L’autre jour, à l’occasion d’un long voyage en train, j’étais assis à côté d’un jeune étudiant, qui se risqua à me poser la question, qui, semble-t-il, lui brûlait les lèvres depuis quelques heures : « excusez-moi euh…, mais euh… qui êtes-vous ? » Et vous pouvez imaginer que cette question, chers amis, est régulièrement posée à tous les clercs qui portent habituellement la soutane, dans des termes cependant parfois moins policés ; ainsi ai-je déjà entendu « et vous, qu’est-ce que vous êtes ? »
Quand nous voyons un signe, en effet, nous sommes naturellement portés à chercher à le comprendre et, par conséquent à nous poser la question de l’identité de son auteur. Bien plus : le signe fait connaître l’auteur, comme un panneau indicateur, sur la route, qui indique la direction à suivre.
L’Avent, chers amis, c’est l’attente du Christ. Et nous vous disions, la semaine dernière, que son avènement dans notre humanité avait été prédit par la longue lignée des prophètes. Or, les prophètes ne se contentaient pas de prononcer des paroles au sujet du Christ, mais donnaient encore des signes qui venaient attester de leur crédibilité. Ainsi, la date de l’incarnation du Fils de Dieu avait été annoncée, notamment par Jacob et Daniel, et les juifs de l’époque de Jésus guettaient les signes qui feraient connaître celui dont l’imminence de l’arrivée était connue.
Le passage de l’évangile dont nous venons de faire la lecture nous rapporte justement les interrogations des juifs au sujet de ces signes. Voilà qu’un homme se met à baptiser, c’est-à-dire à laver dans l’eau ses disciples, leur promettant par là la rémission de leurs péchés. On fait alors une enquête ! Et on fait venir auprès de saint Jean-Baptiste des huiles, depuis Jérusalem, afin de savoir ce qu’il est en train de se tramer dans cette petite bourgade au-delà du Jourdain.
« Qui êtes-vous ? », demande-t-on à Jean. Sous-entendu : « êtes-vous celui qui doit venir ? » Et Jean le confesse : il n’est pas le Christ. « Êtes-vous alors celui qui doit le précéder ? Êtes-vous Élie, revenu sur Terre ? – Non. – Êtes-vous le prophètes ? – Non plus. » En réalité, Jean était bien un prophète, et plus qu’un prophètes, ainsi que Jésus l’a affirmé lui-même. Mais pour ne pas en rajouter à la confusion de ses interlocuteurs, et parce que son seul objectif était de faire se tourner les regards vers le Christ, Jean préféra nier. Il ne nia cependant pas toute qualité prophétique, mais il nia qu’il était le prophète que tous attendaient en la personne du Christ.
À court d’idée, les lévites demandèrent alors à Jean quelle était son autorité pour baptiser, c’est-à-dire pour introduire ce nouveau rite, inconnu dans la religion juive. Et c’est là que Jean se révèle alors comme précurseur : « moi – dit-il – je fais ce que je fais pour vous préparer à quelque chose de plus grand ».
Le baptême administré par Jean, en effet, était un signe inefficace par lui-même à délivrer des péchés. Le baptême n’a eu ce pouvoir qu’une fois que le Christ l’a assumé. Le baptême Chrétien, en même temps qu’il procure la grâce, comme vous le savez, remet la tâche du péché originel et remet les faute personnelles, pour ceux qui le reçoivent après l’âge de raison. Toutefois, le baptême de Jean n'était pas pour autant inutile.
Jean, en effet, prêchait la pénitence. En conférant le baptême à ses disciples, il les invitait à se reconnaître pécheurs, et faisait ainsi croître en eux la contrition. Tout comme un apprenti prépare la matière qui sera travaillée par l’artisan, Jean préparait les âmes, par la pénitence et le signe de son baptême, à être formées par l’évangile du Christ.
C’est pourquoi, alors que nous attendons nous-mêmes la venue du Sauveur, l’Église nous invite à méditer pendant l’Avent sur le ministère de saint Jean-Baptiste. Rappelons-nous qu’il y a un triple avènement du Christ : un avènement dans l’histoire, qui est passé, un avènement à venir à la fin des temps et un avènement possible en permanence dans nos âmes, qu’il faut toujours préparer et susciter. C’est à la lumière de ces trois avènements qu’il faut méditer sur le message de Jean.
Ne lisons pas le récit évangélique de ce matin à la façon d’une simple histoire, comme d’une chose passée, mais plutôt comme le signe qui nous indique la route à suivre pour nous disposer à accueillir le sauveur non pas dans l’histoire – car cet évènement est révolu – mais dans nos âmes.
« Aplanissez-les chemins du Seigneur », nous dit Jean, c’est-à-dire sachons identifier et éliminer toutes les difficultés qui se mettent entre Jésus et nous ; et il peut être bon, pour cela, de songer à faire une petite retraite dans un lieu spirituel, même simplement d’une journée, afin de se bien préparer à la fête de Noël. Nous pouvons aussi simplement demander conseil aux prêtres que nous connaissons bien sur les efforts à faire pour lutter contre notre péché dominant.
Le combat spirituel a quelque chose de pénible, chers amis, et c’est normal. Le monde a été sauvé par la croix, il n’y a pas de grâce sans peine. Mais le Bon Dieu ne nous laisse pas sans secours dans cette entreprise, qui consiste à aplanir et rectifier nos chemins. Tout bon terrassier ne se met à la tâche qu’avec deux choses : ses outils et son piquenique. Nous avons, quant à nous, pour outil la confession : le sacrement de pénitence, et pour piquenique la très sainte eucharistie, qui nous donne toutes les forces dont nous avons besoin sur la route : la route de notre vie spirituelle qui conduit à la vie éternelle, et sur laquelle saint Jean nous guide pendant l’Avent.
Amen.