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13e dimanche après la Pentecôte : La justice fait connaître la miséricorde

 Un des professeurs dont j’ai l’honneur d’avoir été l’élève répétait à l’envi qu’il existe une conjonction de coordination typiquement catholique, et une autre typiquement hérétique.

La conjonction hérétique, c’est le « ou » ; ceci – ou bien – cela. L’hérésie, en effet, c’est la négation d’une vérité de foi, d’un énoncé auquel nous sommes tenus d’adhérer en raison de son caractère directement révélé ou bien nécessairement déduit de la Révélation. L’hérétique, c’est celui qui rejette volontairement un des énoncés de la foi ; c’est celui qui fait le choix obstiné de renoncer à une partie de la foi. Le mot « hérésie » vient justement du grec « αἵρεσις », qui signifie « choix » ou « préférence ».

La conjonction catholique, au contraire, c’est le « et ». « Catholique », en effet, signifie « universel ». L’Église catholique, c’est l’Église universelle, celle qui s’adresse à tous les hommes et la doctrine catholique, c’est celle qui embrasse la totalité de la foi. Et cela est important à comprendre pour approcher le sens du mystère. Le mystère, en effet, c’est ce face à quoi nous ne pouvons que demeurer muets ; « mystère » et « muet » ont justement la même racine étymologique dans le verbe grec « μύω » : « se taire ».

L’hérétique parle trop, il ne comprend pas quand il faut se taire. Les mystères de la foi sont des défis lancés à notre raison mais aussi à notre orgueil : Jésus, par exemple, est à la fois Dieu et homme. « Comment le créateur pourrait-il se faire créature ? C’est un scandale ! C’est impossible ! – crient les uns – Jésus ne peut pas être véritablement Dieu pour telle et telle raison ». « Comment ? – s’écrient les autres – Il y a pourtant telle ou telle preuve ! Mais non, c’est plutôt que Jésus n’avait des hommes que l’apparence et non réellement la nature ; il était Dieu mais pas homme ». Voilà les hérétiques qui cherchent à choisir ce que leur raison veut bien admettre, tandis que le catholique, même s’il peut – et doit – chercher à rendre compte de sa foi, sait aussi se taire et contempler le mystère du Dieu fait homme. Et se faisant il ne renonce pas à son intelligence, mais au contraire : il lui fait franchir, par l’acte de foi, une marche l’élevant à un degré supérieur.

Dans les choses de Dieu, le mystère est partout, et donne parfois lieu à de grandes incompréhensions. Comment s’articulent la nature humaine et la nature divine dans l’unique personne du Christ ? Comment s’articulent la grâce et la nature en nous-mêmes ? Comment se concilient notre liberté et le fait que tout nous est donné ? Ces mystères ne se peuvent jamais résoudre par une seule assertion, mais doivent généralement être envisagés par un ensemble de propositions négatives permettant d’éviter les erreurs et viser la vérité, sans pour autant qu’une affirmation trop claire ne puisse être formulée, au risque d’une nouvelle erreur. Et c’est bien dans un de ces mystères que les textes que nous venons de lire cherchent à nous introduire, celui de l’articulation de la loi et de la charité.

Vous savez certainement, en effet, qu’il existe dans l’Église, comme dans toute société, un droit. Il ne s’agit pas d’un simple règlement dont le but serait d’organiser la matérialité de la société ; il s’agit encore d’en donner la forme et la fin. C’est ainsi que ce droit, que l’on appelle le droit « canonique », compilé dans un code, le Code de droit canonique, donc, précise que le but de toutes les lois de l’Église est le salut des âmes.

Mais voilà que l’on entend souvent demander : « un droit dans l’Église ? Mais à quoi bon ? ». Et la question, en effet, a du sens. Jésus n’a-t-il pas dit que tout la loi se résumait à l’amour de Dieu et du prochain ? À quoi bon, alors, ces 1752 canons du le Code de droit canonique, sachant qu’il y a encore beaucoup de lois ecclésiastiques qui se trouvent ailleurs ? Ne pourrait-on pas se contenter, dans l’Église, de la célèbre maxime de saint Augustin : « aime et fais ce que tu veux » ?

