Permettez-moi de vous souhaiter à tous un joyeux Noël ! Oui, c’est la joie, en effet, qui domine nos sentiments en ce beau jour. On se souhaite habituellement une « bonne fête », lors des grandes solennités qui ponctuent l’année, mais nous nous souhaitons un Noël « joyeux ». « Cette nuit, jamais il a été aussi content de sa vie, le Bon Dieu », nous dit d’ailleurs l’ange Boufaréu dans la Pastorale des santons de Provence.
On ne peut être triste, en effet, lorsque nous célébrons la vie ; à plus forte raison devons-nous donc nous réjouir lorsque nous célébrons la naissance-même de l’auteur de la vie. Vous aurez remarqué que cette joie, chers amis, est si puissante, qu’elle rayonne sur l’ensemble de notre société, en dépit du fait que cette dernière cherche à oublier ses racines chrétiennes. Noël est partout, même si nos contemporains oublient souvent ce que cette fête signifie. Pourtant, la vision que notre monde a de la fête que nous célébrons aujourd’hui n’est pas totalement fausse, elle est simplement tronquée. Il est bien naturel, en effet, de se réjouir de la naissance d’un enfant. Mais notre joie à nous, chrétiens, n’est pas que naturelle. Elle a aussi quelque chose de surnaturel car elle vient aussi, et même surtout, du fait que nous croyons que cet enfant est Dieu lui-même, le Verbe fait chair, fait homme, pour notre salut, comme nous le chanterons dans quelques instants dans le Credo. Ce n’est pas simplement un enfant qui est né ; si nous nous réjouissons des merveilles du Seigneur, comme l’antienne d’ouverture de la messe de ce jour nous invite à le faire, c’est parce que c’est un Rédempteur qui nous a été donné cette nuit.
Et cette joie est d’autant plus forte qu’elle arrivé au terme d’une attente de quatre semaines – enfin, théoriquement, c’était plutôt trois cette année ! – attente jusqu’à cette nuit au cœur de laquelle un Sauveur est né pour nous ; attente de l’Avent, commémorant l’attente de tout l’Ancien testament. Alors que nous célébrons l’issue de cette attente avec la naissance du Christ, l’auteur de la lettre aux hébreux nous expose tout le sens que prend cette naissance.
Dieu, en effet, avait dans le cours des siècles passés parlé de nombreuses fois et de nombreuses façons à son peuple par les prophètes, depuis Jacob annonçant que c’est de la tribu de Juda qu’allait naître celui qui ferait le salut de toutes les nations, jusqu’à Jean-Baptiste, qui vint « pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui », en passant par Isaïe, dont la lecture nous a guidé pendant tout le temps de l’Avent, et encore ce matin.
Désormais, Dieu lui-même s’est fait connaître personnellement en la personne de son Fils, Fils engendré de toute éternité, non pas créé, et par qui toute la création a non seulement été faite, mais aussi rachetée de la rançon du péché. Ainsi, avec la venue du Christ dans le monde, s’achèvent les promesses offertes au seul peuple juif en même temps qu’elles s’accomplissent ; et se met en place l’économie de la rédemption pour tous les hommes. C’est la fin de l’Ancienne alliance par laquelle Dieu guidait un peuple dans les méandres de l’histoire et l’avènement d’une Nouvelle alliance par laquelle Dieu guide chaque homme, dont il se fait un enfant en l’adoptant par le sacrement du baptême, vers son salut.
La grâce de la fête de Noël, ce n’est pas seulement le don d’un Fils, mais aussi celui d’un Père. En se faisant homme, Jésus devient notre frère, et son père devient aussi le nôtre. Ce n’est pas seulement Dieu qui s’abaisse et prend la nature humaine par l’Incarnation, c’est toute l’humanité qui est élevée et rendue participante de la divinité par ce mystère. C’est ce qu’exprime si bien la liturgie quand, à l’offertoire, alors que se prépare le moment le plus important de la messe, on verse une goutte d’eau dans le vin du calice. L’eau ainsi mêlée au vin disparaît : le mélange reste du vin, mais pourtant, la matière de l’eau est toujours là, seulement, elle a été absorbée par le vin ; préservée dans son être et en même temps élevée à une nature plus haute. C’est ce qu’il advient de l’humanité par l’Incarnation : nous sommes l’eau ainsi plongée dans le vin. De notre point de vue, relativement à nous, c’est Dieu qui se fait petit enfant au milieu de nous, mais en réalité, du point de vue de Dieu, cette petite chose qu’est la nature humaine, vis-à-vis de lui, est plongée dans l’immensité de sa charité infinie.
