Accéder au contenu principal

Homélie pour le 15e dimanche "per annum" (B)

 La première lecture que nous avons faite ce dimanche, tirée du livre d’Amos, place sous nos yeux une scène d’une touchante simplicité qui, pour être bien comprise, doit être replacée dans son contexte.

À l’époque d’Amos – nous sommes dans la première moitié du VIIIe siècle avant Jésus-Christ ; pour vous donner une idée : à cette époque, des bergers commençaient tout juste à s’installer dans un lieu  d'Italie encore inhabité, sur le mont Palatin, dominant le Tibre, à un endroit qu’on appellera un jour Rome – à l’époque d’Amos, donc, le peuple juif était divisé en deux royaumes : le royaume de Juda, au sud, avec Jérusalem pour capitale, gouverné par les descendants de David, et le royaume du nord, issu d’une rébellion contre l’héritier du roi Salomon, cent cinquante ans plus tôt, que l’on appelle aussi royaume d’Israël, parfois Ephraïm – du nom de la tribu de laquelle était issu son fondateur – et encore  Samarie – du nom de la ville qui servit de capitale à ce royaume pendant un temps.

Cette rébellion n’avait pas entrainé qu’une division politique, mais encore un schisme religieux. Le chef des rebelles avait fait ériger des sanctuaires où les juifs adoraient des idoles – notamment à Béthel, là où se déroule la scène que nous avons lue – afin de concurrencer le culte du vrai Dieu, qui avait lieu au Temple de Jérusalem. Le royaume d’Israël avait donc fondé un culte purement formaliste, reposant sur toute une série de rituels mais sans aucun fond, puisque non destiné au Dieu unique d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ; ce culte était une coquille vide.

C’est contre ce formalisme hypocrite que s’éleva la voix du prophète Amos, dont les paroles ne sont pas sans rappeler celles, sept siècles plus tard, de Jésus à la Samaritaine – justement – sur l’importance d’adorer Dieu non par de seuls gestes extérieurs mais encore en esprit et en vérité. Amos annonce la ruine du royaume du nord, qui tomba, en effet, avant la fin du siècle, sous les coups des Assyriens. C’est justement parce qu’il avait prophétisé la chute du royaume et la fin de la lignée de ses rois que les faux prêtres d’Israël entendirent chasser Amos du sanctuaire idolâtrique de Béthel ; ce sont les paroles que nous avons lues : « va-t’en d’ici, fuis au pays de Juda, c’est là-bas que tu pourras gagner ta vie en faisant ton métier de prophète ».

Les prêtres de Béthel, en effet, n’étaient que des petits fonctionnaires qui exerçaient un métier comme un autre au service du roi : que les gestes du culte qu’ils accomplissaient rendent véritablement ou non gloire à Dieu, ça n’était pas leur affaire. Ils projettent sur Amos leurs propres façons de penser : « ici, nous sommes chez nous – auraient-ils pu lui dire – va faire ton métier ailleurs, tu nous prends notre clientèle ».

Et Amos eu cette réponse d’une simplicité magnifique : « Je n’étais pas prophète, j’étais bouvier, et le Seigneur m’a appelé ». Amos n’était pas un « fils de », comme on dit, il n’avait pas non plus élaboré de plan de carrière ; il s’occupait de garder un troupeau et cultivait les sycomores, sans doute pour nourrir les bêtes. Comme pour Moïse, comme pour David, c’est au milieu d’un troupeau que le Seigneur vint saisir Amos : Dieu choisit qui il veut. Par cette réponse, Amos réfute les accusations de cupidité qui lui étaient adressées, en même temps qu’il affirme son élection divine.

Comme le Christ, Amos vient confondre les hypocrites qui se parent de signes extérieurs mais dont l’esprit n’a en vue que leur amour propre ; il nous exhorte à la pureté d’intention. Et Jésus fait de même : dans l’évangile, nous le voyons confier à ses apôtres un grand pouvoir : celui d’expulser les démons et guérir les malades. Mais ce pouvoir ne leur est pas confié pour leur propre gloire, c’est pourquoi ils doivent toujours aller par deux, afin que jamais un seul ne puisse s’enorgueillir de la grâce qui lui fut donnée. Jésus invite encore ses disciples à la pauvreté et à l’abandon à la Providence en leur interdisant de prendre ni argent ni provision pour la route, afin de les faire grandir en humilité et purifier leur intention.

La pureté de cœur, en effet, qui consiste à tout faire pour l’amour de Dieu, se cultive par le détachement. Saint Jean de la Croix, dans La Montée au Carmel, dit que si un oiseau veut s’envoler mais qu’il a un fil à la patte, peu importe que le fil soit gros ou petit, il empêchera toujours l’oiseau de s’échapper. Il en va de même pour notre âme qui voudrait ne penser qu’à Dieu : peu importe que ce qui la retient attachée soit un péché grave ou véniel : tout péché, c’est-à-dire tout attrait pour les créatures plus grand que pour le créateur, doit être combattu. Et ça, c’est le travail de toute la vie, avec l’aide de la grâce.

« Le Père nous a choisi pour que nous soyons saints », dit saint Paul aux Éphésiens. Dieu veut que nous soyons saints, c’est-à-dire détachés de tout péché. Les châtiments prophétisés par Amos n’ont qu’un seul but : non pas annoncer la vengeance de Dieu sur son peuple infidèle comme une fin en soi, mais annoncer le malheur qui attend ceux qui s’éloignent de Dieu justement pour les faire revenir. « Le salut de Dieu est proche de ceux qui le craignent », c’est-à-dire qui l’aiment, chante le psalmiste. « Amour et vérité se rencontrent », poursuit-il : il n’y a pas d’amour sans vérité, Dieu ne nous aimerait pas s’il nous laissait ignorer que le seul vrai bien, c’est lui, et qu’il n’y a sans lui que la ruine et la perte de nos âmes. « Dieu nous a choisis dans le Christ », ajoute saint Paul. C’est en marchant à la suite du Christ que nous allons vers Dieu.

Nous devenons ses « fils adoptifs » par le baptême. « Nous avons la rédemption, le pardon de nos fautes » par le sacrement de la confession. Nous obtenons « la richesse de la grâce que Dieu a fait déborder jusqu’à nous » dans le sacrement de l’eucharistie. Saint Paul nous invite à développer toujours plus notre vie sacramentelle, canal principal de la grâce, si nous voulons être saints.

Mais cette vie sacramentelle ne doit pas être une coquille vide. Amos nous préviens que ceux qui pratiquent la religion d’une façon purement extérieur connaîtront le châtiment des pécheurs, car leur culte n’est pas tourné vers Dieu mais vers eux-mêmes. Nous sommes, par les lectures de ce dimanche, invités à cultiver la pureté de notre intention dans notre vie chrétienne. Alors Seigneur, puisque tu nous montres la lumière de ta vérité pour que nous puissions reprendre le bon chemin, donne-nous, à nous qui nous déclarons chrétiens, de rejeter ce qui est contraire à ce nom et rechercher ce qui lui fait honneur : l’adoration de toi, le seul vrai Dieu, en esprit et en vérité.

Amen.



Amos, icône russe du début du XVIIIe siècle.