainteté, l’union parfaite à Dieu, et nous y sommes tous appelés : rois ou paysans.

Dans son testament, Louis exhorte justement en premier lieu son fils à aimer Dieu plus que tout. C’est le plus grand des commandements, comme nous l’a révélé Jésus lui-même ; c’est le passage de l’évangile que nous avons lu. Et le second, qui vient comme un corolaire, c’est qu’il faut aimer son prochain en raison de l’amour de Dieu. C’est ce à quoi nous exhorte justement la première lecture, tirée du livre du prophète Isaïe : les sacrifices que nous offrons à Dieu et qui lui sont agréables, sont ceux qui permettent de nourrir ceux qui ont faim, d’habiller ou de vêtir les nécessiteux et libérer ceux qui sont injustement captifs. Et c’est justement la suite des enseignements de saint Louis à son fils.

Voilà quel fut le testament du saint roi, voilà quel est le testament nouveau et éternel de Jésus, testaments appuyés sur le témoignage de leurs vies : saint Louis offrait le gîte et le couvert dans ses demeures à tous les pauvres qui s’y présentaient, et allait même, lui, le roi le plus puissant du monde à l’époque, jusqu’à les servir lui-même et parfois les soigner. Jésus, le Fils du Dieu tout-puissant, lui qui n’avait commis aucun péché, a pris notre nature humaine pour se laisser condamner afin que, par son sacrifice, nous soyons innocentés.

Ces testaments ne doivent pas rester lettres mortes. En célébrant ici, dans cette chapelle, la fête de saint Louis, nous ne venons pas seulement honorer la mémoire d’un personnage « historique » à qui est dédié un bâtiment « historique » – lui aussi – que nous tentons de sauver de la ruine. Ces pierres burinées par le cagnard de Provence sont vivantes et elles nous parlent. Elles sont certes un témoignage du passé, un témoignage de la piété de nos aïeux, mais nous serons fidèles à ce témoignage, nous en serons dignes, seulement si nous savons l’inscrire dans le présent, c’est-à-dire si nous faisons nôtre la piété qui a élevé ces pierres, en vue d’édifier le royaume céleste du Paradis. Alors notre héritage ne sera pas seulement une relique du passé, ni une charge du présent, mais encore un gage de l’avenir.

Tout à l’heure, nous allons aller bénir les tombes du cimetière ; c’est dans ce même esprit que je vous invite à vous recueillir. Ces tombes ne sont pas qu’une trace du passé, elles sont encore un vibrant appel à l’avenir, et notre avenir c’est que, en suivant l’exemple des grands chrétiens qui nous ont précédés, nous parvenions, nous aussi, à la vie éternelle.

Amen.



Nicolas Guy Brenet : Saint Louis recevant les messagers du Vieux de la Montagne
1773, musée Carnavalet, Paris.