La prophétie d’Ézéchiel dont nous avons fait la lecture, ainsi que l’évangile de ce dimanche, mettent sous nos yeux une image semblable : celle d’une fragile bouture et d’une graine minuscule appelées à croître pour donner naissance à un grand arbre. On voit généralement dans ces images une préfiguration de l’Église, fondée sur le petit nombre des apôtres plantés en terre d’Israël, et qui s’est désormais propagée sur toute la Terre et embrasse toutes les nations.
Mais on peut aussi avoir une lecture plus personnelle de ces paraboles, et voir en elles une allégorie de notre vie spirituelle : cette plante appelée à croître, c’est nous-mêmes, sous l’effet de la grâce, qui ne remplace pas notre nature mais se greffe sur elle. Or, la grâce nous est donnée, en premier lieu, par les sacrements, qui sont des signes sensibles, institués par le Christ Jésus lui-même, afin de faire naître, de restaurer ou de faire croître en nous la grâce, c’est-à-dire l’état d’amitié avec Dieu. Il y a – vous le savez – sept sacrements, et il y en a un, parmi eux, qui est spécifiquement ordonné à la croissance de notre vie spirituelle, à son développement dans toutes ses potentialités, c’est le sacrement de la confirmation.
L’état de grâce nous est donné par le baptême et, si nous avons le malheur de l’abandonner par le péché, il peut nous être rendu par la confession. Mais le développement de la grâce, son affermissement et son accomplissement en nous, c’est le fruit de la confirmation. Il n’est pas évident de comprendre la spécificité de la grâce donnée par la confirmation, puisqu’il s’agit d’un accroissement et non de quelque chose de nouveau. Comme avec tous les sacrements, nous sommes mis face à un mystère, c’est-à-dire une réalité qui dépasse nos capacités de compréhension mais qui, pourtant, nous laisse toujours quelque chose à découvrir, à la manière dont un chercheur d’or vanne inlassablement le sable de la rivière et en tire chaque jour un peu de richesse.
La grâce de la confirmation, c’est donc l’accomplissement du baptême ; si le baptême est une naissance, la confirmation est le sacrement de la croissance. L’enfance donne à découvrir la relation de filiation ; l’enfant comprend que la relation qu’il a avec ses parents n’est pas la même que celle qu’il a avec ses semblables ou avec les autres adultes. Parvenu à l’âge adulte, la filiation n’est pas pour autant détruite, elle est transformée. Le fils n’est alors plus un enfant mais il reste un fils : il est, au contraire, invité à redécouvrir cette filiation et en apprécier désormais la vraie richesse dépouillée de tout rapport de dépendance. Le rapport de filiation est rendu d’autant plus riche qu’il est désormais parfaitement libre.
Par le baptême, nous devenons enfant de Dieu. La confirmation, qui correspond au fait de parvenir à l’âge adulte, ne vient pas révoquer cette filiation, mais permet, au contraire, d’en développer toute la richesse. Elle nous unit plus fermement au Christ justement parce qu’en achevant l’initiation chrétienne, elle fait de nous un membre accompli de son corps mystique qu’est l’Église.
L’enfant, littéralement, d’après la signification latine du mot, c’est celui qui ne parle pas, c’est celui qui doit demander la permission pour ouvrir la bouche en présence des grandes personnes, lui dit-on. L’adulte, c’est, au contraire, celui qui est maître de lui-même, capable de parler et de décider parce qu’il a atteint un certain niveau de développement physique et mental. La confirmation nous donne cet accomplissement sur le plan spirituel. C’est pourquoi l’on dit que ce sacrement donne l’Esprit saint. En réalité, l’Esprit saint est présent en notre âme avec les deux autres personnes divines dès le baptême et tant qu’on demeure en état d’amitié avec Dieu. Mais la confirmation vient spécifiquement nous permettre de jouir de ses dons et les augmenter : don de sagesse pour apprécier toute chose comme sous le regard de Dieu, d’intelligence pour discerner le lien qu’il y a entre les choses, de force pour supporter ce qui est pénible et accomplir ce qui est méritoire, de conseil pour déterminer les moyens de cet accomplissement, de science pour connaître ce qui est caché, de piété pour rester uni à Dieu et de crainte filiale pour rejeter ce qui nous sépare de lui.