Nous sommes, en effet, héritiers de la promesse, en vertu de l’adoption divine que nous confère le baptême. Par le baptême, nous avons été rendus enfants de Dieu, adoptés par lui en vue de l’héritage qu’il nous a promis. Promesses faites à « Abraham et à sa descendance », promesses faites à toute la nation sainte du peuple des rachetés par le Christ.

Le Christ, en effet, promet à ses disciples d’être faits pécheurs d’hommes, il promet à son Église que les portes de l’enfer ne prévaudront jamais sur elle, il promet surtout les béatitudes aux pauvres, aux affligés, aux persécutés, au pacifiques, aux justes. Et bien plus encore : il se promet lui-même, lui la vraie vigne, lui le pain vivant descendu du ciel ; il promet de se donner, il promet de se livrer tout entier, il promet l’Esprit à qui l’invoquera, il promet que rien ne manquera jamais à qui l’aime et le suit. Ces promesses ne suffisent-elles pas ?

La promesse est un acte unilatéral de Dieu et procède de son amour pour nous : elle n’est pas un contrat, soumis à l’accord de la volonté des parties ; elle est un don irrévocable. « Pourquoi donc la loi ? », demande saint Paul. C’est que le don appelle une réponse, et c’est là que les choses se corsent. La promesse est le discours de l’amour, c’est un engagement au don gratuit de soi qui appelle, en réponse, une adhésion dans la foi.

« [La loi] a été établie à cause des transgressions », continue saint Paul ; c’est-à-dire à cause des mauvaises réponses. Il commente, en disant cela, la loi ancienne, établie pour un temps, jusqu’à ce que vienne « la postérité à qui la promesse avait été faite », c’est-à-dire Jésus ; mais nous pouvons recevoir ce commentaire sous la nouvelle alliance, comme désignant l’attente du retour glorieux du Christ à la fin des temps.

L’héritage, c’est-à-dire le paradis, nous est promis, mais il ne nous est pas dû. Le fait d’être sauvé est toujours une grâce, c’est un acte de l’amour gratuit de Dieu, de sa miséricorde, non de sa justice. Mais cette grâce n’est pourtant accordée qu’à ceux qui y savent répondre, à ceux qui se disposent à recevoir l’héritage promis, et c’est précisément l’objet de la loi que de nous mettre dans cette disposition. La loi nous dispose, elle ne supprime pas notre liberté, sans quoi elle serait par elle-même capable de conduire au salut, ce qui n’est pas le cas, puisque l’héritage nous est donné par la promesse. La loi ne supprime pas le péché, mais elle vient comme un auxiliaire à la grâce, notamment en faisant connaître les fautes ; et on voit par là que le but premier de la loi et de la justice, avant d’obliger ou d’interdire, d’affliger ou d’interdire, c’est de faire connaître. En en faisant connaître le péché, la loi fait aussi connaître la miséricorde ; en rendant manifeste ce qui était tellement évident car omniprésent, à tel point que l’on n’y pensait pas, elle fait aussi savoir que tout est grâce.

Ce n’est donc pas la loi qui sauve mais la loi, dans l’Église, est rendue nécessaire pour le salut du fait du péché. Sans loi, il ne pourrait y avoir de réponse adéquate à l’amour de Dieu du fait de notre nature déchue ; déchue, blessée, mais non détruite. Si nous voulons donc être rendus héritiers des promesses, sachons nous conformer à la loi. Il faut tout prendre et ne pas choisir ce qui nous arrange. C’est ainsi que l’on entre, à tâtons, dans le sens du mystère et c’est justement la grâce que nous avons demandé dans la collecte de cette messe en disant : « Ô Dieu […], pour que nous méritions d’obtenir ce que vous promettez, faites-nous aimer ce que vous commandez ».

Amen.