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Jeudi, 26e semaine T.O. & Sainte Faustine

 Nous poursuivons la lecture du livre de Néhémie, qui se déroule vers la fin de la période de l’exil des juifs à Babylone, alors que ces derniers ont reçu l’autorisation du roi perse Artaxerxés de reconstruire Jérusalem, dont « les murailles sont en ruines et les portes consumées par le feu » ; c’est le tableau qu’en dressait l’auteur dans le premier chapitre. Le Temple, surtout, avait été pillé et détruit, et n’était pas encore reconstruit. C’est pourquoi nous assistons à cette scène curieuse : voilà qu’on lit et qu’on commente la parole de Dieu sur une place publique. C’est, qu’en effet, ce jour n’était pas un jour comme les autres. Nous lisons que c’était le premier jour du septième mois ; or, ce jour-là était précisément pour les juifs le premier jour de la fête des trompettes – Rosh Hachana, inaugurant par un banquet une période de dix jours préparatoires au grand pardon – Yom Kippour, au cours duquel avait lieu le sacrifice solennel pour le pardon des péchés du peuple.

Mais nous le savons : « l’homme ne se nourrit pas seulement de pain » ; aussi avait lieu, au cours de cette fête, en plus du banquet, une longue lecture de la Parole de Dieu. Nous voyons donc Esdras, qui était prêtre et scribe, nous dit le narrateur, et qui était aussi prophète, lire le livre de la loi de Moïse, c’est-à-dire la Torah, que nous appelons nous le Pentateuque : l’ensemble des cinq premiers livres de la Bible.

Il y a, comme vous le savez, parmi ces livres, la Genèse : le récit de la création du monde et des origines de l’humanité, de la fondation de la première alliance et de l’histoire des patriarches, jusqu’au départ des hébreux en Égypte. Et puis il y a le livre de l’Exode, qui raconte la servitude des hébreux en Égypte, leur départ et leur pérégrination dans le désert, sous la conduite de Moïse, au cours de laquelle fut précisément donnée par Dieu la loi. Il y a ensuite le livre du Lévitique, du nom de la tribu de Lévi, consacrée au service du Temple, décrivant le culte que Dieu voulait qu’on lui offrit afin que le peuple soit sanctifié. Il y a le livre des Nombres, racontant l’errance dans le désert des hébreux depuis le mont Sinaï jusqu’aux portes de la Terre promise. Et enfin le Deutéronome, le testament que Moïse laissa aux hébreux avant sa mort pour rappeler la façon dont ils doivent vivre pour demeurer dans l’amour de Dieu.

Et voilà qu’Esdras fit la lecture de ces livres en ce jour de fête. Nous le voyons monter sur une estrade de bois, pour être bien vu de tous. Il fit la lecture en hébreu et il est dit que le peuple ne comprenait pas ce qui était lu, et que les lévites traduisaient. La pratique de l’hébreu, en effet, s’était largement perdue chez les juifs après l’exil à Babylone, au profit de l’araméen. Par ailleurs, certains passages de l’Écriture sainte sont complexes, et demandent quelques explications. Il semble que les lévites aient également fourni un commentaire succinct de la lecture que faisait Esdras.

Prenant conscience de leurs fautes, les juifs étaient affligés, et nous imaginons, d’après les paroles des lévites, qu’ils devaient fondre en larmes. La lecture de la loi, en effet, leur faisait prendre conscience de leurs transgressions. Mais les lévites les consolaient, non pas en leur disant qu’ils n’avaient pas de faute, ou bien que leurs fautes étaient légères, mais en leur rappelant que Dieu avait prévu un moyen pour leur rémission : le sacrifice expiatoire qui se préparait ; malgré le poids du péché, la manifestation de Dieu au milieu de son peuple est toujours une occasion de fête, d’où le banquet qui eut lieu ensuite.

Esdras, comme tous les prophètes, au-delà de sa réalité personnelle et historique, est une préfiguration du Christ. Jésus, qui est l’alpha et l’oméga, rassemble en lui toutes les Écritures. Lui aussi a été élevé sur une estrade de bois : la Croix, d’où, tandis qu’il était élevé à la vue de tous, le péché du peuple a été manifesté. Lorsque nous regardons un crucifix, en effet, nous voyons le prix qu’il a fallut payer pour la rémission de nos fautes : la mort de l’innocent absolu, le sacrifice de notre Dieu, de notre Créateur et Seigneur, de celui qui se fit pour nous notre frère. On ne devrait pas pouvoir regarder la croix sans pleurer. Du haut de la croix, Jésus nous rappelle quel fut le prix à payer pour nos transgressions. Mais il nous rappelle aussi l’amour qu’il a eu pour nous, jusqu’à donner sa vie pour chacun de nous, amour qui durera pour l’éternité.