C’est pourquoi l’Église demande que les fidèles reçoivent ce sacrement dès l’âge de raison. La croissance spirituelle ne peut pas être séparée de la croissance intellectuelle des baptisés. Si toutefois ça a été le cas, la confirmation peut être reçue à tout âge, et elle doit l’être. C’est pourquoi, ce dimanche, alors que nous allons avoir la grande joie d’assister à la confirmation d’un adulte de notre paroisse – notre évêque ayant exceptionnellement permis à notre curé de conférer ce sacrement à sa place – je voudrais exhorter tous ceux parmi vous, adolescents ou adultes, même avancés en âge, qui n’ont pas encore reçu ce sacrement, à le demander auprès de vos pasteurs. Plusieurs temps de préparation sont organisés dans l’année, pour les jeunes comme pour les moins jeunes – mais la grâce de Dieu nous maintient toujours jeunes ! « Tout baptisé non encore confirmé peut et doit recevoir le sacrement de la confirmation », dit le Catéchisme de l’Église catholique, citant le code de droit canonique. C’est, en effet, un devoir des chrétiens d’être confirmé pour eux-mêmes, afin de parfaire leur union à Dieu, mais c’est encore un devoir social, envers l’Église. On ne peut vivre que pour soi, l’homme est par nature un être social et c’est également vrai sur le plan surnaturel. La croissance de l’arbre à moutarde dont parle Jésus, tout comme celle du cèdre d’Ézéchiel, permet à ces arbres de porter du fruit et fournit un refuge à tous les oiseaux du ciel. Notre propre croissance doit être mise au service de nos frères, surtout des plus fragiles d’entre eux.
« Sans la confirmation – poursuit le Catéchisme – le sacrement du baptême est, certes, valide et efficace [on est bien enfant de Dieu], mais l’initiation chrétienne reste inachevée ». Oui la grâce est toujours un don gratuit, mais elle ne peut jamais être sans rapport avec nos mérites personnels. Le don du baptême demande à être ratifié, recevoir la confirmation, c’est encore un devoir envers Dieu, qui a tout créé pour sa gloire et qui attend de nous que nous la chantions, comme le psaume de cette messe nous y invite.
La confirmation, en effet, imprime dans l’âme du fidèle qui la reçoit un caractère, c’est-à-dire une marque indélébile, comme le font aussi le baptême et l’ordre ; c’est pourquoi on ne peut recevoir ces sacrements qu’une seule fois. Les dons de Dieu, en effet, sont sans repentance. Par le baptême, Dieu nous reçoit comme son enfant ; par la confirmation, il nous reçoit en homme libre, ayant librement choisi de marcher à sa suite pour proclamer ses louanges. La confirmation nous marque du signe du Christ et nous distingue encore davantage de ceux qui portent le signe de la bête, dont parle le livre de l’Apocalypse.
Car toute notre vie spirituelle, en effet, doit être ordonnée à la fin des temps : à la fin de notre propre temps sur cette terre mais aussi, en tant que membre du Peuple de Dieu, à la lutte continue entre la cité de Dieu et la puissance du péché qui ne prendra fin qu’avec le retour du Christ. Les dons de l’Esprit saint sont ordonnés à la défense de la foi. Oui, la foi doit être défendue ; cette défense ne se fait toutefois pas dans la violence, mais dans la patience héroïque, comme celle dont ont témoigné les martyrs.
La croix sera toujours un signe de contradiction avec l’insouciance du monde – cette croix, cher S., dont votre front sera bientôt marqué avec le saint chrême – la parole Jésus sera toujours en contradiction avec la logique du monde, les chrétiens seront toujours en bute – au moins – à des résistances. Il ne faut ni s’en étonner, ni s’en scandaliser, ces choses nous ont été annoncées par Jésus comme autant d’occasions de le glorifier ; par contre, il nous appartient de nous y disposer. D’où l’importance de notre vie sacramentelle, d’où nous tirons la plénitude des dons de Dieu dont nous avons besoin dans la vie présente, en vue d’une seule chose, ultimement : notre salut éternel.
Amen.