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7e dimanche après la Pentecôte

 La lecture de l’évangile de ce dimanche offre à notre méditation un proverbe bien connu, selon lequel on reconnaît l’arbre à ses fruits, c’est-à-dire que l’on juge des choses à l’aune des effets qu’elles provoquent. Ainsi, Jésus affirme que les bons arbres ne portent pas de mauvais fruits, ni les mauvais arbres de bons fruits. On ne peut donner, en effet, que ce que l’on possède. Dès lors, on comprend que le bien ne peut germer qu’à partir d’une semence de bien et que le mal engendre lui aussi le mal.

Mais je dois vous avouer une chose, chers amis, c’est que, pendant longtemps, je n’ai pas compris cette parabole, car il me semblait que l’évangile introduisait une autre logique.

Dieu, en effet, se sert de tout pour faire le bien, même du mal. L’exemple archétypal, c’est celui de la Rédemption elle-même : Dieu saisit la chute de nos premiers parents comme une occasion pour nous relever ; et cette geste atteint son point culminant au calvaire, lorsque nous vîmes l’arbre infâme de la croix, propre à faire éclore la mort, se charger du fruit qui nous offre la vie éternelle : Jésus lui-même. « Heureuse faute qui nous valut un tel Rédempteur », chantons-nous chaque année lors de la Vigile pascale. La toute-puissance de Dieu provoque ce renversement admirable qui change la logique de la chute en logique de l’élévation, allant jusqu’à rendre digne de vénération l’arbre de la croix par les mérites du fruit qu’il a porté : ce fruit excellent rendant bon le mauvais arbre qui le porta.

Mais voilà que ce n’est pas le discours qui nous est offert ce dimanche : Jésus nous dit, en effet, que les bons fruits ne poussent pas sur les mauvais arbres. Et pour bien comprendre ce dont il s’agit, il faut remettre cette parole dans son contexte.

Jésus s’adresse à la foule de ses disciples, pas aux seuls apôtres, pour les mettre en garde contre les faux prophètes. Il n’est pas question ici des prophètes au sens où l’étaient Élie, Jérémie, Nathan, Isaïe, Jonas, etc., jusqu’à Jean-Baptiste, le dernier d’entre eux. Par prophètes, ici, il faut entendre tous ceux qui donnent à connaître quelque chose de Dieu, au sens où nous le sommes tous nous-mêmes, en vertu de notre baptême et de notre confirmation, sacrements qui donnent, entre autres, une vertu surnaturelle au témoignage de notre vie chrétienne dans le monde. Lorsque Jésus met en garde ses disciples contre les faux prophètes, il les met en garde contre ceux qui, se réclamant de Dieu, disent ou font percevoir des choses qui ressemblent aux choses de Dieu mais n’en sont pas. En somme, Jésus dénonce ici les hypocrites, qui affichent devant les hommes leurs prières, leurs jeûnes, leurs aumônes, leur science prétendue : tous les signes de piété possibles et imaginables, mais dont la motivation est surtout dans la recherche de l’estime des hommes et non de l’amour de Dieu. Le mot « hypocrite », qui vient du grec, désigne, de la façon la plus littérale, un acteur de théâtre qui porte un masque, c’est-à-dire qui cherche à passer pour quelqu’un qu’il n’est pas.

Quand Jésus parle des arbres et de leurs fruits, il parle des principes qui sous-tendent nos actions : les arbres sont nos principes et les fruits nos œuvres. Or, nos actions ont deux principes : notre nature et notre comportement, qui résulte principalement de notre volonté. L’hypocrisie apparaît lorsque notre comportement n’est pas conforme à ce que nous sommes.

Pour lutter contre cette tendance, que nous pouvons tous connaître à un moment ou à un autre, il faut cultiver l’amour de la vérité, de la vérité dans notre connaissance, évidemment, mais aussi de la vérité dans nos actes, et c’est ce qu’on appelle la vertu de véracité : la disposition à nous comporter conformément à ce que nous sommes. C’est de cela que Jésus parlait à la samaritaine lorsqu’il appelait les hommes à l’adorer en esprit et en vérité, c’est-à-dire en actes vrais.

Lorsque Jésus nous dit que les mauvais arbres ne portent pas de bons fruits, il nous explique qu’une volonté biaisée, une intention qui n’est pas pure, ne peut parvenir à poser des actes vraiment bons, quand bien même ils en auraient l’apparence : celui qui se vante du temps qu’il passe en prière ou de la multitude de gens à qui il annonce le Christ, par exemple, ne peut porter de fruit selon Dieu. Et le fruit de Dieu, c’est la grâce. Il est important, en effet, de se souvenir que, dans cet ordre de choses, c’est toujours Dieu qui agit ; il ne fait rien sans nous : la plupart du temps, la grâce est efficiente et non suffisante, en effet ; mais c’est bien Dieu qui agit à travers nous.

Le salut n’est donc pas donné par nos œuvres, il faut toujours s’en souvenir contre la tentation de l’activisme. Et c’est normal, sans quoi nous pourrions mériter la grâce ; or, elle est toujours un don gratuit de Dieu. Le salut, dit Jésus, sera offert à « celui qui aura fait la volonté de [s]on Père qui est dans les cieux ». Or, la volonté de Dieu, c’est que nous soyons saints, comme lui est saint, c’est-à-dire tout à fait séparés de ce qui n’est pas lui. La volonté de Dieu, c’est que nous renoncions absolument au péché : voici l’arbre qu’il faut couper et brûler. Le fruit du péché, en effet, c’est la mort, dit saint Paul.

Au moment de participer à l’Eucharistie, au sacrement dans lequel Dieu demeure vraiment, et vraiment caché, demandons-lui cette grâce de savoir vivre en vérité.

Amen.