Tandis que nous sommes encore tout émerveillés des splendeurs du temps de Noël, dont la lumière brille encore à nos yeux dans la crèche, les lectures de ce dimanche ont quelque chose qui peut sembler austère, en nous appelant à la pénitence et à la conversion. La première lecture relate la prédication de Jonas, qui exhortait les ninivites à la pénitence ; la deuxième celle de saint Paul aux corinthiens, qui leur rappelait que les temps sont comptés, et qu’il faut agir en toute chose en vue non pas des biens de ce monde, mais de ceux du monde à venir. Quant à l’évangile, il se situe au carrefour entre la prédication de Jean-Baptiste et celle de Jésus, tous deux appelant à la pénitence et à la conversion. Comment comprendre ces textes ? Comment comprendre ce que Dieu veut nous dire par eux ce dimanche ?
« Seigneur, chante le psalmiste, enseigne-moi » ; on dirait que la sainte liturgie a prévu ce texte comme une prière pour le prédicateur qui vous parle et qui doit parler à la suite de Jonas, de Paul, de Jean-Baptiste, … de Jésus ! Que dire ? « Enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve ». Si on nous prêche la pénitence, chers amis, c’est en vue de notre salut ; voilà l’idée principale qu’il faut retenir.
Si Dieu ne nous aimait pas, en effet, il ne nous parlerait pas. Si Dieu nous parle et nous exhorte à nous convertir, c’est justement parce qu’il nous aime. Parce qu’il nous aime, Dieu nous a créés à son image, c’est-à-dire doués de liberté. Nous sommes capables de faire des choix qui ne sont pas réductibles à notre origine sociale et culturelle, à notre condition économique ou à notre état psychologique. Nous pouvons généralement choisir librement de faire ou ne pas faire telle ou telle chose, c’est pourquoi nous sommes responsables de nos actions ; et parce que nous en sommes responsables, il est juste que nous en recevions les fruits : la récompense pour le bien et le châtiment pour le mal.
« Frères, je dois vous le dire, le temps est limité », annonce saint Paul aux corinthiens ; « encore quarante jours et Ninive sera détruite », proclamait quant à lui Jonas. Notre temps est compté. C’est une vérité que l’on connaît en théorie, mais que l’on a parfois du mal à incarner. On se demande souvent à quoi sert le déroulement du cycle liturgique ; à quoi sert la réitération, années après années des différents temps liturgiques. Notez que l’on ne s’étonne pas tellement des célébrations de Noël ou de Pâques mais que l’on se pose plutôt cette question au moment du Carême ! À quoi ça sert ? Qu’y a-t-il encore à dire ? Si c’est juste pour se souvenir des évènements de la vie de Jésus, pourquoi a-t-on besoin de jeûner ? Et bien c’est justement les temps liturgiques ne sont pas seulement des commémorations, mais bien plus que ça : ce sont autant de renouvellements de la prédication de l’évangile, toujours neuf, qui nous sont donnés à chaque fois à travers un mystère en particulier : l’attente du messie, sa venue dans le monde, sa prédication, sa Passion, sa résurrection, son Ascension, etc. Et parce que cette prédication est toujours nouvelle, toujours renouvelée, elle appelle des actes de conversions toujours nouveaux.
Nous n’avons pas hélas, une fois pour toute, choisi de suivre le Christ au moment de notre baptême. C’est un choix qu’il nous faut sans cesse refaire. Dans toutes nos actions, nous devons renouveler ce choix. Est-ce que ce que je fais, je peux le faire sous le regard de Dieu ? Est-ce que ce choix que je m’apprête à faire, je peux le faire pour Dieu ? Et parce que nous ne faisons pas toujours le bon choix, il faut que la bonne nouvelle du salut nous soit régulièrement remise sous les yeux, afin que nous puissions toujours la choisir à nouveau, par les différents moyens que nous offre la grâce : proclamer notre foi, recevoir les sacrements, faire pénitence. « Convertissez-vous, croyez à l’évangile », voilà ce que nous dit Jésus ce dimanche.
L’appel à la pénitence, loin d’être austère, nous rappelle au contraire que nous sommes appelés au salut, mais puisque nous sommes des êtres libres, nous sommes appelés à choisir librement de recevoir ce salut qui nous est offert. Et pour cela, nous devons renoncer à tout ce qui peut mettre un obstacle au salut. La croix, par laquelle le monde a été sauvé, demeurera toujours un mystère ; jusqu’à la fin des temps, elle sera un scandale et une folie. « Qu’est-ce que ça peut faire au Bon-Dieu que je jeûne ou pas ? Que je m’abstienne de ceci ou de cela ? » ; voilà la question que l’on se pose souvent, et que l’on va se poser de plus en plus tandis que le Carême approchera, et dont l’esprit est déjà annoncé par les lectures de la messe de ce dimanche. Et il ne faut ni s’étonner, ni s’affliger que nous nous posions cette question. Le premier dimanche de Carême, nous lirons que Jésus aussi a entendu que le diable lui susurrait à l’oreille de telles pensées. Plutôt que nous demander ce que cela fait à Dieu que nous fassions pénitence, il faudrait que nous nous posions une autre question, après avoir entendu les textes de ce jour, qui nous appellent à la conversion : « qu’est-ce que ça lui fait, au Bon-Dieu, que je méprise sa parole ? » Car quand nous rejetons les pratiques de pénitence, nous rejetons la Parole de Dieu qui nous exhorte à les accomplir.
La pénitence, nécessaire à la conversion, n’est, en effet, pas une fin en soi : elle est un moyen vers le salut. Si Dieu nous appelle à nous réjouir pendant les temps de fête, c’est pour nous rappeler qu’il nous a sauvé ; s’il nous invite par ailleurs à quelque austérité, c’est pour nous dire qu’il ne nous sauve pas contre notre volonté, malgré nous, mais qu’il le fait avec nous. Et ça, voyez-vous, c’est le signe de la grandeur de l’homme : être capable, devant Dieu, d’avoir un rôle à jouer. Dieu ne nous écrase pas, il nous aime, et parce qu’il nous aime, il nous élève en nous montrant qu’il attend quelque chose de nous, c’est-à-dire qu’on le choisisse à chaque instant de nos vies, tout comme lui a choisi chacun d’entre nous pour l’éternité.
Oui, « il est bon, le Seigneur, lui qui montre aux pécheurs le chemin – chante encore le psalmiste – dans ton amour, ne m’oublie pas ».
Amen.