Alors que nous venons de tracer sur notre corps le signe de la croix, que nous avons accompagné de l’invocation des trois personnes de la sainte Trinité, il peut être bon, chers amis, de méditer quelques instants sur ce signe distinctif des chrétiens, qui est le signe de la croix, que nous répétons si souvent au point que nous n’avons, peut-être, plus conscience du sens de ce que nous faisons par là.
Car ce signe, en effet, est indissociable de notre condition de chrétiens, et la raison en est qu’il nous renvoie à ce qui fait de nous des chrétiens, c’est-à-dire le baptême. Le signe de la croix accompagné de l’invocation des trois personnes de la Trinité est un signe fondamentalement baptismal, puisque c’est par ce signe que nous avons été baptisés. C’est notamment pourquoi c’est le signe que l’on fait en rentrant dans l’église avec l’eau bénite. Et puisque le baptême est le commencement de notre vie chrétienne, il vient que les chrétiens ont l’habitude de placer sous ce signe tout ce qu’ils entreprennent en tant que chrétiens C’est encore pourquoi on fait ce signe à toutes les bénédictions, c’est-à-dire quand on veut inscrire quelque chose dans l’ordre du salut. Le Catéchisme de l’Église catholique invite donc tous les fidèles à commencer la journée par le signe de la croix, afin d’invoquer l’aide du Fils pour vivre dans l’Esprit en enfant du Père. Le signe de la croix nous rappelle la vie à laquelle nous sommes appelés : la vie avec le Dieu unique et trine à la fois.
Mais ce signe nous rappelle aussi le moyen par lequel on parvient à cette vie : ce moyen, c’est la croix. Le signe de croix nous rappelle que toutes les grâces passent par la croix, car c’est par la croix que le monde est sauvé, et que c’est de la Passion de Jésus que découle l’efficacité des moyens privilégiés de notre salut que sont les sacrements. Jésus aurait pu nous sauver en un claquement de doigt, mais lui, le Fils du Dieu vivant, également tout-puissant comme le Père, a choisi ce moyen. Quel respect devons-nous alors avoir pour ce signe !
Mais voilà, nous avons du mal à l’accepter. Nous avons du mal à accepter ce chemin qui nous est indiqué par la foi, mais il ne faut pas s’en étonner. La souffrance est le fruit du péché, elle n’entre pas dans l’ordre voulu par Dieu, c’est pourquoi elle est toujours un scandale et une folie. La sagesse du monde ne peut pas accepter la croix ; c’est la révélation qui nous en fait cependant comprendre la nécessité.
La sagesse de Dieu, en effet, prend le monde à rebours ; c’est pourquoi saint Paul affirme aux corinthiens qu’il ne cherche pas à les convaincre par ses paroles, par le langage du monde, mais simplement à leur annoncer le mystère de Jésus, c’est-à-dire de Jésus crucifié afin que, mis en présence de ce qui est une folie pour le monde, ils reconnaissent néanmoins la sagesse de Dieu.
La croix sera toujours une folie pour le monde. Dans la propagation du message chrétien dans le monde, à laquelle nous participons tous selon notre condition et nos charismes, nous pouvons donc être tenté de masquer la croix. On se dit que c’est trop dur, que les gens ne peuvent pas comprendre, qu’il y a sans doute d’autres moyens d’annoncer le message chrétien. Mais c’est oublier que Jésus lui-même a dit que c’est du haut de la croix qu’il attire tout à lui.
C’est justement parce que la croix est une folie que saint Paul déclare parler dans la faiblesse, craintif, tout tremblant. Il sait que ce qu’il annonce va passer pour de la folie et que, selon la logique du monde, il n’y a aucune chance pour qu’il soit pris au sérieux. Mais il sait aussi qu’il ne peut annoncer le Christ sans annoncer la Croix, et qu’il ne peut annoncer la gloire à laquelle nous sommes appelés sans annoncer le Christ.
Mépriser la croix, c’est mépriser Jésus. Croire qu’on peut annoncer le salut et l’amour de Dieu sans annoncer la croix, c’est croire qu’on peut se passer de Jésus, car Jésus ne vient jamais sans la croix ; même ressuscité, il conserve les traces de sa Passion : observez la belle statue du Sacré-Cœur, qui est au-dessus de l’autel, derrière la croix, voyez les plaies laissées par les clous dans les mains de Jésus. Quelle plus grande preuve de son amour, d’ailleurs, Jésus aurait-il pu nous donner que sa Passion ?
La croix est donc l’unique voie de salut, mais il faut la prendre pour ce qu’elle est : un moyen nécessaire et non une fin. C’est ce que rappelle saint Jean de la Croix, dans son Cantique spirituel, dont nous avons lu un extrait dans la liturgie des heures aujourd’hui.
En faisant le signe de la croix, nous confessons donc que par cet instrument de mort, c’est la vie qui nous est donnée. La toute-puissance de Dieu a changé l’instrument du supplice en instrument de salut. Soyons donc fiers du signe de la croix, qui est le signe de la foi et aimons à le répéter chaque fois que nous voulons inscrire quelque chose dans l’ordre voulu par Dieu.
Amen.