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Homélie pour le 1er dimanche de la Passion : Ayons la passion du Christ !

 Nous voilà entrés dans le temps liturgique de la Passion – le changement de décor n’aura échappé à personne ! – et il peut être opportun ce matin de méditer un peu sur ce que nous désignons par ce mot de « passion » ; non pas tant quant aux évènements précis qui précédèrent la Pâque du Christ, et que nous aurons l’occasion de revivre à sa suite pendant la Semaine Sainte, mais plutôt sur les raisons qui font que nous les désignons par ce mot.

Pendant longtemps, en effet, j’ai moi-même été surpris par l’emploi qui est fait du mot « passion » pour décrire le plus grand drame de l’histoire de l’humanité. Une passion, c’est normalement quelque chose qui nous rend heureux, qui nous procure de la joie, qui nous donne du plaisir. Pourquoi alors parler de « Passion » pour désigner la tristesse et la souffrance que le Christ endura jusqu’à la mort ?

En réalité, « passion » vient du latin « passio », qui désigne le fait de subir ou supporter quelque chose. Par extension, ce terme désigne une souffrance, mais aussi toute perturbation de l’ordre naturel des choses. Ce mot est lui-même tiré du mot grec πάθος, qui a le même sens et qui a aussi donné en français le mot « pathologie ».

C’est pourquoi le dictionnaire de l’Académie française définit la passion comme un mouvement violent de l’âme, une inclination violente pour quelque chose. La violence, en effet, est ce qui va à l’encontre de l’ordre de la nature. Il y a donc, dans la passion quelque chose d’excessif, une forme d’affection surabondante. Avoir une passion, c’est avoir un intérêt pour quelque chose au-delà de ce qui est communément admis.

On dit alors, dans ce cas, que l’on a ça dans le sang. Au sens figuré, avoir quelque chose dans le sang, c’est avoir à la fois une grande appétence pour cette chose, mais encore un talent certain pour l’accomplir.

Mais cette expression que nous employons dans un sens figuré, saint Paul nous explique ce dimanche qu’elle s’applique dans un sens strict au Christ. Ce que le Christ a dans le sang, en effet, c’est notre rédemption, qu’il ne désire rien tant que la répandre en abondance.

Sous l’Ancienne alliance, en effet, le Grand prêtre des juifs, devait entrer une fois par an, après avoir accompli une purification rituelle, dans le Saint-des-saints, c’est-à-dire la partie la plus sainte du temple, où était conservée l’Arche d’alliance, pour y offrir le sang des animaux sacrifiés afin que le peuple soit purifié de ses péchés. Le Christ, quand à lui, à la fois Grand prêtre et victime de la Nouvelle alliance, s’est offert une fois pour toutes sur l’autel de la Croix. Il a versé son sang pour le pardon de nos péchés, et a ainsi accompli notre rédemption une bonne fois pour toutes. C’est là le mystère que nous sommes appelés à contempler dans les jours qui viennent.

Si le Christ a notre salut dans le sang, c’est parce que c’est pour cela qu’il s’est incarné ; c’est ce que nous chantons dans le Credo : il est descendu du ciel pour nous et pour notre salut, et s’est fait homme. Le but de toute la vie de Jésus, tout ce qui l’animait, tout ce qui le motivait, c’était son amour pour nous. Aussi, nous comprenons mieux maintenant pourquoi nous parlons de la Passion pour désigner le temps liturgique qui s’ouvre ce dimanche : c’est que Dieu nous a aimé au-delà de ce que la plupart des gens peuvent admettre, il nous a aimé jusqu’au bout, jusqu’à mourir pour nous, lui, l’innocent, pour nous les pécheurs, jusqu’à ce qu’il y a de plus contraire à l’ordre des choses : que le Créateur s’offre pour ses créatures, que Dieu immortel connaisse la mort pour que des mortels aient la vie.

Les mystères de l’Incarnation et de la vie du Christ – et même les prophéties de l’Ancienne alliance, comme Jésus l’affirme dans l’évangile que nous avons lu – convergent tous vers le mystère pascal, moment suprême de l’histoire de l’humanité et point culminant de la vie terrestre de Jésus. Jésus est venu sur Terre et a vécu pour la Passion, et il en est mort. Mort par amour pour nous.

La question que nous devons donc tous nous poser, désormais, c’est que faire pour nous inscrire dans cette démarche d’amour. Tout n’a-t-il pas déjà été fait ?

Les portes du Paradis ont été ouvertes à l’humanité par la Passion du Sauveur, en effet, c’est ce qu’affirme saint Paul quand il parle de l’héritage éternel qui est promis aux chrétiens. Mais encore faut-il pour cela que nous marchions réellement à la suite du Christ, afin de pouvoir revendiquer l’héritage qu’il a acquis pour nous.

Jadis, les prêtres aspergeait le peuple avec le sang des victimes des sacrifices pour le purifier de ses péchés. Et c’est encore ce que nous sommes appelés à vivre, quoique de façon mystérieuse, dans la dispensation des sacrements. Dans les sacrements, en effet, c’est bien par l’efficacité de la Passion que nous recevons la grâce, par la vertu du sang versé et répandu pour nous. Mais nous recevons ces dons de façon cachée, quoique bien réelle. À l’heure où nous parvenons au sommet de l’année liturgique, tandis que nous nous apprêtons à faire mémoire de la clef de voute de tout le mystère de la rédemption, il est bon de nous demander quelle place nous accordons au Christ dans notre vie.

Et il n’est pas possible de répondre à cette question sans en aborder une autre : celle de la place des sacrements dans notre vie. Quelle importance accordons-nous au sang de Christ répandu pour nous depuis le prétoire de Pilate jusqu’au Golgotha ? Car le sang et l’eau vont toujours ensemble. C’est ce que constata saint Jean au Calvaire lorsqu’il fit le cœur de Jésus transpercé par la lance d’un soldat romain ; c’est encore l’un des mystères que sainte Faustine nous invite à contempler dans le récit de ses visions. L’eau, c’est l’image de la grâce ; et elle ne vient jamais sans le sang. La grâce nous est donnée par les mérites de la Passion ; il n’y a donc pas de vie spirituelle qui puisse faire l’économie d’une proximité avec le Christ souffrant, proximité qui se manifeste dans la participation à tous les sacrements, en particulier l’Eucharistie et la Pénitence.

Ayons donc à notre tour la passion du Christ !

Amen.