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Homélie pour le dimanche après l'Ascension

 Malgré les méditations que nous avons eues sur la nécessité de la monté au ciel de Jésus, et même sur ce qu’elle a de bon pour nous, nous ne pouvons pas nous empêcher de ressentir une certaine tristesse envers le fait que notre Seigneur se dissimule ainsi à nos yeux ; et nous voyons les apôtres se comporter, entre le jour de l’Ascension et celui de la Pentecôte, un peu comme s’ils étaient en deuil. C’est, en effet, un sentiment analogue de perte et de privation qui peut aussi nous habiter.

Mais voilà : après la disparition d’une être cher vient le moment tant attendu de la découverte du testament ! Et il y a une conception triviale de l’héritage, mais il y en a aussi une très noble. La conception triviale, c’est celle qui ne voit dans ce qui nous est laissée que l’organisation matérielle de la succession des droits de propriété. Jésus a institué les sacrements et l’Église, nous y prenons part, et ça s’arrête là. Et certains des plus proches disciples de Jésus, alors même qu’ils l’avaient vu faire des miracles, ressusciter les morts, passer lui-même par la mort et en revenir, lui demandaient encore à la veille de son ascension, si le temps était enfin venu de restaurer le royaume d’Israël, autrement dit, si Jésus allait enfin les laisser dans l’abondance des biens matériels ; c’est ce que nous avons lu jeudi. Mais une telle conception se fonde sur une approche consumériste des choses ; or, la consommation des biens les fait disparaître, et c’est pourquoi cette vision des choses ne peut que nous enfermer dans la perte et la tristesse.

Mais il y a une conception beaucoup plus haute de ce qu’est un héritage : les mots « testament » et « témoignage », en effet, ont la même racine étymologique. Celui qui fait un testament rend un témoignage, c’est ainsi que l’on parle aussi de « testament spirituel » pour désigner les dernières idées chères qu’une personne veut transmettre au monde. Le testateur « dit » quelque chose, avant de « donner » quelque chose ; bien plus : le don réalisé ne prend son sens que dans la vérité précédemment exprimée, qu’elle concerne une fierté ou un regret, un amour connu ou caché, une action de grâce ou une faute à expier. Les scènes de fictions abondent dans ce registre, mais l’histoire également, et l’histoire sainte aussi bien sûr. Et parce qu’ainsi le testament manifeste la vérité avec un caractère définitif, puisque rendue irrévocable par la disparition du testateur, il procure de la joie, une joie inamissible de fait de l’immuabilité du bien dont elle procède, qui est la vérité.

Un testament est dit authentique s’il est passé devant un notaire, qui puisse ensuite venir a-tester de la fidélité du testament aux volontés du testateur. Et c’est bien un tel testament que Jésus nous a laissé, comme nous le lisons dans l’évangile : « lorsque l’Esprit de vérité sera venu, il rendra témoignage de moi ». Le Christ qui, certes vivant, a tout de même été enlevé de ce monde, nous laisse son testament par le Saint-Esprit. Et nous avons là déjà de quoi méditer sur la rédaction des saintes Écritures, sur l’inspiration des textes de l’Ancien et du Nouveau « testament ».

Mais comme dans tout testament, Jésus accompagne son message de dons, mais des « dons spirituels », dont parle l’apôtre saint Pierre, dons aux « formes multiples ». Il y a en effet, dans l’Église, une multitude de charismes, selon un thème cher à saint Paul, qu’il développe dans la première épitre aux Corinthiens. Les charismes sont des dons spirituels, des grâces accordées par Dieu aux hommes pour la sanctification de leur prochain et l’édification de l’Église.

Ces biens ne sont donc pas donnés avant tout pour nous : ils ont une finalité extrinsèque et, par conséquent, les recevoir nous engage. C’est pourquoi saint Pierre nous exhorte à agir en « dispensateurs de la grâce de Dieu », à agir selon la parabole des intendants fidèles, qui font fructifier les biens qui leur sont confiés non pas pour eux, mais pour la gloire de leur maître.

« Vous aussi, vous me rendrez témoignage », dit Jésus. Les dons de Dieu sont toujours gratuits, on ne peut les mériter, mais ils n’en sont pas pour autant sans contrepartie. Avant d’être une exigence, c’est une preuve de la bonté de Dieu, qui ne veut pas d’une communication à sens unique, purement descendante, pour ne pas dire condescendante, entre lui et les hommes. Il veut, au contraire, une véritable relation, c’est-à-dire une réciprocité entre lui et nous.

Et c’est une relation analogue que nous pouvons déjà avoir nous-mêmes avec ceux dont nous héritons, lorsque le bien qui nous est donné n’est pas tant considéré dans sa matérialité que dans sa signification formelle. C’est ainsi que tel objet, tel meuble, tel bien immobilier, même, peut être apprécié avant tout parce qu’il évoque le souvenir d’un être disparu, et la considération de la raison pour laquelle c’est nous qui en sommes désormais bénéficiaires nous met ou nous maintient comme en relation avec lui, et nous procure de la joie.

Mais la grande différence avec les choses humaines, c’est que Jésus est vivant. Et c’est ainsi que l’on passe de la logique du testament unilatéral à la logique de l’alliance. L’alliance se situe comme un point d’équilibre entre, d’une part, une transmission à sens unique du fait de l’incommensurable grandeur de Dieu, qui place sa créature en dehors de tout rapport possible avec lui, et, d’autre part, un simple contrat procédant de l’accord des volontés entre égaux. L’alliance suppose une réciprocité, mais également une disproportion entre les parties, qui se retrouvent pourtant sur un objectif commun.

Ainsi se comprend mieux l’attente qui fut celle des apôtres entre l’Ascension du Seigneur et la Pentecôte, attente sur laquelle nous sommes invités à méditer durant les neufs jours qui séparent les deux fêtes. Le Christ monté au ciel, que nous reste-t-il de lui ? Il nous reste ce qu’il nous lègue par l’Esprit saint : les grâces dont l’Église a besoin, que nous devons mettre au service de nos frères.

Toute grâce, en effet, est donnée dans un seul but : faire grandir notre relation à Dieu, notre amour envers lui et aider notre prochain à faire de même. C’est pourquoi Jésus a plusieurs fois répété que toute la loi et tout son enseignement se résumait dans l’impératif de l’amour de Dieu et de ses frères, c’est-à-dire dans la pratique de la charité. C’est ce à quoi nous exhorte saint Pierre ce matin, c’est le testament de Jésus-Christ.

Amen.