Lors de la cérémonie de remise des prix de notre école paroissiale, Monsieur le Curé a eu de touchantes paroles au sujet de la parenté qu’il existe entre la fonction de professeur et celle de confesseur, et, à la lecture des textes de la messe de la fête que nous célébrons, je voudrais vous proposer de méditer un peu sur ce point.
La semaine dernière, en effet, nous avions évoqué Jésus embarqué avec ses disciples sur le lac de Tibériade et les apôtres se demandaient : « Qui est celui-ci à qui les vents et les flots obéissent ? ». La question des disciples manifestait leur ignorance. Mais aujourd’hui, c’est le maître qui pose une question : « Que disent les hommes touchant le fils de l’homme ? – Et vous, que dites-vous que je suis ? ». Or, quand c’est le maître qui interroge, c’est encore pour instruire.
Le maître, en effet, ne doit pas simplement parler, il doit encore faire parler. Le mot « enfant » vient du latin « infans », lui-même tiré du participe présent « fari » du verbe déponent « for », qui signifie « parler, dire quelque chose », avec le préfixe négatif « in » ; l’enfant, c’est littéralement celui qui ne parle pas. Dès lors, on comprend que celui qui transmet un enseignement doit avoir pour objectif de mettre l’objet de son enseignement non seulement dans l’esprit mais encore sur la bouche de ses élèves. C’est pourquoi le maître interroge et fait réciter les leçons. Le cours magistral, c’est-à-dire le cours du maître, pendant lequel il est d’usage pour les élèves de ne pas poser de question, prend son sens du fait que l’élève ne doit pas dire n’importe quoi, mais reprendre les paroles du maître : avant de parler, il doit donc écouter.
Et c’est bien ainsi que Jésus organise son enseignement. Nous le voyons, ce matin, poser à ses disciples une question pour la première fois. La Providence a bien fait les choses, cette année – comme chaque année, mais nous pouvons le remarquer cette année particulièrement – par le fait que la fête des saints apôtres Pierre et Paul tombe juste après le quatrième dimanche après la Pentecôte. Dimanche dernier, en effet, nous avons assisté à la scène de la première pêche miraculeuse et à la vocation de saint Pierre : « viens avec moi, je te ferai pêcheur d’hommes ». Et non seulement de Pierre, mais encore d’André, de Jacques et de Jean. En ce dimanche, les disciples sont invités par le maître à confesser ce qu’ils ont appris depuis.
Observons à ce sujet que Jésus pose deux questions. La première : « Que disent la plupart des gens au sujet du Fils de l’homme ? » ; la seconde « Vous, vous qui en savez plus que les autres parce que vous m’avez suivi de près, que dites-vous de moi ? ». Alors Pierre prit la parole. Pierre, ce n’était pas le premier de la classe : il n’était ni le plus intelligent, ni le plus courageux des apôtres. Mais il était peut-être le plus impulsif. On le voit d’ailleurs, quand on enseigne : ce ne sont pas toujours les élèves les plus brillants qui participent le plus et permettent au cours d’avoir une certaine vivacité et d’avancer dans une ambiance joyeuse. Et c’est tant mieux, car cela montre bien que nous avons tous une place en ce monde.
Pierre, donc, prend la parole ; et comme tous les élèves impulsifs, il répond pour lui mais aussi pour tous les autres qui suivaient Jésus avec lui et qui l’avaient déjà vu accomplir plusieurs miracles. Quand Jésus demandait quelle était l’opinion de la plupart des hommes, tous répondaient, mais quand il s’agit de donner l’avis des disciples, c’est Pierre seul qui parle : il se révèle donc être la bouche du collège apostolique, premier signe qu’il en est la tête.
« Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ! », dit-il. Les juifs, en effet, attendaient un fils d’Adam, un fils des hommes ; Pierre affirme que Jésus est le Fils de Dieu. Mais il ne nie pas non plus son humanité, puisqu’il l’appelle « le Christ », c’est-à-dire celui qui est oint, comme on oignait les prêtres et les rois, donc les hommes. En confessant que Jésus est le Christ, Pierre affirme l’union en lui de la nature divine et de la nature humaine.
« Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas, parce que ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux ». Simon, Pierre, a su percer par son esprit au-delà de ce que la chair et le sang, c’est-à-dire la nature humaine laissée à ses seules forces, permet de voir. Les miracles ne sont pas des preuves, ils sont des signes ; la foi suppose toujours un acte, elle ne s’impose pas à nous, elle n’est pas évidente. Malgré tous les signes que fit Jésus, il fut renié. Renié par Judas, mais aussi par Pierre lui-même, plus tard, qui succomba à la crainte. La foi ne s’impose jamais à nous, elle doit être recherchée et entretenue.
Toujours est-il que Pierre ici manifesta une grande foi ; aussi Jésus le récompensa. « Tu es le Christ, le Fils de Dieu – Tu es bienheureux ». Nous sommes sauvés par la foi. « Que demandez-vous à l’Église de Dieu ? – La foi. – Que vous procure la foi ? – La vie éternelle » ; c’est ainsi que s’ouvre la cérémonie du baptême, nous allons d’ailleurs avoir la joie de baptiser deux enfants après la messe. Mais ce n’est pas la foi seule qui procura le salut à Pierre. Pierre croyait au Christ avant que la question lui fût posée. C’est la profession de foi qui lui fit obtenir la promesse de la béatitude.
Le maître parle donc pour faire comprendre, mais aussi pour faire parler après lui et qu’ainsi se transmette la science. Il a fait parler les muets, disait-on de Jésus, comme le maître apprend aux élèves à parler : non pas à articuler matériellement, mais à énoncer la vérité. C’est ainsi que les enfants, ceux qui ne parlent pas, deviennent adultes : en apprenant à parler sagement. La foi n’est pas seulement un contenu dogmatique, elle est encore un acte et une confession.
Lorsque nous disons le Credo, comme nous allons le faire dans une minute, nous professons la foi. Mais chaque fois que nous disons quelque chose de vrai, nous disons aussi quelque chose de Dieu. Quand nous enseignons aux enfants ou aux ignorants, même dans les matières profanes, nous introduisons en eux quelque chose des traces que Dieu a semé dans le monde pour se faire connaître : « Les cieux proclament la gloire de Dieu, le firmament raconte l’ouvrage de ses mains », dit le psalmiste.
L’exemple des saints apôtres doit donc nous apprendre à proclamer toute vérité, jusqu’à la vérité suprême qui est le Christ lui-même, c’est une des grâce que nous devons demander pour nous à l’occasion de cette fête.
Amen.
