Tandis que nous poursuivons la montée vers la célébration du mystère pascal, Jésus nous fait monter avec lui, ce dimanche, sur la montagne du Thabor. Le texte de saint Matthieu, dont nous venons de faire la lecture, nous permet d’assister, en quelque sorte, à un évènement qui avait pourtant un caractère tout à fait privé.
Jésus, en effet, ne choisit, parmi ses disciples, pour venir avec lui, que Pierre, Jacques et Jean. Ce sont ces mêmes disciples que Jésus avait appelé à sa suite lorsqu’il était allé ressusciter la fille de Jaïre ; ce sont encore les mêmes qui étaient à ses côtés au jardin des oliviers la veille de la Passion. Pourquoi ce choix ? Quel fut le motif pour ces trois apôtres de recevoir la grâce qui leur fut donnée en ce jour où ils eurent comme un aperçu de la gloire de Dieu, c’est-à-dire de la vision perpétuelle qui fait tout le bonheur des saints du ciel pour l’éternité ?
Sous bien des aspects, voyez-vous, ces trois apôtres n’étaient pas meilleurs que les autres. Au jardin des oliviers, alors que Jésus étaient en agonie, triste à mourir, eux dormaient. Pierre est connu pour avoir renié le Christ après que celui-ci fut capturé par les soldats du Temple ; quant à Jacques et Jean, après que le Christ leur ait annoncé pour la première fois qu’il serait livré pour être crucifié, eux ne pensaient qu’aux places qui seraient les leurs dans son royaume.
Mais tous les trois se distinguent tout de même par leur grande foi, remarquable parmi les apôtres. Pierre fut le premier à proclamer que Jésus était le Christ, le Fils du Dieu vivant. Jacques a été le premier martyr – c’est-à-dire un témoin jusqu’à la mort – du collège apostolique. Quant à Jean, il fut le seul des apôtres à ne pas s’enfuir lorsque Jésus fut pris et resta avec lui jusqu’au pied de la Croix.
La foi, chers amis, consiste à adhérer à une vérité qu’on ne voit pas ; nous avons eu l’occasion d’en parler déjà dimanche dernier et le Carême, parce qu’il est un temps de privation pour nos sens, constitue un temps favorable pour progresser sur le chemin de la foi, c’est-à-dire pour scruter les mystères de Dieu à travers les petites austérités auxquelles nous consentons par amour pour lui. À ce sujet, l’évangile de la Transfiguration peut nous apprendre plusieurs choses.
La première, et peut-être une des plus fondamentales, est que la vision de la gloire de Dieu ne fut pas la cause de la foi des disciples, mais sa récompense. Si la vision était cause de la foi, d’une part, la foi ne consisterait plus à croire à une chose que l’on n’a pas vu, ce qui est pourtant le sens précis du mot ; mais surtout, cela signifierait que Dieu, qui ne se manifeste ainsi qu’à quelques hommes, serait cause de l’infidélité du plus grand nombre. Or, Dieu, qui est souverainement bon, et le bien tendant à se répandre, ne peut vouloir que le salut de tous les hommes, donc qu’ils croient en lui. La vision vient donc récompenser la foi et ne la précède pas.
Cette considération est très importante pour notre vie spirituelle, chers amis. On peut, en effet, être tentés de guetter dans notre vie des signes de Dieu, des petites preuves de son amour. Nous pouvons même parfois nous désoler de notre manque de sentiment religieux, du fait que la prière ou la messe nous ennuient. Et des signes, certes, peuvent exister ; nous pouvons voir de petits clins d’œil de la Providence dans ce qu’il nous arrive, ou ressentir des consolations intérieures. Et ces signes sont bons ! Mais ils ne sont pas nécessaires, ils viennent plutôt comme des secours à la faiblesse de notre foi.
Il ne faut donc pas attendre de sentir ou voir pour croire ; et il ne faut jamais se désoler de l’éventuelle aridité de notre vie spirituelle. C’est, au contraire, en persévérant dans le chemin obscur de la foi que nous aurons la récompense. Le carême est aussi là pour nous apprendre la persévérance dans les difficultés.
Et dans les difficultés de l’ascension vers Pâques, les dimanches se présentent comme autant de petites pauses. Quand on marche en montagne, en effet, il est bienvenu de faire des pauses pour prendre un petit goûter, faire le point sur son itinéraire ou guérir les petites blessures qu’on a pu se faire. Il en est de même dans notre marche spirituelle.
Ce qui vient refaire nos forces spirituelles, c’est l’eucharistie, le banquet sacré dans lequel c’est le Christ lui-même qui se donne à nous. La lecture et la méditation de la Parole de Dieu viennent nous aider à faire un point sur la route et nous permettre de réorienter notre chemin. C’est encore le Christ, en effet, qui nous indique la route, comme il le fit pour ses apôtres. Moïse et Élie : le législateur et le prophète de l’Ancien testament, montraient d’où venaient les disciples, et convergeaient vers le Christ en gloire.
Mais sur la route, des difficultés peuvent se présenter, et il peut nous arriver de chuter. Chuter devant les commandements, chuter devant les conseils évangéliques, chuter devant les résolutions que nous avions prises. Alors un peu comme on sort la trousse à pharmacie, il ne faut pas hésiter à recourir au sacrement de confession. Le dimanche doit être l’occasion privilégiée de faire appel à la miséricorde de Dieu, c’est aussi par ce moyen que l’on fortifie notre vie spirituelle et que l’on participe à la sanctification du jour du Seigneur, par la grâce que nous recevons alors.
Le but de tous nos efforts, en effet, c’est la grâce, que Dieu donne toujours en abondance à ceux qui la lui demandent ici-bas et qui se disposent à la recevoir, en attendant de contempler la gloire du Christ ressuscité dans l’éternité.
Amen.