Dans le langage biblique, la maladie et le péché sont souvent associés ; on voit généralement, en effet, dans les textes saints, la figure du malade désigner au sens spirituel celle du pécheur. Il ne faut pas les confondre : le péché est toujours un acte volontaire, tandis qu’on ne choisit pas d’être souffrant, fatigué, ou tout simplement âgé ! Mais la maladie et péché se ressemblent sur de nombreux points : notamment en ce que sont deux maux qui peuvent nous conduire à la mort si l’on n’y prend pas garde, et aussi par le fait qu’à chacun d’eux correspond heureusement un remède. C’est donc à bon droit que l’on peut parler de la maladie, que l’on voit, pour symboliser l’état de l’âme dans le péché, que l’on ne voit pas.
La loi ancienne était incapable de sauver : le Christ n’était pas encore venu dans le monde, n’avait pas souffert, n’était pas mort et n’avait pas ressuscité pour conférer aux sacrements leur efficacité. Cependant, la loi ancienne pouvait disposer au salut en manifestant le péché, en révélant le mal, pour que l’on puisse l’éviter, mais rien de plus. « Tant que le lépreux gardera cette tâche, il sera vraiment impur, il habitera à l’écart, hors du camp », dit ce passage du livre des lévites que nous avons lu. La maladie était alors vécue comme un chemin d’isolement progressif, d’éloignement inéluctable et, en dernière instance, de désolation et de mort.
Dans la loi nouvelle, au contraire, les sacrements réalisent ce qu’ils signifient. Les sacrements de guérison guérissent réellement. C’est la fin de la fatalité du péché, mais aussi de ses conséquences, notamment la maladie et la mort, qui sont entrés dans le monde par le péché originel et qui deviennent, si elles sont associées au mystère pascal, mystère de la Passion et de la Résurrection de Jésus, si elles sont vécues dans la grâce, un chemin de conversion, c’est à dire de rencontre avec Dieu, en vue de la vie éternelle.
« Saisi de compassion – raconte l’évangile – Jésus étendit la main et toucha le lépreux ». Jésus est « saisi de compassion » pour les malades. La compassion du Christ pour ceux qui souffrent doit servir de modèle à son corps mystique, qui est l’Église : « j’étais malade, et vous m’avez visité », dit Jésus dans un autre passage de l’évangile, en décrivant ce dont il sera demandé compte aux hommes au jour du jugement. Mais Jésus ne fait pas que visiter les malades : se laissant toucher, il les touche lui-même ; et le toucher du Christ, propagé par l’Église à l’humanité toute entière, ce sont les sacrements. Il existe justement un sacrement spécifiquement réservé aux malades, parmi les sept sacrements de la Nouvelle alliance, que sont le baptême, la confirmation, l’eucharistie, la pénitence, le mariage, l’ordre et, enfin, l’onction des malades.
Les sacrements sont des signes sensibles, institués par le Christ, pour produire la grâce en nos âmes. Et pour prouver que Jésus a ce pouvoir sur les âmes, que l’on ne voit pas, il montre son pouvoir sur les corps, que l’on voit. Rappelez-vous cet autre passage de l’évangile, quand les sceptiques doutaient du pouvoir de Jésus de remettre les péchés ; voilà que Jésus leur demande ce qui est le plus facile : « remettre des péchés que l’on ne voit pas, ou bien guérir miraculeusement une infirmité que l’on voit ? » Vous connaissez l’expression : « c’est facile à dire, mais pas facile à faire ! » Remettre les péchés, en effet, c’est facile à dire, parce que c’est difficile à vérifier ; tandis qu’il est beaucoup plus difficile de dire que l’on peut que guérir un homme paralysé par sa seule parole, car la réalité vient immédiatement attester des suites de nos propos. Hé bien pour prouver qu’il a le pouvoir de faire ce qu’il dit, Jésus, à ce moment, rendit ses mouvements à un pauvre homme paralysé qui était là, afin que « cela serve de témoignage pour les gens », dit l’évangile.
Toutefois, Jésus n’est pas venu dans le monde pour guérir les corps mais les âmes. La prière n’exclut pas le recours à un médecin ; les deux, au contraire, vont ensemble, car nous sommes un corps et une âme substantiellement liés : rien ne touche l’un qui ne touche l’autre, quoique les deux soient bien distincts. Jésus ne guérit donc pas tous les malades, tout comme les sacrements ne soulagent pas toute la souffrance du monde.
Si toutefois les sacrements sont là pour nous donner la grâce, le témoignage de l’amour de Dieu, on peut se demander quelle est la grâce propre du sacrement des malades, si ce n’est pas forcément la guérison des corps.
On l’a dit, quoique distincts, le corps et l’âme ne sont pas séparés : ce qui touche l’un touche l’autre, et c’est pourquoi la faiblesse du corps peut entrainer la fragilisation de l’âme. Spécialement dans les pires moments, le diable peut se servir de cette fragilité pour conduire au désespoir, ou d’une façon ou d’une autre au péché. La grâce propre du sacrement des malades consiste donc dans la fortification de l’âme au moment où le corps s’effondre ; le sacrement vient conforter l’union du fidèle à Dieu dans les faiblesses propres à l’état de maladie. Ce sacrement invite particulièrement ceux qui le reçoivent à associer leurs souffrances, et même l’abandon de leur vie à la Passion rédemptrice du Christ, afin que lui les associe à sa résurrection.
Songeons un instant à la grandeur des malades, rendus dignes d’avoir une place si spéciale dans le cœur de Dieu, qu’un des sept sacrements de l’alliance nouvelle leur est réservé. Là où la maladie est, sur le plan naturel, un chemin d’isolement et de déchéance, plongée dans le mystère évangélique, elle devient un chemin d’union et de vie. Union de l’âme et du corps, en faisant accepter à la première les faiblesses du second et les dépasser ; union de la conscience avec son passé, par l’appel à l’offrande des souffrances présentes pour la rémission de ses propres péchés ; union de tous les baptisés avec les plus fragiles, qui sont reconnus et acceptés dans l’Église en tant que tels et sont invités à témoigner de la foi dans la faiblesse de cette vie ; union de Dieu avec les malades, qui reçoivent l’ultime gage de la bonté divine et l’ultime secours dont il ont besoin pour la vie éternelle.
Jésus n’est pas venu dans le monde pour abolir toute détresse, mais pour nous faire comprendre que nous ne sommes jamais seuls. Par l’exemple de sa Passion et de sa Résurrection, il nous a montré que la Croix est un passage obligé mais non une fin. La fin, c’est la vie éternelle. Là où nous sommes isolés, le sacrement des malades vient permettre à Jésus de nous atteindre et nous accompagner, de nous toucher et de nous laisser toucher par lui afin de le rejoindre, pour l’éternité.
Amen.