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Homélie pour l'Ascension du Seigneur

 Alors que le temps pascal touche à sa fin, ainsi qu’en témoigne le cierge que nous venons d’éteindre, qui représentait la présence du Christ ressuscité parmi nous et nous illuminait depuis la nuit de Pâques, la fête de l’Ascension, que nous célébrons aujourd’hui, vient résumer la période de l’année liturgique qui vient de s’écouler.

Le dimanche de Pâques, en effet, nous lisions le récit de la résurrection de Jésus. Le premier dimanche qui a suivi, dimanche in albis, nous voyions Jésus paraître au milieu des disciples et reprocher à l’un d’eux – Thomas – son incrédulité. Le deuxième dimanche, le Christ nous expliquait qu’il est le Bon pasteur, qui donne sa vie pour ses brebis et, le troisième dimanche, commençait l’annonce de sa future montée au ciel ; le quatrième dimanche après Pâques, Jésus nous en consolait en nous montrant que ce départ était un bien pour nous et, enfin, dans l’évangile de dimanche dernier : le cinquième après Pâques – que nous avons lu à la fin de la messe, à la place du prologue de saint Jean, puisque nous célébrions alors la solennité de sainte Jeanne d’Arc – notre Seigneur affirmait à ses disciples que leurs prières seraient toujours écoutées et exaucées par le Père.

Le récit de saint Marc, que nous avons lu à l’instant, reprend tous ces éléments : Jésus paraît au milieu des apôtres pour les exhorter à persévérer dans la foi, il les envoie en mission, les assure de l’efficacité de leurs prières, puis il est élevé dans le ciel. Ainsi s’achève donc un grand mouvement, un mouvement ascendant dans le sillage de l’Ascension du Christ, commencé en réalité dès le Vendredi saint. Dès sa mort sur la Croix, en effet, Jésus avait plongé dans les enfers pour y chercher les âmes des justes qui l’y attendaient, et les conduire à sa suite vers le paradis, où elles attendent la résurrection finale.

Et il y a là un point à bien comprendre pour saisir la grandeur de la fête que nous célébrons. En ce saint jour, en effet, s’est réalisé une partie du salut que le Christ est venu offrir aux hommes. Les âmes des justes avaient pu rejoindre le paradis de la vision de Dieu dès le Vendredi saint, selon la parole du Christ au bon larron : « tu seras aujourd’hui avec moi au paradis » ; mais il restait encore une chose à accomplir.

C’est que, voyez-vous, nous ne sommes pas de purs esprits, de pures âmes, enfermées ici-bas dans un corps. Non, notre corps fait partie de nous, et c’est bien pour cela que la mort est une telle violence : séparée du corps, l’âme est privée de ce à quoi elle est pourtant substantiellement unie. Par la résurrection, le Christ avait témoigné de sa victoire sur la mort en réunissant ce qu’elle avait séparé : son corps et son âme ; par son Ascension, par sa montée au ciel avec son corps, Jésus donne au corps humain la place qui lui est destinée dans la gloire, un état plus grand encore que l’état d’innocence originelle. L’Ascension signifie donc la restauration mais encore l’élévation de toute l’humanité, dans toutes ses dimensions, et marque ainsi une nouvelle victoire sur l’empire du démon, du péché et de la mort.

C’est pourquoi l’Ascension compte parmi les mystères de la vie de Jésus invoqués comme motifs de notre liberté, à la fin de la litanie des saints. C’est pourquoi, surtout, le mystère de l’Ascension fait partie des trois mystères cités à la messe, avec la Passion et la Résurrection ; mystères qui sont cités deux fois.

Ils sont cités une première fois à la fin de l’offertoire, juste avant le « Orate fratres » ; le célébrant dit : « Recevez, Trinité sainte, cette offrande que nous présentons en mémoire de la Passion de la Résurrection et de l’Ascension de Jésus-Christ […] afin qu’elle soit utile à notre salut… ». La seconde mention de ces trois mystères vient au canon, dans la prière qui suit immédiatement la consécration : « en mémoire de la Passion du Christ, de sa Résurrection et de son Ascension dans la gloire des cieux, nous vous présentons, Seigneur, la victime parfaite… ».

L’Ascension s’inscrit pleinement dans la geste liturgique du Christ, dans le grand mouvement sacrificiel qu’il fit de lui-même au Père. Tout comme le grand-prêtre de l’Ancienne alliance ne pouvait entrer dans le Saint-des-saints – la partie du Temple la plus sacrée où reposait l’Arche d’alliance – qu’après s’être purifié dans le sang du sacrifice, dans un acte liturgique ne faisant qu’un avec le sacrifice, le Christ, venu accomplir la loi, entra dans le ciel – la demeure de Dieu qui est le véritable Saint-des-saints – non pas purifié – il n’en avait pas besoin – mais paré de son sacrifice ; c’est le passage de l’épître aux hébreux que nous avons lu le dimanche de la Passion et c’est pourquoi le corps glorieux de Jésus conserve les marques de son supplice. Le sacrifice, pour être achevé, doit être consommé : il doit atteindre son but ; et c’est pourquoi l’Ascension est ainsi associée au mystère pascal. Le Christ glorifié n’était plus à sa place sur Terre, il fallait nécessairement qu’il montât au ciel.

Mais quoique notre raison, cela étant dit, trouve quelque satisfaction dans ce mystère, notre sensibilité reste frustrée. Pourquoi fallait-il que notre Sauveur nous quitte ? Ne nous avait-on pas promis que Dieu serait avec nous ? C’est le sens du nom « Emmanuel », en hébreu : « Dieu avec nous ». Et voilà que Dieu semble nous abandonner.

En réalité, notre Sauveur nous emmène avec lui. En montant au ciel avec son corps, en y faisant ainsi entrer la nature humaine, il nous introduit déjà dans les demeures éternelles en nous y ménageant une place. Nous n’y sommes pas encore personnellement avec lui, mais nous y sommes invités par l’Ascension. « Recherchez les choses d’en haut, là où le Christ est assis, à la droite de Dieu – disait saint Paul aux Colossiens dans le passage de l’épître que nous lisions dans la sainte nuit de Pâques – ayez du goût pour les choses d’en haut, non pour celles qui sont sur la terre. Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu ». C’est cette grâce que nous avons demandé dans la collecte de cette messe.

Par le mystère de l’Ascension, nous sommes en Dieu. L’Ascension ne nous sépare pas de Dieu mais nous rapproche de lui. Ainsi se comprend un peu mieux encore la parole de Jésus rapportée par saint Jean, que nous lisions le quatrième dimanche après Pâques : « il est bon pour vous que je m’en aille ». S’il est si bon que le Dieu qui est avec nous s’en aille, c’est bien parce qu’il nous attire à sa suite.

Jésus se révèle vraiment être ainsi le bon pasteur : par son Incarnation, il avait en quelque sorte abandonné la multitude des anges qui chantaient sa gloire pour se lancer à la poursuite des brebis qui s’étaient perdues. Par sa Pâque, il les a délivrées ; par son Ascension, il les ramène au bercail.

Amen.