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Homélie pour le 2e dimanche après Pâques : « Charité bien ordonnée.... »

 Charité bien ordonnée commence par soi-même ! Nous connaissons tous ce proverbe et, après le carême, pendant lequel nous avons fait beaucoup d’efforts (!) pour nous occuper un peu des autres, il nous semble que nous pouvons désormais profiter de ce beau temps de Pâques pour revenir à un sujet de préoccupation beaucoup plus important et intéressant, à savoir : nous-mêmes.

Une des grâces du temps de Pâques, c’est de nous faire comprendre l’accomplissement des prophéties ; c’est pourquoi, pendant la vigile pascale, nous en lisons un certain nombre à la lumière du cierge qui représente le Christ, c’est-à-dire à la lumière du Christ ressuscité. Le Christ, revenu d’entre les morts dans la gloire, nous aide, en effet, à mieux comprendre ce qui avait été dit de lui, et même ce que lui-même avait dit de lui. C’est une de ces prophéties que l’Église nous invite à méditer ce matin.

Jésus avait aux pharisiens, en effet : « je suis le bon pasteur, je donne ma vie pour mes brebis ». Saint Pierre explique, dans le passage de l’épître que nous avons lu, que cette prophétie de Jésus s’applique de la façon la plus manifeste à sa Passion : Jésus a donné sa vie pour nous, qui sommes ses brebis et composons son peuple, son troupeau, afin que, par son sacrifice, nous parvenions à la vie éternelle. Nous qui étions des brebis errantes, vouées à la perdition, avons été ramenées au bercail par notre bon pasteur, qui a tout donné pour nous, nous a pris sur ses épaules, comme il avait porté sa croix, selon l’image bien connue.

Mais saint Pierre nous introduit aussi à une autre lecture de cette prophétie, lorsqu’il parle de Jésus comme de celui qui est insulté mais ne rend pas l’insulte, maltraité mais sans menace, il est décrit pacifique, comme un agneau. « On l’appellera pacifique – Pacificus vocabitur », c’est une des antiennes de la fête du Christ-roi. Et saint Jean-Baptiste décrivit lui aussi le Christ comme « l’Agneau de Dieu ». Dans ce sens, la parabole prophétique que le Christ fait à son sujet est retournée. Ici, c’est Jésus qui est la brebis et les pharisiens, qui étaient censés garder le peuple de Dieu sous l’Ancienne alliance, apparaissent comme de mauvais pasteurs, des mercenaires qui n’étaient là que pour se servir eux-mêmes, et ont mené la brebis innocente à la tonte et à la boucherie.

Chaque passage des Saintes écritures, en effet, a plusieurs niveaux de lecture : chaque mot parle du Christ, mais aussi du rapport que nous-mêmes avons avec le Christ, car tout a été écrit pour notre salut, ainsi que nous le disait saint Jean dans l’évangile que nous avons lu dimanche dernier. Ce rapport au Christ, il se met en place notamment par l’exemple : le Christ nous a laissé un exemple, dit saint Pierre, afin que nous suivions ses traces.

Quand Jésus se dépeint comme le bon pasteur, il ne veut pas simplement, en effet, que nous le reconnaissions ainsi mais aussi que nous l’imitions. L’exemple du bon pasteur nous apprend comment nous comporter non seulement vis-à-vis de ceux sur qui nous exerçons une autorité légitime : les prêtres envers les fidèles, les parents envers les enfants, les enseignants envers les élèves, chacun dans son ordre propre, car toute autorité légitime vient de Dieu ; mais aussi entre égaux. Il nous sera demandé compte, en effet, au jour du jugement, de chaque âme que nous avons croisée sur notre chemin.

Le bon pasteur aime ses brebis : la charité est la vertu par laquelle nous aimons Dieu plus que tout et notre prochain comme nous-mêmes ; elle correspond au commandement nouveau que Jésus nous a laissé : « aimez-vous les uns-les-autres comme je vous ai aimé ». Saint Thomas d’Aquin explique que le modèle a toujours la préséance sur la copie. D’une part, en effet, il la précède chronologiquement, mais aussi la copie souffre toujours de quelques défauts par rapport à l’original.

C’est pourquoi l’amour que Dieu a eu pour nous, qui est l’exemple de l’amour que nous devons avoir, est le plus parfait : « aimez-vous comme je vous ai aimé » ; l’amour que nous devons avoir pour le prochain peut alors sembler secondaire, puisqu’il est écrit : « aime ton prochain comme toi-même ». L’amour que nous devons avoir pour nous-mêmes passe alors avant l’amour du prochain, puisqu’il en est l’exemple ! Mais il y a, en réalité, une nuance à bien saisir.

« Le bon pasteur, en effet, donne sa vie pour ses brebis ». Qu’est-ce à dire, donner sa vie ? Il y a toujours, dans les textes sacrés, plusieurs niveaux de lecture. En parlant du Christ, cette parabole désigne bel et bien la Passion qu’il a endurée pour nous. Mais au sens moral, elle désigne ce que nous devons nous-mêmes sacrifier pour les autres brebis du Seigneur. Donner sa vie, c’est alors donner ce que nous avons de plus précieux. Or, il y a trois genres de biens que nous pouvons posséder.

Il y a les biens qui nous sont extérieurs, ce sont les richesses, tout ce qui est purement matériel. Cela, nous sommes appelés à pouvoir le sacrifier pour le bien de notre prochain : c’est l’aumône que nous devons faire les uns pour les autres ; ce n’est pas nécessairement des dons financiers importants, ça peut simplement être laisser aux autres la dernière part de gâteau !

Il y a ensuite les biens de notre corps. Là encore, Jésus n’a pas ménagé sa peine pour nous laisser l’exemple du renoncement qu’il faut avoir pour notre chair, créée, certes, pour la résurrection et la vie éternelle, mais avant cela, appelée à la mort et la pourriture. Par charité, nous pouvons donc être appelé à sacrifier notre corps par amour du prochain, par la fatigue, par l’inconfort, par le sacrifice de notre propre vie, même, comme peut le faire un pompier ou un soldat.

Enfin, il y a les biens de l’âme ; et le bien propre de notre âme, c’est Dieu lui-même. Or, rien ne saurait l’emporter sur l’amour de Dieu, puisqu’il est la cause de tout autre amour. On ne peut donc pas sacrifier l’amour de Dieu pour l’amour du prochain ; on ne peut pas préférer qui que ce soit à Dieu ; on ne peut jamais commettre de péché par amour. C’est une illusion.

Tandis que, ce dimanche, nous sommes invités à méditer sur l’imitation de Jésus-Christ – c’est d’ailleurs le titre d’un petit livre spirituel dont la lecture d’un passage de temps en temps fait toujours beaucoup de bien – et l’imitation de Jésus en tant que bon pasteur, essayons de cerner ce qui peut être, à travers nous, un obstacle à l’amitié entre Dieu et notre prochain, que ce soit par les mauvais exemples que nous pouvons parfois donner ou les petits sacrifices auxquels nous refusons de consentir.

Amen.