Accéder au contenu principal

Jeudi de la 4e semaine de Carême (B)

 Le chemin spirituel que nous parcourons pendant le carême nous amène souvent à contempler les grandes étapes du livre de l’Exode. L’Exode est le deuxième livre de cette première partie de la Bible que les juifs appellent la Torah – ou la loi – et que nous, chrétiens, appelons le Pentateuque qui, comme son nom l’indique, comprend cinq livres ; le mot « pentateuque » vient, en effet, du grec « πέντε », qui signifie « cinq ». Pour vous en souvenir, rappelez-vous que le pent-agone est une figure géométrique à cinq côtés et que la Pente-côte est le cinquantième jour après Pâques.

Le livre de l’Exode, donc, raconte un voyage. Son nom, lui aussi tiré du grec « ἔξοδος – la sortie » fait référence au voyage des hébreux dans le désert, depuis la terre d’Égypte vers la terre de Canaan, Terre promise où coule le lait et le miel. Le récit de l’Exode rapporte les évènements qui sont parmi les plus généralement connus de l’Ancien testament. Arrivés en Égypte librement et en paix à la fin du livre de la Genèse, les hébreux se sont multipliés ; voici que, quatre siècles après la fin du récit de la Genèse, la grande famille des fils du patriarche Jacob forme désormais un peuple à part entière. Pharaon s’en inquiète et décide de réduire ce peuple en servitude. Dieu élit alors un homme au milieu du peule, Moïse, pour faire libérer les hébreux et les ramener, à travers le désert, vers leur terre d’origine.

Cette libération ne fut pas chose facile. Il fallut que Dieu infligeât à l’Égypte dix plaies, jusqu’à la mort subite de tous les premiers nés des enfants et des animaux des égyptiens, avant de laisser s’infléchir la volonté du roi. En mémoire de cela fut institué la fête de la Pâque juive, c’est-à-dire la commémoration du « passage » des hébreux de l’Égypte au désert, puis à travers les eaux de la mer rouge. C’est là l’origine des rites que l’on voit Jésus accomplir pendant la Semaine Sainte et sur lesquels se sont greffés les célébrations du mystère pascal : mystère de la mort et de la résurrection du Christ, mystère de son propre passage dans la mort vers la gloire.

Cependant, si la sainte liturgie offre à notre méditation ces textes historiques pendant le temps du Carême, ce n’est pas seulement car c’est dans cet épisode fondateur de la religion juive que se trouvent aussi les sources historiques de notre propre religion, mais c’est encore parce que les évènements de l’Exode sont une préfiguration mystique du mystère pascal et, de plus, une allégorie de toute notre vie spirituelle. Comprendre le cheminement des hébreux que nous rapporte le texte saint nous aide à comprendre le chemin de foi qui doit être le nôtre en cette vie, toute tournée vers la vie éternelle.

Les fils d’Abraham avaient été installés dans la terre de Canaan par Dieu, comme Adam et Ève avaient été créés dans l’état d’innocence, sans péché. Mais voilà, poussés par la faim, les hébreux descendirent en Égypte, de même que la curiosité et la convoitise ont poussé les premiers hommes à rompre l’état de sainteté originelle, et c’est pourquoi ils furent chassés du Paradis. Voilà l’humanité dans le péché, comme les hébreux en Égypte. Oh ! Ils y sont bien, ils ont tout ce qu’il leur faut, hormis le plus grand des biens auquel ils ont renoncé : la vision de Dieu.

Et voilà que le temps passe, les biens de ce monde, souillés par le péché, ne représentent plus l’attrait qu’ils avaient autrefois. Les biens de la terre nous lassent, ils nous donnent une petite satisfaction, mais elle ne dure pas et il nous en faut toujours davantage. Les hébreux finissent par devenir esclave de ce pays dans lequel ils étaient venus chercher la prospérité matérielle, comme les biens de ce monde nous asservissent.

Mais voilà que l’on entend parler du salut. Un homme pas meilleur qu’un autre, un homme comme nous, tiré d’au milieu de nous, nous parle de la lumière qu’il a vu, lumière de la Révélation, reçue par Moïse devant le buisson ardent, lumière de la foi reçue par un parent ou un ami auprès de telle ou telle âme sainte. Et ce témoignage nous met en mouvement, il nous invite à abandonner cette terre de mort sur laquelle nous nous désolons et nous lancer vers la Terre promise, terre au-delà du Jourdain pour les hébreux, terre au-delà de cette vie pour nous chrétiens. Nous nous levons, prêts à partir, mais voilà que notre ancienne vie nous rattrape ! La sévérité de Pharaon s’abat sur les hébreux comme la force des vieilles habitudes ou des mauvaises amitiés nous enchaîne à notre vie passée.

À main forte, Dieu fit sortir son peuple de la terre de l’abondance matérielle pour le conduire, dans le désert, vers le plus grand des biens. Notre conversion, elle aussi, nous a coûté mais, par la grâce de Dieu, nous avons persévéré et avons reçu le baptême comme les hébreux ont traversé la mer rouge ; d’esclaves, nous sommes devenus libres. Cependant, comme pour les hébreux, c’est à travers l’aridité que Dieu nous conduit à lui. Le chemin de notre vie chrétienne, en effet, quoique commencé dans les saintes eaux du baptême, est un désert.

La traversée est difficile. À tel point que nous en sommes parfois à regretter de nous être mis en route. Nous regardons en arrière et pensons à cette bonne terre d’Égypte où, certes, ne nous attendait que la mort, mais on pouvait au moins l’attendre confortablement. Nos vieilles habitudes nous gagnent. Voyez les hébreux, sortis d’Égypte par le Dieu unique, les voilà qu’ils se remettent à fabriquer une idole, ce Dieu fait de main d’homme, qui a des oreilles mais n’entend pas, une bouche mais ne parle pas, des yeux mais ne voit pas. Nous aussi, dans le cours de notre vie, nous pouvons être tentés de refaire des biens de ce monde de petits dieux à qui nous vouons tout notre cœur. Le chemin de notre vie est un chemin de purification.

Dieu ne nous laisse cependant pas le parcourir seul. Deux secours principaux nous sont donnés : les tables de la loi et la manne pour les hébreux, l’évangile et l’eucharistie pour nous chrétiens, qui nous guident et nous fortifient sur la route, jusqu’à son terme. Car le désert, chers amis, aura une fin. Cette fin, ce sont les berges du jourdain. Dans les livres liturgiques, on désigne parfois la partie dédiée aux funérailles comme « la pâque du baptisé ». Avoir franchi les eaux de la mer rouge ouvertes par la prière de Moïse ne suffisait pas, il fallait encore que les hébreux franchissent les eaux du Jourdain ouvertes par l’Arche d’alliance, contenant les tables de la Loi. De même il ne nous suffit pas d’avoir été baptisés pour posséder la vie éternelle, il nous faut encore passer personnellement à travers la mort, guidé par l’évangile, pour ressurgir à la vie.

Le texte de l’Exode est donc d’une actualité particulière en ce temps de carême, tandis que nous cheminons à travers notre petit désert personnel, pour prendre conscience de la grandeur de la promesse du baptême : promesse que nous avons faite de suivre le Christ, promesse que le Christ a faite de nous guider toujours et nous conduire à lui.

Amen.

Lire les textes de la messe


Nicolas Loir : La vénération du veau d'or, XVIIe s., collection privée