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Jeudi de la 2e semaine du temps pascal ; saint Stanislas

 La liturgie fait une large place, à la messe, en ce temps pascal, à la lecture du livre des Actes des apôtres, tandis que nous lisons à l’Office le livre de l’Apocalypse. D’un point de vue chronologique, le temps pascal nous situe entre la Résurrection et l’Ascension, tandis que le livre des Actes raconte les temps qui font suite à la Pentecôte, et le livre de l’Apocalypse ce qui a trait aux fins dernières. On pourrait donc voir là une incohérence. Mais, en réalité, tant le livre des Actes que celui de l’apocalypse parlent des épreuves ultimes liées à l’annonce de la foi, et le fondement de notre foi, c’est la résurrection de Jésus. C’est donc à bon droit, sous ce rapport, qu’aussitôt après avoir fêté la victoire de Jésus sur la mort, nous méditons sur la rébellion de la mort face à sa défaite. Quoique terrassée par l’auteur de la vie, la mort bouge encore ! Derniers soubresauts d’un ennemi à terre qui peut toutefois encore frapper… Mais puisqu’elle ne peut plus rien à l’encontre du Christ, elle cherche à se venger sur ses fidèles.

L’apocalypse est un mot qui vient du grec et qui signifie littéralement « révélation » ; c’est le même mot qui est employé pour désigner l’acte par lequel un époux, lors des noces, soulève le voile de l’épouse et révèle son visage. Le livre de l’Apocalypse, en effet, ne décrit pas tellement une fin des temps cataclysmique mais plutôt les épreuves qu’ont à subir les fidèles du Christ en raison justement de la fidélité au Christ ; épreuves en rapport avec la fin : la fin des temps, certes, mais aussi la fin de notre temps personnel, qui nous est donné en cette vie, la fin de notre vie, la finalité de notre vie : connaître et aimer Dieu comme une épouse apprend à connaître et aimer son époux.

Le livre des Actes, quant à lui, raconte la prédication des apôtres après la montée au ciel de Jésus et le don qui leur fut fait à la Pentecôte. Aussitôt, les disciples furent confrontés aux épreuves de l’annonce de la foi ; c’est ce dont parle l’extrait dont nous avons fait la lecture : voici que l’on amène les apôtres devant le Sanhédrin : Conseil des prêtres juifs, ce même conseil qui avait décidé de livrer Jésus à Pilate pour le faire crucifier, et voilà qu’on leur reproche de propager l’annonce de la foi chrétienne, c’est à dire l’annonce de la résurrection. Car si Jésus n’est pas réellement ressuscité, en effet, comme le dit saint Paul aux Corinthiens, la foi est vaine. On lit aussi, dans les Actes, comment on tenta de faire taire par la corruption ou la violence les témoins oculaires de Jésus ressuscité. C’est encore dans le livre des Actes des apôtres que se trouve le récit du martyr du diacre saint Étienne, premier de tous les martyrs. Nous fêtons en ce jour, par ailleurs, saints Stanislas, lui aussi martyr, c’est-à-dire mis à mort en haine du Christ, assassiné parce qu’il restait fidèle à Dieu qui donne la vie, plutôt que soumis aux hommes qui sèment la mort.

Le mot « martyr » vient lui aussi du grec « μάρτυς », qui signifie « témoin ». Le martyr, c’est celui qui témoigne de la foi. Il est facile de témoigner par la parole, « c’est facile à dire ! », dit-on trivialement ; mais il est souvent moins facile de poser des actes qui donnent de la suite à nos paroles. Le martyr ne se contente pas de prêcher le Christ ; pour démontrer que Jésus est la source de la vie et la rend à ceux qui la perdent pour lui, le martyr va jusqu’à cette offrande suprême. Méditer sur le martyre, c’est méditer sur le témoignage ultime que nous pouvons faire de la foi. La célébration des fêtes des martyrs pendant le temps pascal, après la fête de la résurrection, qui est le fondement de la foi, a une saveur toute particulière au sein de l’année liturgique.

Quelle est la nature de l’acte du martyre ? Quelle est la nature du témoignage suprême de la foi ? Avec la parole, en effet, il y a un acte, mais cet acte n’est pas un acte transcendant, porté vers l’extérieur du sujet. L’acte du martyr, c’est un acte immanent à la personne, interne : c’est l’acte de supporter tous les maux par fidélité au plus grand des biens, qui procède de la certitude que tout le mal du monde n’est rien en regard du bien qui est Dieu. Et cela est très important à comprendre pour nous préserver de l’activisme. Le plus grand témoignage de la foi que nous pouvons donner n’est pas dans le fait de remuer la terre entière, il est dans le rayonnement de la présence de Dieu en nous.

La vertu par excellence du martyr est la vertu de force. Or, il y a deux actes essentiels de cette vertu : le fait de se porter hors de soi vers ce qui est difficile, et le fait de supporter intérieurement ce qui est pénible. Se porter vers la difficulté semble toujours ce qu’il y a de plus grand. Déjà parce qu’on le remarque, et aussi parce que ça a quelque chose d’exaltant, et semble devoir mobiliser une plus grande énergie. Mais en fait, le fait de supporter les épreuves avec constance dans la durée est plus vertueux, car la crainte tempère l’audace, tandis que la constance dans l’adversité ne procède que de la volonté, avec la grâce de Dieu.

Tout notre apostolat, celui de nous autres clercs, comme celui des laïcs, car l’évangélisation est une mission de l’Église toute entière – confère le canon 781 du Code de droit canonique ; on pourrait faire tout un cycle d’enseignement sur la richesse du droit de l’Église, qu’un de mes anciens curés appelait « le droit de la grâce », ça serait une idée… – tout notre apostolat, disais-je, tire son efficacité de notre seule vie contemplative. On ne peut donner que ce que l’on possède. Si nous voulons rayonner du Christ, il faut se mettre en état de lui faire de la place dans notre âme, par notre vie mystique – c’est-à-dire notre vie de prière – dans laquelle nous entrons par la vie ascétique – c’est-à-dire les efforts que nous faisons pour extirper le péché et l’erreur de notre âme et y ménager un petit coin douillet à Jésus, pour qu’il vienne habiter notre cœur.

Alors évidemment, c’est contre intuitif. On serait plutôt tenté de penser que c’est en étant hyperactif qu’on est hyper-évangélisateur. Mais en fait non ; ça, c’est le discours terrestre de l’homme terrestre, qui ne croit finalement qu’en lui. Celui qui croit en Dieu s’efface et laisse agir Dieu, ses efforts ne le portent qu’à faire entrer Dieu en lui, et à témoigner de ce qu’il a vu et entendu. Méditer sur les Actes des apôtres, sur l’Apocalypse, sur l’héroïsme des martyrs, en ce temps pascal, c’est méditer sur la façon dont nous pouvons recevoir en nous la grâce, qui se diffuse d’elle-même, si on n’y met pas d’obstacle à la manière dont la lumière de ce cierge béni dans la sainte nuit de Pâques et dont nous avons chanté la louange diffuse sa lumière et se reflète dans nos yeux.

Que l’exemple de la patience des martyrs, à commencer par celle des apôtres, nous préserve de l’activisme. Que leur intercession, notamment celle de saint Stanislas, celle de saint Pierre, et celle de tous ceux que nous invoquons dans la prière eucharistique, nous aide à demeurer forts dans la foi, contre les pièges du monde mais aussi contre nos tentations intérieures.

Amen.