Mais ce message d’amour a, lui aussi, parfois besoin d’être expliqué, d’être interprété, afin que nous le recevions. L’hébreu était la langue des juifs. Une fois leur cité détruite et le peuple déporté, ils ont perdu cette langue, et ils ne comprenaient donc plus le langage dont ils avaient besoin pour refonder leur ville, symbole de leur foi. De même, chers amis, lorsque nous avons péché, notre âme se trouve dévastée, et nous ne comprenons plus le langage de l’amour pur dans lequel Dieu s’est manifesté à nous, et qui nous est nécessaire pour rebâtir notre édifice spirituel. Le péché nous endurcit le cœur. Nous avons alors besoin d’un interprète, de quelqu’un qui comprenne ce langage ineffable de Dieu et nous rapporte ce qu’il en a lui-même saisi. Et c’est là le rôle notamment des mystiques.

Sainte Faustine Kowalska était une religieuse polonaise du début du XXe siècle. Elle reçut des révélations privées, dans lesquelles Jésus lui demanda de faire connaître au monde sa miséricorde infinie. Il voulut qu’elle le fasse représenter montrant sa poitrine, dans lequel se trouve le divin cœur qui a tant aimé les hommes, dans la lignée des révélations qu’avait déjà reçues sainte Marguerite-Marie Alacoque, religieuse visitandine de Paray-le-Monial, au XVIIe siècle. De cette poitrine s’échappent deux rayons de lumière, l’un rouge et l’autre blanc, qui rappellent le sang et l’eau qui jaillirent du cœur transpercé sur la croix. Aux pieds de Jésus se trouve cette invocation : « Jésus, j’ai confiance en toi ».

Il ne faut pas voir dans cette image quelque chose de fondamentalement différent de la croix. Par cette image de Jésus miséricordieux, c’est le même amour que celui qui est manifesté sur la croix qui est annoncé, mais annoncé d’une façon non sanglante, plus propre à toucher le monde à une certaine époque, comme la vision du Sacré-Cœur transpercé et encerclé d’épines l’avait été dans un autre. Qui prêche le Christ ne peut que prêcher le Christ crucifié : saint Paul le rappelle aux corinthiens. Et l’offrande de Jésus sur la croix est au cœur de la dévotion à la Miséricorde divine ; les paroles du chapelet de la Miséricorde sont éloquentes : « Père éternel, je t’offre le Corps, le Sang, l’Âme et la Divinité de ton Fils bien-aimé, Notre-Seigneur Jésus-Christ, en réparation de mes péchés et de ceux du monde entier. Par sa douloureuse Passion, aies pitié de moi et du monde entier. Par sa douloureuse Passion, aies pitié de moi et du monde entier. » La dévotion à la Miséricorde divine, que sainte Faustine nous fit connaître, est donc un renouvellement de l’annonce de l’amour infini et éternel de Dieu pour nous.

Se pose alors la question de la façon dont nous allons répondre à cet amour. « La loi du Seigneur est parfaite, qui redonne vie », chante le psalmiste. Les commandements de Dieu ne sont pas une loi de servitude qui nous extermine ; ils sont la loi de l’amour qui nous conduit à la vie éternelle. On ne peut donc jamais opposer la loi et la miséricorde, la justice et la miséricorde. La finalité de la loi, c’est la vie éternelle, à laquelle on parvient par le respect des commandements ; la vie éternelle est le but de notre voyage, mais pour nous qui sommes en chemin, en progression, c’est la pratique des commandements qui se manifeste avant tout comme un passage nécessaire, précisément parce qu’ils sont les bornes que le Seigneur a placé sur notre chemin pour nous guider dans son amour.

« Les préceptes du Seigneur sont droits – dit encore le psalmiste – la crainte qu’il inspire est pure ». Dieu n’est pas un père Fouettard, il est un Père aimant qui, connaissant notre nature blessée par le péché, a posé des jalons sur notre chemin pour nous guider.

Quelle grâce est la nôtre, d’être nés après l’accomplissement des promesses de Dieu ! Dans l’évangile, nous voyons Jésus menacer ceux qui, ayant reçu l’annonce de la bonne nouvelle, la méprisent et s’en retournent à leurs péchés. « Au dernier jour – dit-il, c’est-à-dire au jour du jugement – Sodome sera mieux traitée » qu’eux. Ceux qui ont reçu davantage seront, en effet, traités avec plus de sévérité que ceux qui étaient dans l’ignorance.

La raison en est que la révélation de Dieu est une révélation d’amour ; si nous avons le malheur de nous en détourner, alors c’est nous qui renonçons à l’amour, c’est nous qui nous condamnons nous-mêmes. La dévotion à la Miséricorde divine est justement là pour nous rappeler que Dieu, lui, est fidèle et ne se détourne jamais de nous. Sachons donc toujours revenir à lui de tout notre cœur, notamment par le sacrement du Pardon, afin d’avoir part avec lui au banquet de la vie éternelle, dont nous recevons un avant-goût dans l’eucharistie.

Amen.




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