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Homélie sur la guérison du lépreux

 Alors que nous célébrons ce jeudi une messe votive du Saint Sacrement – le jeudi étant le jour privilégié de la dévotion envers le Corps et le Sang de notre Seigneur sous les espèces sacramentelles, en raison de l’institution de l’Eucharistie le Jeudi Saint – l’évangile dont nous venons de faire la lecture nous offre, de façon tout à fait opportune, avec l’histoire de la guérison de ce pauvre homme qui souffrait de la lèpre, un modèle de dévotion eucharistique. Les paroles qu’il tint, en effet, nous rappellent directement celles que nous avons l’habitude de tenir nous-mêmes, ainsi que nous le ferons dans quelques instants, devant Jésus avant de le recevoir : « si tu le veux, tu peux me purifier – dis seulement une parole et je serai guéri ».

La lèpre, dans l’Écriture sainte, symbolise le péché ; le mot « lèpre » vient d’un verbe grec qui signifie « éplucher, enlever l’écorce ». Le péché nous ronge : les fautes qui nous semblaient les plus légères, si on les laisse s’installer, nous grignotent petit à petit ; couche après couche, elles pénètrent plus profondément dans notre être pour nous détruire, jusqu’à ne pas simplement nous tuer, mais encore nous faire pourrir et disparaître. La contagion de la lèpre fait de celui qui en souffre un paria : il est mis au ban de la société. La lèpre détruit jusqu’à notre existence sociale. Et le péché fait de même : il ne vient pas seulement souiller notre âme, mais il use et va parfois jusqu’à rompre notre relation à Dieu et avec nos frères.

Non seulement la loi juive, mais encore la plupart des lois, lorsque la lèpre était une maladie relativement répandue, défendait les contacts avec les lépreux, afin d’enrayer leur contagion. Lorsque la nouvelle de la guérison du lépreux de l’évangile se répandit, Jésus ne put plus entrer dans les villes, la plupart des gens ne voulait plus le voir car il avait touché un lépreux, on pensait qu'il s'était souillé. Alors il se retirait dans des endroits déserts, où seuls les vrais adorateurs venaient le trouver.

Vous-mêmes, chers amis, en sortant de vos maisons, en abandonnant leur confort et en bravant la pluie, vous êtes venus vous retirer ici, dans ce lieu que l’on pourrait dire désert, si l’on en juge par tous ces bancs vides, parce que vous savez que c’est là que réside celui qui peut nous guérir de nos péchés. Le péché n’est pas une maladie : il a toujours une dimension volontaire – on pèche toujours par notre volonté, jamais malgré nous, sinon ce n’est plus un péché – dimension que n’a évidemment pas la maladie, on ne choisit pas d’être malade. Mais la maladie est une image légitime pour parler du péché car elle lui ressemble par ailleurs : d’une part car elle nous mène à la mort, mais encore parce qu’elle a un remède, et ce remède, c’est Jésus lui-même.

Jésus n’est pas venu pour les bien portants – il le dit clairement par ailleurs dans l’évangile – mais pour guérir les malades. En touchant le lépreux, il prend sur lui sa lèpre, comme on contracte une maladie contagieuse, sauf que la lèpre est incapable de souiller celui qui est la pureté même, et n’a sur lui aucun effet ; tout comme en se faisant homme, Jésus a épousé notre condition déchue jusqu’à se faire péché, comme le dit saint Paul, mais le péché n’a eu sur lui aucune emprise. En guérissant le lépreux, Jésus le rétablit dans sa condition originelle, et lui rend sa place dans la société en lui disant d’aller se montrer, conformément à la loi de Moïse ; il rétablit du même fait l’homme dans l’ordre voulu par Dieu. En touchant le lépreux, Jésus rompt la séparation entre le pur et l’impur, qui était au centre l’Ancienne alliance, et en renverse la logique : il condamne ceux qui se souillent de vaine gloire en exaltant leur pureté extérieure, en même temps qu’il purifie ceux qui se reconnaissent souillés : le lépreux qui vient se prosterner et implorer sa guérison, le publicains qui se frappe la poitrine, le centurion païens qui se reconnaît indigne d'accueillir Jésus chez lui ; c’est un des enseignements au cœur de l’évangile. À tel point que ce sont ces trois figures qui nous sont données à imiter dans le rituel de la communion.

« Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir » : si nous étions des saints, nous serions dignes de Jésus. Mais ce n’est pas le cas – enfin, ce n’est pas mon cas ! « Mais dis seulement une parole et je serai guéri » : dis une parole, toi qui es le Verbe de Dieu. Dis seulement une parole, car tu es tout-puissant, et je serai guéri, c’est-à-dire que je serai rendu sain. S-A-I-N, c’est-à-dire en bonne santé. Mais aussi saint, S-A-I-N-T, car c’est le salut éternel que toi, Jésus, tu es venu nous apporter.

Si nous répétons ces paroles au moment de recevoir la sainte communion, c’est parce que nous savons que c’est par l’Eucharistie que l’on progresse sur le chemin de la sainteté, c’est-à-dire de la guérison du péché, de cette lèpre qui nous a contaminé par le péché originel, dont la racine a été tranchée par le baptême, mais dont il faut encore combattre les effets. L’Eucharistie est vraiment le sacrement de ceux qui sont en progrès, tandis que la confession est le sacrement qui vient relever ceux qui ont eu le malheur de tomber. L’Eucharistie nous fortifie dans le combat spirituel, combat contre nos vices par la vertu et contre les mauvaises influences par les Dons de l'Esprit saint, en vue du salut éternel.

En sortant de chez nous et en venant ici participer à cet admirable sacrement du mémorial de la Passion du Seigneur, dans lequel Jésus nous touche physiquement nous aussi, puisque c’est son Corps que nous recevons, ayons donc à cœur de demander la purification de notre âme de tout ce qui la souille, c’est-à-dire de tout ce qui ne vient pas de Dieu ou qui n’est pas pour Dieu.

Amen.

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