Dans la collecte de cette messe, nous avons demandé à Dieu la grâce de faire que nos cœurs demeurent là où se trouvent les joies véritables, et, dimanche dernier, nous avions remarqué que les vraies joies sont dans la considération des choses du ciel, auxquelles nous participons ici-bas par le moyen des signes sensibles que Jésus a institués pour que nous ayons la grâce, c’est-à-dire les sacrements.
Le fait, toutefois, d’être privé ici-bas de la présence sensible du Christ, est, en effet, un motif de tristesse. Dimanche dernier, nous avons déjà lu le récit de l’annonce aux apôtres du départ de Jésus, et il en est encore question aujourd’hui : « parce que je vous ai dit ces choses, la tristesse a empli votre cœur ». La grande tristesse du temps pascal, paradoxalement caractérisé par la joie, c’est la perspective de l’Ascension et de la disparition à nos yeux du Sauveur dans les nuées du ciel, et c’est pourquoi nous répétons inlassablement aux vêpres ce verset : « Mane nobíscum, Dómine, quóniam advesperáscit – Restez avec nous, Seigneur, car le soir approche » ; supplication qui a quelque chose de tragique du fait que nous savons que l’Ascension est inéluctable.
Comment, en effet, ne pas s’attrister du fait que notre Seigneur ne se manifeste pas au monde, alors qu’il a d’ores et déjà vaincu le péché et la mort ? Tandis que nous avons commencé à méditer sur ce point dimanche dernier, Jésus nous apporte aujourd’hui un élément de réponse supplémentaire : « il est utile que je m’en aille » ; le fait que Jésus soit monté au ciel n’était pas seulement utile à sa propre gloire et, pour nous, un mal nécessaire à supporter, mais c’était encore une chose bonne et utile pour nous-mêmes. « Si je m’en vais – dit en effet Jésus – je vous enverrai le Paraclet, qui convaincra le monde ». Ce langage est éminemment juridique.
Le Paraclet, c’est l’Esprit saint décrit non dans ce qu’il est substantiellement, mais dans une de ses fonctions. Ce mot, quelque peu mystérieux, a en réalité un sens très précis : il est tiré du verbe grec « καλέω », qui signifie « appeler, demander, convier », auquel est ajouté l’adverbe « παρά » qui signifie « auprès de ». Le paraclet, c’est celui que nous appelons auprès de nous. Ce mot grec a un équivalent latin exact formé du verbe « voco » avec le préfix « ad » : celui qui est ad-vocatus, c’est celui à qui nous faisons appel ; c’est de là que vient le mot « avocat », pour désigner celui que nous appelons auprès de nous pour nous représenter, nous conseiller et nous défendre dans un procès.
Le Paraclet, en effet, est appelé pour convaincre le monde. « Convaincre » est, là encore, à prendre dans un sens juridique : il ne s’agit pas juste de convaincre au sens de donner des arguments en faveur de la thèse que l’on défend, mais surtout d’entériner une condamnation, comme lorsqu’on dit qu’une personne a été convaincue du crime dont elle était accusée.
Nous vivons souvent, en effet, selon les inclinations de notre nature blessée, et agissons au rythme de notre sensibilité ou de notre orgueil, ignorant, volontairement ou non, que nos actes ne sont parfois pas conformes à ce que Dieu attend de nous, à l’ordre qu’il a voulu pour notre bien, par amour pour nous, ordre qu’il a inscrit dans la nature et révélé par ses prophètes et, ultimement, par le Christ. Alors le caractère de péché de telles actions doit être manifesté à ceux qui n’ont pas cru en Jésus, et même à ceux qui ont cru en lui mais ne se sont pas convertis. Voilà de quoi le monde doit être convaincu en ce qui concerne le péché.
L’entrée de Jésus dans le ciel vient, une fois de plus, attester la véracité de sa parole, lui qui avait été traité de menteur par ses détracteurs. Le monde, ainsi, doit être convaincu en ce qui concerne la justice, de même en ce qui concerne le jugement : l’innocence du condamné à la croix ayant été manifestée, c’est la culpabilité des juges iniques et des accusateurs pervers qui éclate au grand jour.
Or, la défense de l’innocence et la conviction du coupable, c’est le travail de l’avocat. Voilà pourquoi l’Esprit saint, par la plume de saint Jacques nous dit d’être « prompt à écouter, lent à parler » ; c’est le conseil que pourrait donner un avocat : « répondez le nécessaire, mais dites-en le moins possible ».
Celui qui parle trop risque, en effet, d’être confondu. Dire le nécessaire, c’est proclamer la foi, et ce qui est attendu d’un chrétien. Vouloir en dire davantage, c’est avancer quelque chose qui vient de nous, c’est se prendre soi-même comme exemple, mais cela ne peut mener qu’à notre perte, car nous sommes tous pécheurs. Sachons donc parler, mais parler de ce que nous avons reçu du Christ et de ce qu’il a fait à nos âmes, pas de ce que nous faisons de nous-mêmes pour lui, car étaler cela au grand jour procède de l’amour-propre, qui mène à la colère et qui n’accomplit pas la justice de Dieu.
La justice, c’est la disposition à vouloir rendre à chacun ce à quoi il a droit. Si nous nous comportons en gens du monde, la justice de Dieu nous rendra selon nos œuvres et nous convaincra avec le monde. Si nous nous comportons en gens qui sont, certes, dans le monde, mais dont l’espérance est dans les cieux, alors nous aurons part aux choses de Dieu au jour du jugement.
L’Esprit qui nous est promis et qui nous a déjà été envoyé vient donc pour convaincre le monde, mais aussi nous apprendre à nous en détourner : il est l’Esprit qui nous enseigne toute vérité, et, en cela, il accomplit la justice de Dieu, puisqu’il nous offre ce qui nous a été promis : le salut de nos âmes et les moyens d’y parvenir. La présence corporelle de Jésus parmi nous aurait en effet de quoi consoler notre sensibilité, mais ce sont nos âmes que nous avons à sauver ; c’est pourquoi il convient que le secours que nous recevons de Dieu pour cela soit de nature spirituelle.
En s’élevant vers le ciel, Jésus ne nous abandonne donc pas ; au contraire : il nous attire à lui et à sa suite vers le ciel, par l’action de l’Esprit saint. La sanctification, c’est-à-dire la séparation d’avec le péché et le progrès dans la vie de la grâce, est un des actes propres que l’on attribue, en effet, à l’Esprit saint. La docilité à ses inspirations, lui qui nous apprend tout, se révèle donc être un signe de la présence de Dieu en nos âmes. Il s’agit donc, pour nous, de persévérer dans cette voie par l’amour des commandements et le désir de l’accomplissement des promesses du Christ, c’est justement ce que nous avons demandé dans la collecte.
La glorification de Jésus doit donc nous réjouir, car elle est pour nous le gage d’avoir un intercesseur auprès du Père et un auxiliaire ici-bas qui nous guide vers lui dans la vérité.
Amen.