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Solennité du Christ-Roi

 Nous célébrons donc ce dimanche la fête du Christ-Roi, c’est-à-dire que nous nous réjouissons de la souveraineté sur le monde, et non seulement sur nous-mêmes, de celui que nous appelons à bon droit « notre Seigneur ». En célébrant cette fête, il convient donc de nous interroger sur la façon dont Jésus règne sur l’univers, lui qui nous a appris à souhaiter et même demander, dans la prière qu’il nous a enseignée, l’avènement du règne de Dieu en nous faisant dire : « que ton règne vienne ! ».

Saint Paul l’enseigne, en effet, aux corinthiens : « c’est lui – Jésus – qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis [, alors il] remettra le pouvoir royal à Dieu son Père ». Jésus est donc roi, et il l’est à plus d’un titre.

Il l’est, en premier lieu, par la perfection qui est la sienne, lui que le psalmiste appelle « le plus beau des enfants des hommes ». Or la royauté est liée à l’idée de perfection, c’est ainsi qu’on dit d’une chose qui excelle dans son domaine qu’elle y règne. On attribue encore à la royauté la force et la puissance ; voilà pourquoi, par exemple, on dit que le lion est le roi des animaux. De même, Jésus disait à ses apôtres, au moment de son Ascension : « tout pouvoir m’a été donné au Ciel et sur la Terre ». Mais ce n’est pas seulement dans ce sens figuré que Jésus est roi. Il l’est également au sens strict : au moment de l’Annonciation, l’archange Gabriel affirmait à Marie, en effet, que l’enfant qu’elle allait concevoir recevrait le trône de David.

Jésus est donc roi par héritage, car il est le Fils du Créateur. Mais il l’est encore par acquisition : il a fait la conquête de ce titre. Si Jésus règne, c’est aussi parce qu’il a obtenu ce droit pour nous avoir racheté, pour nous avoir délivré, pour nous avoir sauvé de l’esclavage du démon et du péché par sa Passion. Jésus est notre roi car il est notre Rédempteur.

Mais alors, sur quoi Jésus règne-t-il ? Où est son royaume ? À Pilate, il dit « mon royaume n’est pas de ce monde » ; que faut-il entendre par là ? Cette parole s’adresse à ceux qui espéraient encore le rétablissement du royaume d’Israël, et une royauté purement temporelle du messie. Les royaumes de ce monde sont des royaumes pour ce monde : les organisations politiques ont pour finalité propre la gestion des choses temporelles. Or, ce n’est pas pour cela que Jésus est venu dans le monde.

Par ailleurs, « être de ce monde » ne signifie pas seulement « être dans ce monde », mais encore être fait « de ce que l’on trouve dans le monde ». L’expression « mon royaume n’est pas de ce monde » n’implique donc pas que la royauté du Christ n’est pas pour cette vie présente, mais plutôt que, tout en s’exerçant dès à présent, elle ne repose pas sur des principes temporels. L’auteur inconnu de la fameuse lettre à Diognète, au IIe siècle, disait : « les chrétiens sont dans le monde, mais ils ne sont pas du monde ». Ce qui nous rend chrétiens, ce n’est ni la chair ni le sang, mais la grâce reçue lors de notre baptême et qui nous fait reconnaitre en Dieu un Père. Tout en demeurant dans ce monde présent, notre esprit et notre cœur sont déjà tournés vers les cieux, d’où ils ont reçu leur régénération. La parole de Jésus selon laquelle son royaume n’est pas de ce monde ne doit donc pas faire oublier que le Christ est dès ici-bas Seigneur et roi, mais donne plutôt à penser que Jésus n’est pas roi à la façon des rois humains : tandis que le pouvoir de ces derniers procède des biens de ce monde et s’exerce sur eux, le pouvoir du Christ procède de la vivification de nos âmes et s’exercent sur elles, mais par elles rejaillit tout de même sur l’ensemble de la société.

