Chers amis, il y a parfois, dans l’évangile, des passages qui peuvent nous surprendre, voire nous heurter. Nous venons de lire l’un d’eux ce soir : à cette pauvre femme qui appelle à l’aide, Jésus répond qu’il n’est pas venu pour les chiens. Monseigneur Gilbey, un prélat anglais du XXe siècle, aumônier catholique de l’université de Cambridge, disait, afin d’exhorter les chrétiens à dépasser leur sensibilité, que Jésus ne nous aurait peut-être pas séduit sous son apparence purement humaine si nous l’avions connu pendant sa vie terrestre, à commencer – affirmait-il avec humour – par la façon qu’il avait de parler à sa mère. Et nous avons lu ce soir également une parole qui peut nous sembler très dure. Il ne faut cependant pas douter du fait que Notre Seigneur est venu dans le monde pour sauver tous les hommes, et qu’il a donné sa vie pour chacun d’entre nous ; comment, alors, comprendre ce que nous avons lu ?
Il faut rapprocher ce passage de la parabole de l’ami importun, que rapporte saint Luc. Rappelez-vous ce passage, dans lequel Jésus parle de cet ami qui arrive chez nous au milieu de la nuit, frappe à la porte, nous tire du sommeil et demande qu’on lui donne trois pains pain parce qu’un de ses amis est de passage chez lui et qu’il n’a pas de quoi lui offrir à souper. Et Jésus de conclure que, peu importe ce que cet ami pourrait nous demander, nous le lui accorderions, non pas en premier lieu parce que c’est un ami, mais avant tout parce qu’il nous importune à débarquer comme ça au milieu de la nuit et qu’on veut qu’il nous fiche la paix. Jésus se sert de cette parabole quelque peu triviale pour nous apprendre qu’il faut prier avec insistance, sans se lasser, avec la certitude qu’on sera exaucé, mais pas nécessairement de la façon à laquelle nous nous attendons.
Si Jésus s’adresse sur ce ton à la syro-phénicienne dont nous avons parlé ce soir, ce n’est pas par dureté de cœur, mais pour éprouver sa confiance ; la confiance étant le produit de la foi et de l’espérance, qui se fortifient mutuellement. Les juifs, en effet, revendiquaient, du fait de l’élection divine, une supériorité sur les autres peuples. En donnant à cette femme l’occasion de manifester sa foi, Jésus manifeste, quant à lui, que tous les êtres humains sont appelés à bénéficier des promesses du salut s’ils embrassent la foi. Ce qui nous semble dur, au premier abord, manifeste, en réalité, la tendresse de Dieu.
Il ne suffit pas, en effet, chers amis, d’être bien né pour bien vivre et bien mourir. Voyez la première lecture : parce que le cœur de Salomon – le propre fils de David – n’était plus tout entier au Seigneur, alors son royaume fut divisé. L’alliance ne fut pas remise en cause : Dieu ne la rompit pas, c’est l’homme infidèle qui y renonça unilatéralement et, de ce fait, s’en mit lui-même à l’écart. Il est très important de comprendre qu’il ne suffit pas d’être né dans une famille chrétienne, baptisé tout petit et ensuite fidèle matériellement à toutes les obligations chrétiennes : la messe le dimanche, etc. Notre relation à Dieu se développe avant tout dans notre vie théologale, dans notre vie de foi, d’espérance et de charité. C’est pourquoi le fait d’être venu à la religion sur le tard, ou bien de s’en être détourné à un moment et d’y être revenu plus tard, ne doit pas nous faire nous considérer comme des chrétiens de second ordre, ou de seconde zone… Bien plus encore : le fait de connaître des difficultés dans sa vie chrétienne : le fait d’avoir de la peine à combattre un péché, le fait d’avoir une situation de vie qui limite – voire empêche – la réception des sacrements, etc. ne doit jamais nous laisser penser que nous avons une place réduite dans le cœur de Dieu, pour peu qu’on cherche à persévérer dans son amour, ce qui commence par demander à Dieu lui-même cette grâce.
La syro-phénicienne faisait partie de ces peuples méprisés par les juifs, mais cela fit finalement sa grandeur. L’évangéliste Matthieu, qui rapporte aussi cet épisode, relate encore cette parole de Jésus, que Marc n’a pas retranscrite : « Femme, grande est ta foi ». Et saint Jean Chrysostome a imaginé un développement à cet éloge : « Oui, grande est votre foi, alors que vous, vous n’avez pas vu la résurrection d’un mort ni la guérison d’un lépreux, vous n’avez pas entendu la voix des prophètes ni pratiqué la loi de Dieu, vous n’avez pas contemplé la mer s’ouvrant sous vos pas ni rien de semblable. Vous avez été humiliée et repoussée, mais vous ne vous êtes pas éloignée de la présence de Dieu et avez persévéré dans votre supplication ; vous avez montré une foi héroïque, aussi avez-vous obtenu une grâce extraordinaire ».
L’exemple de cette femme doit être un modèle de persévérance dans notre vie chrétienne. Il peut nous arriver, en effet, de nous sentir humiliés et rejetés par l’Église ; nous sommes parfois traités trop durement mais à juste titre, mais nous pouvons encore être injustement repoussés, méprisés, insultés. Soyons alors convaincus, à l’exemple de la syro-phénicienne, que ces épreuves n’ont qu’un seul but : celui de renforcer notre confiance en Dieu et persévérer dans son amour, en vue d’une abondance de grâce, et surtout de la plus grande d’entre toutes, que nous sommes tous invités à recevoir : la grâce de vivre éternellement en présence de Dieu.
Amen.
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