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Homélie pour le 17e dimanche "per annum" (B) : « Quand est-ce qu'on mange ? »

 Je sais ce que vous vous demandez tous, je connais déjà la question que vous vous posez tous à vous-mêmes, dans le secret de vos consciences, mais que vous n’oseriez jamais avouer. Voilà que la seule pensée que nous avons à l’esprit est de savoir : qu’est-ce qu’on va manger ? Et il ne faut pas croire, chers amis, que ce soit une question sans intérêt. Dans l’évangile, en effet, nous voyons Jésus lui-même la poser à ses disciples pour qu’ils s’en inquiètent. La question de savoir de quoi nous allons nous nourrir ce dimanche n’est donc pas triviale, seule la réponse risquerait de l’être.

La scène évangélique dont nous venons de faire la lecture, et que notre imagination dépeint dans notre esprit, a quelque chose de très touchant. À elle seule, en effet, elle témoigne de la crédibilité de l’évangile. Si Jésus avait été un gourou, comme il y en a eu dans l’histoire, il n’aurait pas eu souci de la foule, mais plutôt de lui-même ; pour épater la galerie, on aurait peut-être raconté qu’il aurait fait apparaître de la nourriture pour se sustenter lui-même – et ce fut d’ailleurs l’idée que lui susurra Satan au désert alors que Jésus s’y était retiré pour jeûner : changer des pierres en pain – mais certainement un gourou n'aurait pas fait un miracle pour autrui. S’il avait été un personnage littéraire fictif, on aurait décrit un miracle avec beaucoup plus d’allure : son et lumière à l’appui. La simplicité du récit évangélique rend témoignage de sa vérité, en même temps que le souci de Jésus pour les hommes atteste de sa réelle humanité, et le miracle qu’il opère de sa divinité. Mais en donnant du pain à la multitude qui le suivait, Jésus n’entendait pas seulement satisfaire les seuls besoins biologiques de ceux qui le suivaient.

Étymologiquement, le mot « compagnon » désigne ceux qui partagent leur pain. En rassemblant ceux qui le suivaient autour d’un repas, Jésus changea une somme de personnes anonymes en une compagnie, à la façon dont une multitude de grains sont moulus pour donner de la farine qui, si elle est mélangée à de l’eau, forme une pâte qui, quant à elle, une fois cuite, devient du pain. Jésus nous transforme par sa présence et ses enseignements, il nous donne l’eau de sa grâce et nous envoie le feu de l’Esprit Saint pour nous rassembler dans l’unité.

C’est l’enseignement que laissa saint Paul aux éphésiens : « ayez soin de garder l’unité : il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ». Il y a, en effet, trois dimensions à l’unité de l’Église : celle du lien hiérarchique, celle de la foi et celle de la pratique sacramentelle.

La hiérarchie procède de l’union des baptisés à leurs pasteurs, des clercs à leur évêque, des évêques au Pape, et de l’union de tous au chef de l’Église, le Seigneur Jésus lui-même. Les baptisés sont encore unis entre eux par la même foi qu’ils professent, ainsi que nous allons le faire tous ensemble dans quelques instants. Les fidèles sont aussi unis par les sacrements, à commencer par l’unique baptême que tous ont reçu. Quand ces trois dimensions de l’unité se vérifient, on parle de « pleine communion » avec l’Église.

C’est pourquoi le geste de l’unité par excellence, c’est la célébration du repas eucharistique, duquel on appelle justement la participation sacramentelle la « communion ». En partageant le même pain eucharistique, qui est Jésus lui-même qui se donne tout entier, les baptisés se rassemblent dans l’unité. C’est pour préparer l’annonce de ce grand mystère de la foi que Jésus réalisa le miracle dont nous faisons, ce dimanche, le récit et la mémoire. « Les yeux sur toi, tous, ils espèrent – chante le psalmiste – tu ouvres ta main, tu leurs donnes la nourriture, tu les rassasies ». La principale nourriture que nous donne Jésus n’est toutefois pas celle du corps.

La foule, en effet, n’était pas venue chercher de quoi nourrir les corps quand elle s’était lancée à la suite de Jésus ; elle était venue entendre ses enseignements. Ce n’est qu’ensuite, étant là, qu’elle dut être nourrie physiquement. En ce dimanche, Jésus nous propose, en premier lieu, de nous nourrir de sa parole : parole que nous avons entendue il y a un instant et sur laquelle nous méditons en ce moment. Jésus nous invite aussi à attendre de lui tout ce dont nous avons besoin pour notre subsistance pour, en définitive, marcher sur le chemin du ciel. Enfin, il nous exhorte à vivre en compagnons, rassemblés dans l’unité de l’Église. L’affermissement de la foi, de l’espérance et de la charité, voilà la nourriture théologale que Jésus veut nous donner.

Et c’est justement la nourriture qui nous est donnée dans la célébration de la messe, au cours de laquelle nous entendons la Parole de Dieu, nous recevons un enseignement, nous proclamons la foi, nous demandons à Dieu tout ce dont nous avons besoin, et surtout, nous partageons le pain eucharistique. La messe ne doit pas être vécue comme une simple étape obligée du dimanche, elle est, au contraire, la raison d’être du dimanche – jour du Seigneur – et des fêtes chômées, raison d’être à laquelle toutes les autres joies bien légitimes de ces jours – comme l’apéritif avec les amis ou le repas de famille - doivent être ordonnés comme une action de grâces. C’est pourquoi, la messe dominicale doit toujours avoir la première place dans notre emploi du temps, non seulement dans l’organisation temporelle de ce jour mais encore dans l’intention qui dirige toute notre journée.

C’est ainsi que nous serons véritablement rassemblés et rassasiés, comblés de tous les biens de ce monde et lancés à la suite du Seigneur Jésus vers les joies éternelles.

Amen.