C’est pourquoi la grâce de l’Incarnation rejaillit sur toute la nature humaine, pas seulement sur les chrétiens. Et c’est pourquoi le monde entier est illuminé par Noël, même si c’est un peu malgré lui. C’est pourquoi ceux qui veulent trancher les racines chrétiennes de notre monde ne veulent pas supprimer la manifestation de notre joie – ils en seraient incapables – mais ils veulent empêcher les hommes de connaître la cause de cette joie en refusant de donner à la fête d’aujourd’hui le nom qui est le sien : Noël ! Non, on parle plutôt des fêtes de fin d’année, ou des vacances d’hiver…
« Noël » est un nom très français sans équivalent dans les autres langues. Il provient du mot latin « natalis », qui est relatif au vocabulaire de la naissance, lentement déformés par les siècles ; la désignation liturgique officielle de ce jour étant justement la « Nativité du Seigneur ». Quand donc nous proclamons ce mot de « Noël », nous annonçons la naissance du Seigneur, il est par conséquent très important d’y demeurer attaché.
Voyez donc, chers amis, quelle est la grâce de ce jour. Ce n’est pas un enfant comme les autres qui est né. L’enfant de la crèche, c’est celui dont il était écrit : « toi, Dieu, ton Dieu t’a consacré d’une onction de joie », comme le précise la suite de la lettre aux hébreux. L’huile, dans l’Ancien testament, a toujours été le symbole de la grâce car il imprègne tout, pénètre tout, marque tout, parfume et demeure. Cet enfant qui est né n’a pas encore de nom, car, conformément à la tradition juive, un nom ne lui a été donné que huit jours après sa naissance, mais il est déjà le Christ.
« Christ », en effet, vient d’un mot grec qui signifie « oint ». Celui qui est oint, c’est celui sur qui on a fait une « onction », c’est-à-dire que l’on a marqué avec de l’huile en signe de bénédiction. Tous les baptisés ont été oints au jour de leur baptême avec les huiles saintes en signe de conversion et d’appartenance à Dieu. Nous l’avons encore été au jour de notre confirmation, sur le front, en signe de persévérance dans la foi et de courage dans le combat spirituel. Les prêtres ont eu aussi les mains ointes par leur évêque, alors qu’il leur conférait le pouvoir de célébrer le saint sacrifice de la Messe – et c’est pourquoi nous avons l’usage pieux d’embrasser les mains des prêtres nouvellement ordonnés.
Si cet enfant qui est né peut être dit « consacré d’une onction de joie, de préférence à [tous les autres] », s’il peut être dit celui qui est oint par excellence, c’est parce que, étant lui-même Dieu fait homme, il possède la grâce, qui est la vie-même de Dieu, en plénitude. C’est le sens du mot « Christ ». Et comme un baume répand son parfum sur tout ce qu’il imprègne, le Christ diffuse sa grâce sur tous ceux qui l’approchent pour que, à leur tour, ils la répandent. La joie de Noël se diffuse donc dans toute la société, c’est pourquoi nous avons chanté avec le psalmiste que le Seigneur a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations, la Terre toute entière a vu la victoire de notre Dieu ; acclamez le Seigneur, Terre entière ! Sonnez ! Chantez ! Jouez ! Mais pour que la terre entière chante sa joie à Dieu, encore faut-il qu’elle sache d’où vient sa joie, et que c’est la naissance du Sauveur que nous célébrons aujourd’hui.
C’est pourquoi la joie de Noël doit irradier notre vie, chers amis. Car la grâce de ce jour n’est pas une joie seulement humaine par laquelle nous célébrons une naissance – ce qui est cependant un juste motif de réjouissance, et c’est pourquoi cette fête de Noël est la fête de famille par excellence – mais la grâce de cette fête est aussi et surtout la grâce de la Rédemption qui se met en marche. Par l’avènement du Christ nous est donné la libération du pêché, en ces temps qui sont les derniers, c’est-à-dire qu’il n’y a désormais plus rien à attendre sur terre pour faire notre salut. Le Rédempteur, en effet, est venu et, par son amour envers nous dont il a témoigné jusqu’au bout, il a brisé les chaînes du péché tout en nous offrant les moyens de persévérer dans la grâce ; moyens que sont notamment les sacrements et en particulier la confession et l’eucharistie. Nous devrions peut-être aujourd’hui, devant la crèche, réfléchir à la place qu’ont ces sacrements dans notre vie.
Que la joie de la Nativité et les réjouissances bien légitimes que nous vivons en ces jours n’aient donc qu’un but : nous tourner davantage vers le ciel et chercher à y conduire ceux qui nous entourent.
Joyeux Noël !