Accéder au contenu principal

8e dimanche après la Pentecôte : le remaniement ministériel en question

 Le passage de l’évangile que nous venons de lire nous dépeint, pour ainsi dire, une sorte de remaniement ministériel – il m’a d’ailleurs semblé entendre parler de ça dans les actualités cette semaine, probablement à l’occasion d’un commentaire anticipé des textes de cette messe, je ne sais plus… Le ministre, en effet, étymologiquement, c’est le serviteur, l’intendant. Celui qui est au cœur du récit dont nous venons d’entendre la lecture est accusé de mauvaise gestion et, pour cela, est en passe d’être renvoyé par son maître. La scène relatée dans l’évangile nous permet, en effet, d’estimer le manque d’intégrité de l’intendant. Mais voilà que sa malhonnêteté, cause de son renvoi, semble pourtant provoquer l’admiration du maître ; ce qui, par suite, provoque notre étonnement. Pourquoi le maître loua-t-il ainsi celui qui dilapidait son patrimoine ? Il est nécessaire de le comprendre pour saisir ce que Jésus nous enseigne dans cette parabole.

L’Écriture sainte, en effet, a deux sens : le sens littéral et le sens spirituel. Le sens littéral, ou historique, c’est le récit d’évènements qui ont eu lieu : dans ce sens, le passage que nous avons lu nous montre simplement Jésus prêchant à ses disciples et cela n’a d’autre signification que relater tout simplement un épisode de la vie publique du Seigneur, au cours de laquelle il enseignait à ses disciples par le moyen de paraboles, en l’occurrence celle dont nous avons fait la lecture.

Le sens spirituel, quant à lui, est ce qui nous est donné à comprendre au-delà du sens littéral ; et il y a trois sens spirituels à l’Écriture sainte. Il y a, tout d’abord, le sens allégorique, ou christologique, c’est-à-dire ce qui nous est appris du Christ, puisque toutes les Écritures parlent de lui, et ce qu’il nous est donné de croire. Il y a ensuite le sens moral, c’est-à-dire ce qui nous est enseigné pour orienter nos actions dans la vie présente, à la manière d’un modèle à suivre. Et il y a, enfin, le sens anagogique ou eschatologique qui, lui nous dit quelque chose de la vie future que nous espérons. Il n’est permis de mettre en doute le sens littéral de l’Écriture sainte que dans de très rares cas bien définis par le Magistère ; mais il n’en va pas de même pour les sens spirituels. Il est permis de penser que certaines expressions – rares toutefois – contenues dans l’Écriture sainte n’ont une signification que purement littérale ; on prend souvent l’exemple, dans l’Ancien Testament, des quelques mots nous apprenant que Tobie était accompagné de son chien pendant son périple. Qu’est-ce que cela nous dit du Christ, de la façon d’orienter notre vie présente ou de la vie éternelle à laquelle nous sommes appelés ? Chacun est libre de le discerner… Ce qu’il est important de retenir, c’est que chacun des passages des saintes Écritures n’a pas la même valeur spirituelle.

La parabole offerte ce dimanche à notre méditation est une bonne illustration du discernement qu’il faut avoir à ce sujet. Pris dans un sens directement moral, en effet, le récit de l’évangile pourrait passer pour une apologie de l’escroquerie et du faux en écriture : bien que loué par le maître pour son habileté, l’intendant n’en est pas pour autant excusé et sa truanderie ne doit pas nous servir de modèle ! Que retenir, alors, de cette parabole ?

Il s’agit ici, en réalité, de moins considérer le sens directement moral que le sens anagogique. L’ana-gogie, étymologiquement, c’est ce qui nous conduit vers les choses d’en haut. Le mot est tiré du verbe grec « ἁγώ », qui signifie « conduire », « guider » ou « diriger », avec le préfixe « ἄνα » : « en haut ». Tous les mots qui se terminent en –gogie ont la même structure ; la péda-gogie, par exemple, c’est l’art de guider les « παιδα » : les enfants.

Avec le sens anagogique de cette parabole, nous avons donc quelque chose à apprendre de notre place sur terre et de notre destination ultime : c’est que nous ne sommes pas des maîtres en ce monde mais des intendants. Tout ce que nous avons nous a, en définitive, été confié par Dieu, comme un morceau de sa création dont il nous faut prendre soin. Un jour, en effet, le jour de notre mort, il nous sera demandé compte de tous les biens que nous avons reçu. Des biens extérieurs : les richesses ; des biens du corps : la santé, la beauté, la force ; des biens de l’esprit : l’intelligence, la bonté ; et surtout de la grâce, de ce que nous avons connu de Dieu et de la façon dont nous avons répondu à ses appels.

La mort met fin à la possibilité de mériter ou démériter ; elle nous fixe dans les choix que nous avons fait sur Terre. Il n’est plus temps, après la mort, de bêcher, c’est-à-dire de peiner dans les œuvres, ni de mendier, c’est-à-dire d’invoquer la miséricorde de Dieu ; l’instant de la mort, c’est l’instant du jugement et de la récompense ou du châtiment.

Mais pour l’instant, nous sommes encore dans le temps du choix et de la miséricorde ; de la miséricorde offerte à ceux qui font les bons choix, et le choix que nous avons à faire, c’est celui dont nous parle saint Paul : c’est celui de vivre selon la chair ou de vivre selon l’Esprit de Dieu. Or ce choix, avec la perspective du jugement, loin de nous transir de terreur, doit au contraire nous exalter et nous libérer. Le fruit de la convoitise et du péché, en effet, c’est la mort, tandis que le fruit de la grâce, c’est la vie éternelle ; la vie présente est le moment de choisir librement quelle voie nous voulons emprunter. Voilà qui doit nous remplir de joie : nous sommes dans le temps du oui à Dieu renouvelé à chaque instant pour le bonheur éternel, nous sommes dans le temps de l’abondance de la miséricorde qui descend sur nous chaque fois que nous la demandons ; c’est ce que nous avons chanté dans l’introït de cette messe. Nous sommes dans le temps des œuvres de miséricorde, qui visent à mettre les biens que nous avons reçu au service de notre prochain et, ce faisant, nous ne faisons aucun tort à celui de qui nous les tenons car, justement, Dieu nous les a donnés pour cette fin.

Voilà donc l’attitude que Jésus nous invite à avoir avec les biens de ce monde : non les rechercher pour nous-mêmes mais considérer que nous avons à transmettre ce que nous avons reçu en vue d’obtenir la seule chose qui nous a été promise pour ne nous être jamais enlevée : la vie éternelle.

Amen.