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Homélie pour la solennité de sainte Jeanne d'Arc

 En ce dimanche où nous solennisons la fête de sainte Jeanne d’Arc, patronne secondaire de la France, la sainte liturgie nous propose de méditer quelque peu sur la sagesse, car c’est, en effet, du livre de la Sagesse de Salomon qu’est tirée la première lecture.

Nous concevons habituellement la sagesse comme l’un des privilèges de la vieillesse, comme l’ornement et la gloire de ceux à qui une vie bien remplie a ôté la vivacité du corps mais, en retour, a comblé l’esprit. C’est là que le texte biblique a de quoi nous étonner, car il y est écrit que la sagesse rend les jeunes honorables devant les anciens. Et l’étonnement est une bonne chose ; c’est le signe d’une saine activité de l’esprit qui fait l’expérience de la remise en cause de ce qu’il croyait connaître ; c’est pourquoi Aristote le place à la racine de toute la philosophie. Oui il est étonnant d’entendre affirmer que la sagesse puisse non seulement se rencontrer chez des jeunes que la vie n’a pas encore éprouvé, mais plus encore d’entendre que leur sagesse fait l’admiration des anciens, provoque l’admiration des puissants, entraîne l’admiration des foules et suscite le silence des princes.

La sagesse désigne, en effet, une certaine connaissance des choses à la lumière des causes les plus hautes. Celui qui est sage, c’est celui qui a un certain recul ou une certaine hauteur de vue, qui arrive à voir des liens entre les choses qui échappent à la plupart des gens. Un peu comme un grand tableau que l’on ne voit bien que de loin, ou un jardin à la française dont les parterres n’apparaissent dans toute leur beauté que depuis un point de vue élevé. La sagesse est donc une vertu intellectuelle, c’est-à-dire un perfectionnement de l’intelligence acquis du fait d’une longue expérience, qui permet de juger avec davantage de sureté que ne le peuvent les autres personnes, et c’est en ce sens que nous disons que la sagesse est le propre de l’âge.

C’est ainsi que l’homme d’état expérimenté peut avoir une vision sur les affaires publiques particulièrement intéressante, et qu’il peut donner des conseils aux plus jeunes ; de même que le maître artisan guide les apprentis ou le grand-père ses petits-enfants : tous ont, dans un certain ordre de choses, acquis une telle compétence qu’ils en ont saisi les principes les plus élevés, les plus généraux, qui sont aussi les plus simples.

Mais la cause la plus élevée et la plus simple, celle dont tout dépend, c’est Dieu. Il convient donc qu’il y ait une sagesse des choses de Dieu, qui permette de tout voir comme par le regard de Dieu. Or, un tel regard est inaccessible aux seules forces de l’homme : la raison humaine, en effet, est capable de connaître certaines choses de Dieu, mais pas toutes, c’est une des raisons pour lesquelles la révélation était nécessaire.

En plus de la sagesse qui procède de l’acquisition des connaissances, il existe donc une sagesse qui, elle procède de la foi. Et parce que cette sagesse n’est pas acquise par les propres forces de notre raison, mais se développe par la fréquentation habituelle des choses de Dieu, notamment la vie dans les sacrements, la lecture de l’Écriture sainte, la méditation, etc., on dit qu’elle est infuse, c’est-à-dire qu’elle est donnée par Dieu ; et il s’agit là de l’un des sept Dons du Saint-Esprit. Cette sagesse procède donc non seulement de la connaissance de Dieu, qu’est la foi, mais encore de l’amour que l’on a pour lui, c’est-à-dire la charité. C’est donc toute notre vie théologale, c’est-à-dire notre vie d’union à Dieu, qui est le foyer où peuvent se développer les Dons du Saint-Esprit.

Si l’Église nous donne à méditer ce passage du livre de la Sagesse en ce jour, c’est parce que la petite bergère de Lorraine a manifesté de façon particulièrement éminente ce Don de sagesse, de même que son ancrage dans sa vie théologale.

Sainte Jeanne, en effet, a manifesté une foi éclatante en se lançant envers et contre tout dans son aventure à travers la France occupée par les anglais, et elle en témoigna encore lors de son procès, lorsque les juges constatèrent qu’elle connaissait par cœur le catéchisme qu’elle avait appris de son curé pendant son enfance. Elle manifesta également une ardente charité, non seulement à l’égard du prochain, en laissant toujours à ses ennemis la possibilité de se rendre, mais encore et surtout envers Dieu, en témoigne l’importance qu’elle accordait aux sacrements : dans sa prison, à la fin de sa vie, elle réclama sans cesse à pouvoir être entendu en confession et recevoir la sainte eucharistie, et ne semblait souffrir que d’en être privée.

C’est dans une telle vie que peut, en effet, venir se déverser la sagesse de Dieu, qui permit à Jeanne de déjouer les pièges que lui tendaient ses iniques accusateurs lors de son procès : elle, si jeune encore et qui n’avait eu qu’une éducation fort sommaire, répondait avec habileté aux questions piégées des docteurs en théologie.

Nous avons demandé à Dieu, dans la collecte, de pouvoir vaincre les ruses de l’ennemi. Tandis que nous demandons cette grâce par l’intermédiaire de sainte Jeanne d’Arc, patronne secondaire de la France, nous pensons aux ennemis de notre pays, qu’ils viennent de l’intérieur ou de l’extérieur, comme c’était déjà le cas lors de la guerre de cent ans. Mais nous devons aussi penser à l’ennemi par excellence : l’ennemi de nos âmes, le diable, qui rôde en vue de nous perdre. Jeanne d’Arc est une héroïne de la patrie, de notre patrie terrestre, mais encore de notre patrie céleste, Jeanne est un modèle de vie chrétienne, un modèle de vie théologale, un modèle de vie en Dieu, qui s’est notamment manifesté par l’amour de la doctrine chrétienne et des sacrements. Alors que nous avons demandé à Dieu, dans la collecte du cinquième dimanche après Pâques, dont nous avons fait mémoire, de reconnaître ce qui est bien et de l’accomplir, c’est aussi, en ce jour, par l’intercession de sainte Jeanne d’Arc que nous faisons cette prière, afin de persévérer dans l’amour et la recherche des choses de Dieu, afin d’être tout empli de ses lumières et de sa sagesse.

Amen.