Nous ne sommes pas, en effet, chrétiens dans le secret de notre cœur et, éventuellement en famille ou entre amis. Nous sommes chrétiens dans tout notre être et donc dans tous les aspects de notre vie, pas seulement quand il faut venir à la messe, à l’aumônerie, ou à telle ou telle activité. Ne soyons pas des chrétiens du dimanche ! Mais des chrétiens entiers, qui font rayonner le Christ par toute leur vie. C’est d’ailleurs une des grâces propres du sacrement de la confirmation, que notre évêque est venu conférer la semaine dernière aux jeunes de notre paroisse : la grâce du rayonnement de la foi, de l’espérance et de la charité.

Tous les chrétiens sont appelés, selon leurs conditions propres, à participer à la sanctification du monde. Les clercs par l’exercice de leur pouvoir d’ordre, mais tous les laïcs également, en vivant des principes évangéliques et en orientant toute chose à la louange et à la gloire du saint nom de notre Seigneur, à la manière dont le ferment, dans la pâte, la fait lever, c’est-à-dire lui donne sa saveur et la fait se rapprocher du ciel.

Il y a donc deux choses à considérer au sujet du royaume de Dieu. Il y a un premier aspect qui est déjà accompli : c’est le fait que nous devons tout à Jésus, et c’est pourquoi il faut l’honorer de la dignité de roi et lui rendre hommage pour cela dans tous les aspects de notre vie. Et il y a un second aspect qui, lui, en effet, n’est pas encore advenu, et c’est pourquoi Jésus lui-même nous demande de prier pour cet avènement. C’est ce que nous demandons dans le Notre-Père, quand nous disons : « que ton règne vienne ».

Ce que nous demandons par là, c’est la fin du péché, c’est la fin du mal, c’est la défaite du démon et la victoire définitive de Dieu, c’est la mort de la mort et la résurrection de tous les hommes. C’est ce jour que nous dépeint Jésus dans le passage de l’évangile que nous avons lu, le jour grandiose de son avènement visible, lorsqu’il séparera les justes des pécheurs impénitents. « Jour de nuages et de sombres nuées », dit Ézéchiel dans la première lecture ; « jour de colère, de fureur, d’angoisse », disent encore les prophètes Zacharie, Joël et Sophonie.

Mais quoiqu’il faille, en effet, songer à la fin des temps avec une certaine crainte, et une crainte révérencielle salutaire, il ne faut pas oublier que notre sort se décide dans les actes de notre vie présente et non dans l’arbitraire d’un juge terrible. Si Jésus se dépeint lui-même comme un arbitre implacable, qui sépare les bons et les méchants, les brebis et les boucs, lui qui est pourtant tout miséricordieux, c’est justement parce que notre salut ou notre perte ne dépendent que de nous. Jésus, lui, veut le salut de tous ; la question est de savoir si nous-mêmes voulons notre propre salut et en prenons les moyens, avec la grâce de Dieu. À ceux qui auront pratiqué les œuvres de miséricorde, en effet, il sera fait miséricorde, c’est-à-dire que les péchés seront pardonnés ; ce que Jésus veut nous faire comprendre à travers le passage de l’évangile que nous avons lu, c’est qu’il nous faut nous convertir et que la conversion se fait notamment par les œuvres de la charité envers le prochain.

Méditer sur le règne de notre Seigneur Jésus-Christ, c’est donc méditer sur la façon dont nous vivons par lui, avec lui et en lui ; c’est méditer sur ce qu’il y a en nous qui n’est pas digne de lui, c’est-à-dire le péché, et sur les moyens que Jésus lui-même nous donne pour terrasser ce pouvoir que le diable conserve sur nous : les bonnes œuvres, la prière, le jeune, les sacrements. Mais c’est aussi méditer sur ce que Dieu a déjà réalisé en nous : sa présence en nous par la grâce, notre rédemption déjà commencée ; et le louer pour cela. Et c’est encore méditer sur la gloire éternelle à laquelle nous sommes appelée : l’éternité en compagnie de lui et de tous les saints.

En appelant de nos vœux l’avènement du règne de Dieu, nous confessons à la fois que ce règne est déjà commencé et que le Christ est dès ici-bas notre roi, et à la fois que c’est vers lui que le monde tout entier doit encore marcher.

Amen.