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Homélie pour le dimanche de la Quinquagésime

 Nous venons de faire la lecture, en ce dimanche matin de la Quinquagésime, de la magnifique hymne à la charité, que saint Paul adresse aux corinthiens et où il présente la charité comme la plus importante de toutes les vertus car c’est la seule qui se peut conserver dans la vie éternelle.

Parmi les vertus, qui sont des dispositions à faire le bien, on peut établir, en effet, une hiérarchie, en fonction du bien qu’elles permettent d’atteindre. Ainsi, les vertus qui portent directement sur Dieu, bien suprême, semblent être les vertus les plus importantes : on les appelle les vertus théologales. Il y en a trois : la foi, l’espérance, et la charité.

La foi consiste à croire quelque chose que l’on ne connaît pas encore parfaitement. Les énoncés de la foi parlent, en effet, de choses que l’on n’a pas encore vu. L’énoncé typique de la foi, c’est le Credo, dans lequel nous professons croire en Dieu, croire en trois personnes qui sont un seul Dieu, croire à un jugement dernier, à la résurrection des morts, à la vie éternelle, mais tout cela, nous ne l’avons pas vu ; soit parce qu’il s’agit de choses révolues, comme la création, ou l’incarnation, soit parce que ce sont des choses qui ne sont pas encore arrivées, comme le jugement dernier et tout ce qui concerne la fin des temps, soit encore parce qu’il s’agit de choses qui sont au-delà de nos facultés de connaissance naturelles : c’est le cas du mystère de la Trinité, ou même de la sainteté de l’Église ; nous voyons, en effet, cette société qui est l’Église, mais son caractère immaculé ne saute pas forcément aux yeux, il n’est pas évident. Cependant, nous croyons à ces choses car elles nous ont été révélées par Dieu, qui ne peut ni se tromper, ni nous tromper. C’est-à-dire que nous adhérons à ces énoncés et nous professons qu’ils sont vrais malgré une certaine obscurité dans laquelle ils demeurent pour nous.

« Maintenant – dit saint Paul – nous voyons dans un miroir, d’une manière obscure, mais alors – dans l’éternité – nous verrons face à face ; aujourd’hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme je suis connu. » C’est-à-dire comme je suis connu de Dieu : nous verrons les choses comme Dieu les voit. Alors toute obscurité disparaîtra, nous verrons toute chose en vérité ; la foi, qui nous permet d’assentir aux vérités que nous ne sommes pas encore capables de connaître clairement ici-bas, s’évanouira alors. Toute prophétie, en effet, deviendra inutile car tout sera désormais réalisé, la science n’aura plus aucun sens car la vérité de Dieu illuminera nos intelligences. Voilà pourquoi la foi, si importante pour nous ici-bas, ne sera pas conservée dans la vie éternelle.

Et il en va de même pour l’espérance, qui nous fait attendre de Dieu la vie éternelle et les moyens d’y parvenir. Une fois entré dans la béatitude, chers amis, l’espérance disparaîtra car nous possèderons, précisément, ce que nous espérions jadis.

Dans l’éternité ne se conserve donc que la charité, qui nous fait aimer Dieu plus que tout et notre prochain comme nous-même, pour l’amour de Dieu. Mais cette magnifique considération, chers amis, ne doit pas nous faire oublier que nous ne sommes précisément pas encore entrés dans l’éternité.

En revanche, nous nous apprêtons à entrer en Carême cette semaine, ce qui n’est pas la même chose ! Le Carême n’est pas un temps de béatitude, certes, mais – rassurons-nous – il n’est pas non plus éternel ! Tandis que nous considérons avec terreur le mercredi qui s’approche et l’austérité qu’il annonce pour les quarante jours suivants, nous pourrions être tentés de nous demander à quoi peuvent bien servir tous ces efforts que l’on va, encore une fois, nous inviter à nous infliger.

Si, en effet, le plus important c’est l’amour, comme on l’entend souvent dire, alors pourquoi jeûner ou se priver de quoi que ce soit ? Saint Paul, d’ailleurs, semble aller dans ce sens, en disant que c’est la charité qui donne leur valeur même aux œuvres de miséricorde, comme l’aumône. Un vague sentiment d’amour ne pourrait-il donc pas suffire à rassasier notre vie spirituelle ?

Mais en sens contraire, chers amis, il y a l’exemple du Christ lui-même. « Voici que nous montons à Jérusalem – dit-il – et que va s’accomplir tout ce qui a été écrit par les prophètes sur le Fils de l’homme. En effet, il sera livré aux nations païennes, accablé de moqueries, maltraité, couvert de crachats ; après l’avoir flagellé, on le tuera et, le troisième jour, il ressuscitera ». Si l’amour suffit par lui-même, pourquoi Jésus, qui est l’amour-même, a-t-il permit qu’on lui inflige tout cela ? N’y a-t-il pas là quelque chose à comprendre ?

Pierre Reverdy disait qu’il n’y a pas d’amour, mais qu’il n’y a que des preuves d’amour. Dieu aurait, en effet, pu élire un autre moyen pour réaliser notre rédemption, mais la Passion était le plus adéquat par le fait qu’elle a démontré aux hommes de quel amour Dieu nous aime. Quel don plus excellent aurait-il pu nous faire, chers amis, que celui de sa propre vie ? Par la Passion, nous sommes appelés à saisir à quel point Dieu nous aime, mais aussi à quel point il faut l’aimer en retour.

C’est ainsi que peut se comprendre le lien qu’il y a entre la perfection de la charité, dont nous a parlé saint Paul, et les efforts que nous avons à faire, en particulier les sacrifices.

Le sacrifice est, en effet, est une privation, même symbolique, par laquelle nous reconnaissons la supériorité de celui à qui nous l’offrons. C’est l’un des actes essentiels de la religion, avec la prière et l’adoration, qui ne peut être ramené aux autres, c’est donc une composante nécessaire du lien qu’il y a entre l’homme et Dieu.

Il y a une part d’évidence dans ce fait, d’abord par l’exemple du Christ qui s’est sacrifié lui-même et a institué le sacrifice de la messe pour que nous en profitions. Mais il y a aussi une part d’obscurité en cela, une part de foi ; c’est pourquoi les disciples de Jésus eux-mêmes n’avaient pas compris cette prophétie que le Christ leur faisait au sujet de sa mort et de sa résurrection, ainsi que nous l’avons lu.

Même si la charité est la plus grande des vertus, nous sommes appelés ici-bas à les exercer toutes conjointement, notamment la foi. À l’exemple de l’aveugle qui criait vers Jésus avec foi malgré ceux qui essayaient de le faire taire, essayons de discerner ce qui, dans notre vie, nous empêche de nous tourner pleinement vers Dieu et demandons-lui avec foi de nous aider à en faire un sacrifice par amour.

Amen.