En ce dimanche qui clôt la semaine consacrée à la propagation de la foi, à la mission universelle de l’Église, comme on dit aujourd’hui, nous devons nous poser la question suivante : comment apporter la Bonne nouvelle au monde contemporain ?
L’actualité de ces dernières semaines, en effet, n’a pas manqué de rendre cette tâche plus ardue. Il ne faut pas nous en étonner. Au contraire : le scandale, chers amis, a toujours été l’arme des détracteurs des chrétiens car il fut l’arme des détracteurs du Christ. « En ce temps-là, en effet, les pharisiens tinrent conseil pour surprendre Jésus dans ses paroles ».
L’évangile dont nous venons d’entendre la lecture nous montre une tentative de susciter le scandale à partir de l’enseignement de Jésus. Des pharisiens, c’est-à-dire des savants religieux, demandèrent à Jésus en présence des hommes d’Hérode, chargés de percevoir l’impôt, s’il était permis de verser le tribut à César. Si Jésus avait répondu par l’affirmative, en disant que la dîme versée au Temple n’affranchit pas du devoir de payer l’impôt, alors les pharisiens l’auraient convaincu d’impiété ; s’il avait répondu par la négative, en disant que les lois romaines ne pouvaient empiéter sur les usages juifs, les soudards d’Hérode l’auraient accusé de fomenter une rébellion. Hérode, en effet, n’était pas le souverain légitime d’Israël, mais un pantin placé là par l’envahisseur romain.
Le Christ n’entre pas dans le jeu du monde, il ne dialogue pas avec ceux qui font profession de jacasser. Il reste toujours maître de son discours, en transportant la conversation au niveau qui est le sien. Il donne ainsi à ses interlocuteurs une leçon de justice, qui est, selon la définition classique « la vertu consistant en la ferme disposition de rendre à chacun son dû ». À qui appartient ce denier ? demande Jésus – À César, lui répond-on. – Alors rendez-le lui. Mais rendez aussi à Dieu ce qui lui appartient.
Or, ce qui appartient à Dieu, nous dit Saint Ambroise, c’est « notre âme qui reflète la splendeur de son visage » , ainsi qu’une pièce de monnaie, qui porte l’empreinte du visage du maître d’un pays.
Nous avons, en effet, chers amis, été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, c’est-à-dire doués d’intelligence et de volonté, maîtres de nos actions, car souverains de notre conscience. Mais cette empreinte divine dans notre âme a été souillée par le péché. Jésus nous exhorte aujourd’hui à nous convertir : à nous détourner des soucis du monde pour tourner notre regard vers le ciel. « Les chrétiens sont dans le monde mais pas du monde » ; c’est pourquoi Notre Seigneur nous enjoint de rendre à César, c’est-à-dire au monde, ce qui est à lui : laissons au monde les soucis du monde, à commencer par les vaines discussions. Alors seulement nous pourrons rendre à Dieu ce qui lui revient, c’est-à-dire la conversion de tout notre être.
Le péché, en effet, c’est la marque du prince de ce monde sur ce qui est à Dieu : sur notre âme. Et Dieu n’en veut pas. L’Église fait sienne l’exhortation de saint Paul aux philippiens : que petit à petit notre charité et notre intelligence nous fassent choisir les meilleures choses pour nous garder purs et sans reproche, pour la gloire et la louange de Dieu. Mais la conversion reste toujours un don de Dieu, qui est « l’auteur de toute piété », comme nous l’avons confessé dans la collecte de ce jour ; et ce don, il faut le demander, depuis les profondeurs dans lesquelles nous nous trouvons ; c’était l’introït de cette messe. Profondeurs de notre nature blessée par le péché. Profondeurs de l’iniquité de ce monde. Profondeurs du mystère de la Croix, qui sera toujours un objet de scandale pour le monde. Profondeur du mystère de l’amour absolu de Dieu.
