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Homélie pour la solennité de la Fête-Dieu : c'est notre fête !

 Bonne fête ! Bonne fête ? Oui, ce jour est bel et bien une fête et, en pareilles circonstances, il convient de se souhaiter une bonne fête. Mais on souhaite notamment une bonne fête aux gens au jour où l’Église honore leur saint patron. Or, aujourd’hui, l’Église honore le mystère de la présence du Christ, vrai Dieu et vrai homme, dans les saintes espèces eucharistiques. Est-il alors vraiment convenable de nous souhaiter mutuellement une bonne fête ? Ne devrions-nous pas plutôt réserver à Dieu lui-même tous nos vœux et nos actions de grâce ?

Le mystère eucharistique est au cœur de chaque messe : dans chaque messe, tous les jours de l’année, nous célébrons la présence de Dieu parmi nous, tandis que la solennité du Jeudi-saint vient en commémorer l’institution. Mais au XIIe siècle et au début du XIIIe, on vint à nier la réalité de la transsubstantiation, réduisant l’eucharistie à un symbole, à une image de la présence de Dieu au milieu de son peuple, rassemblé pour partager un repas sur le modèle du dernier repas du Christ. Il parut donc nécessaire à l’Église de réaffirmer solennellement ce qu’est la réalité du mystère eucharistique et, en 1264, le pape Urbain IV institua la fête du Corps du Seigneur, le premier jeudi après la Trinité, fête qui est solennisée de nos jours le dimanche suivant, dans la plupart des pays.

Ce sont les texte composés ou choisis par saint Thomas d’Aquin qui furent choisis pour composer la messe et l’office de cette fête, et je voudrais attirer votre attention sur les paroles de la séquence que nous avons chantée juste avant l’évangile : « voici le Pain des Anges fait aliment des voyageurs : c’est vraiment le pain des enfants ».

Le pain eucharistique est le pain des anges car ce qui fait la joie de la société des bienheureux dans le ciel, c’est la vision de Dieu. On peut donc dire que les anges se repaissent de la vision de Dieu au ciel, comme un affamé peut se repaître sur terre du pain qui vient le rassasier. La vision de Dieu comble tous nos désirs, elle nous remplit de joie.

Et c’est précisément ce pain qui est donné aux hommes dans l’eucharistie, dans un but bien particulier : celui de les soutenir dans le voyage ; voici que le pain des anges est fait aliment des voyageurs. Le voyage que nous avons tous à faire, c’est celui qui nous conduit au ciel. L’eucharistie se présente ainsi comme ce qui vient nous soutenir dans cette course, comme un piquenique lors d’une randonnée, qui nous fait nous arrêter quelques instants, mais pour mieux repartir. De même, l’eucharistie nous arrête dans l’adoration mais pour mieux nous faire nous remettre en route, fortifiés par les forces qu’elle a restaurées, affermies et même augmentées.

Voilà pourquoi elle est vraiment le pain des enfants, c’est-à-dire la nourriture de ceux qui sont appelés à croître. L’eucharistie nous fait croître dans la foi, l’espérance et la charité ; elle est même la condition de notre croissance, comme l’est une alimentation saine chez un enfant ou un adolescent.

Méditer sur ce sujet, c’est méditer sur toute la doctrine sacramentelle. Les sacrements ne sont pas une fin en soi, ils sont des moyens, des moyens d’obtenir, fortifier ou recouvrer la grâce, c’est-à-dire la présence de Dieu en nous, en vue de la vie éternelle. Dès lors, on comprend qu’il ne faut pas différer leur réception ; tandis que nous venons de baptiser et donner la première communion à plusieurs jeunes de nos œuvres paroissiales : patronage, école et collège, il apparaît que les sacrements sont toujours des dons gratuits de Dieu, que l’on ne saurait jamais mériter, bien qu’il faille s’y préparer.

On pense souvent, en effet, que la réception des sacrements doit être l’aboutissement d’une longue préparation qui en ferait comprendre tous les tenants et aboutissants. En réalité, on ne comprendra jamais tout ce qu’il y a à comprendre à leur sujet car ils nous introduisent dans le mystère de Dieu, de qui il y aura toujours quelque chose à découvrir. Penser que l’on peut être prêt à recevoir un sacrement, c’est penser quelque part qu’on le mérite. Or, la grâce est toujours un don gratuit, elle est toujours imméritée. Simplement, Dieu la donne à qui la demande, car il l’a promis et il est fidèle à ses promesses.

La préparation à la réception des sacrements n’est donc pas une affaire de faculté acquise, mais plutôt de disposition du cœur dans l’humilité. C’est pourquoi il ne faut pas repousser leur réception au motif que l’on n’est pas prêt : on ne pourra de toutes façons avoir vraiment conscience du don qui nous est fait à travers eux que dans la vision béatifique de l’éternité. Au contraire, il faut comprendre que nous sommes en chemin vers cette éternité bienheureuse, et que les sacrements sont là pour nous y conduire car c’est pour cela qu’ils ont été institués par Dieu. Le baptême nous met sur la route, l’eucharistie nous donne la force de la parcourir, la confirmation nous permet de nous y orienter, la réconciliation nous y ramène si nous nous sommes égarés. La préparation à la réception de ces sacrements ne consiste pas à envisager ce que nous allons faire de notre vie avec eux mais plutôt à comprendre que c’est Dieu qui va agir dans notre vie à travers eux.

Ce sont ces mêmes dispositions qui doivent nous animer au moment de nous approcher de la sainte table. Tandis que nous célébrons la réalité de la présence de Dieu dans l’admirable sacrement de l’autel, nous devons aussi nous réjouir de l’admirable action de Dieu en nous par notre vie sacramentelle. C’est ainsi que la Fête-Dieu, la fête de Dieu, se trouve aussi être la fête des hommes en chemin vers Dieu, notre fête.

Alors, bonne fête !

Amen.