Que Dieu ait fondé une Église pour la confier à des hommes pécheurs, cela dépasse ce que le monde peut accepter. Et il voit dans les scandales qui touchent l’Église comme une preuve de la fausseté de la religion catholique. « Comment pouvez-vous prêcher la morale quand on voit les agissements de vos membres ? » semble demander aujourd’hui le monde aux chrétiens. « Quel discours pouvez-vous encore tenir sur la chasteté quand on voit le comportement de certains d’entre vous ? », nous demande le monde. « Quels comptes allez-vous rendre ? À quelle justice allez-vous vous soumettre ? Où allez-vous vous cacher ? N’allez-vous pas, enfin, faire toute la lumière sur vos propres péchés ? » Voilà les attentes du monde. Faire toute la lumière. Faire son autocritique ; battre sa coulpe, publiquement. Publiquement.
Le monde déteste le secret, il veut tout voir, tout entendre, tout savoir. Rien ne doit être caché pour le monde : on expose sa vie sur les réseaux sociaux, les journalistes publient des photos volées de telle ou telle personnalité, etc.
Le monde déteste le secret car il déteste la conscience, parce qu’elle est une place forte imprenable, un espace irréductible de liberté. Préservée par son impénétrable secret, la conscience est le lieu du cœur-à-cœur avec Dieu. Elle est le lieu du dialogue avec Dieu. Elle est le lieu de la rencontre avec Dieu. Rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est avant tout garder sa conscience pure, pure du péché, comme nous y invite Saint Paul ce dimanche.
Mais « si vous observez les iniquités, Seigneur, Seigneur, qui subsistera ? » demandait-on avec le psalmiste dans l’introït. Personne n’est exempt de péché. Nous ne sommes pas chrétiens parce que nous sommes saints. Nous sommes chrétiens pour le devenir, parce que nous avons foi en Dieu qui nous sanctifie, c’est-à-dire qui nous rend comme lui. Et cette sanctification, nous la poursuivons notamment dans la réception des sacrements, particulièrement l’Eucharistie et la Confession.
Ah, la Confession. « Ne serait-il pas justement temps de remettre en cause le secret absolu de la confession ? », demande le monde. « Oh mais bien sûr, que dans les cas les plus grave. Et seulement dans le but de faire justice ! Car quoi ? Après tout, ce secret serait-il au-dessus des lois de la République ? » Voilà le monde qui tente de provoquer le scandale, en poussant les chrétiens à choisir entre Dieu et César, à choisir l’un au détriment de l’autre.
Comme s’il fallait nécessairement choisir entre être un bon chrétien et être un bon citoyen. Comme si on ne pouvait pas être les deux à la fois. Comme si les deux étaient par nature ennemis.
Comme Jésus, gardons-nous du scandale, en ne nous laissant pas imposer ces dichotomies artificielles, qui font le beurre de ceux qui jacassent, et le petit loisir de ceux qui les écoutent sans discernement. Refusons toujours d’entrer dans ces débats, qui ne sont que des pièges pour susciter le scandale.
« La paix est la tranquillité de l’ordre », nous apprend Saint Augustin. Une société en paix, c’est une société où chaque chose est en ordre, c’est-à-dire à sa place.
Notre-Seigneur nous l’a annoncé : il faut qu’il y ait des scandales, mais malheur à celui par qui le scandale arrive. Gardons-nous bien, chers amis, de mettre un doigt dans l’engrenage du scandale, car à ce jeu-là, le monde gagne toujours. Rappelons-nous un autre enseignement de Jésus, au sujet de la parabole de l’intendant infidèle : que pour les choses du monde, les fils du monde sont plus doués que les fils de lumière.
C’est aussi ça, « rendre à César » : laissons le monde jouir des choses du monde, ne prenons pas part à ses jeux. Portons notre attention sur les biens célestes. Vivons la confession, plutôt que d’en parler – le monde, de toutes façons, n’y comprend rien. Demandons-nous où nous en sommes dans notre pratique du sacrement de Pénitence. Dans notre pratique du sacrement de l’Eucharistie. Dans notre dévotion à Dieu et à la Sainte-Vierge. Dans notre fidélité aux commandements de Dieu et de l’Église. Et convertissons-nous. Alors nous rendrons à Dieu ce qui lui revient : non pas l’holocauste des condamnations que nous pourrions porter, mais un cœur contrit et une âme purifiée par sa grâce.
Répondons à la logique mondaine du dire et du paraître par la logique de l’être.
Amen.