Accéder au contenu principal

Homélie pour le 1er dimanche de l'avent : « Il y a un temps pour tout. »

 Vous savez ce qu’on dit : il y a un temps pour tout. L’expression est bien connue. Pour bien agir, il faut donc considérer en quel temps nous sommes. Dimanche dernier, je vous disais que – c’est toujours bon de faire des révisions ! – je vous disais, avec saint Paul, que les temps que nous vivons sont les derniers, c’est-à-dire que nous sommes dans le temps où l’Église a propagé l’évangile jusqu’aux confins de la Terre, faisant entrer l’humanité dans l’ère de la grâce.

Et alors que vient de s’achever une année liturgique, voilà qu’une nouvelle s’ouvre, et nous pourrions nous demander : mais finalement, à quoi ça sert ? À quoi ça sert de répéter tout ça encore et encore ?

Le salut promis par Dieu au genre humain dès la chute de nos premiers parents est advenu, en soi, une fois pour toutes dans la pâque du Christ : mystère de sa Passion et de sa Résurrection. Qu’y a-t-il d’autre à dire ou à espérer de plus ? Oui mais ce salut déjà réalisé n’est pourtant pas encore advenu pour nous, personnellement. Le salut est pleinement épanoui, mais il nous faut encore le cueillir pour en profiter.

Nous pourrions comparer l’Église à un organisme vivant, en ce qu’elle est animée par un souffle. Sauf que le souffle qui l’anime n’est pas celui de l’air, mais celui de l’Esprit saint. Par le cycle de ses respirations, l’Église vit et insuffle la vie à ses enfants qui, par elle, avec elle et en elle, reçoivent la grâce, c’est-à-dire quelque chose de Dieu, par le moyen de la prière. Et ce que nous avons justement de plus grand à recevoir de Dieu, c’est notre salut. C’est pourquoi, selon l’expression bien connue de Dom Guéranger : la prière est pour l’homme le plus grand des biens : elle le met en contact avec le divin.

L’année liturgique, c’est le cycle de la prière de l’Église, qui culmine dans le triduum pascal et qui donne à chacun des mystères de notre rédemption un lieu et un temps, afin qu’elle advienne dans les âmes des fidèles.

En commençant, je disais qu’il faut nous demander en quel temps nous sommes, puisqu’il y a un temps pour tout. Et ça tombe bien car : le Bon Dieu ayant su de toute éternité que nous allions nous poser précisément cette question, précisément ce matin, il nous offre précisément la réponse par les mots de saint Paul : « mes frères, vous savez en quel temps nous sommes : c’est l’heure de nous réveiller ! ». Ah.

Est-ce à dire que nous dormions ? Pourtant, avec une messe à 11 heures et quart, nous avons eu le temps, normalement, de finir la nuit… Mais saint Paul poursuit : « c’est l’heure de nous réveiller enfin du sommeil ; car maintenant le salut est plus près de nous que lorsque nous avons embrassé la foi ». C’est donc d’une torpeur spirituelle que parle saint Paul : un état de conscience réduit associé au ralentissement général de notre organisme spirituel.

Quand ils sentent baisser les températures et voient leur nourriture se raréfier, les animaux sauvages se préparent un abri pour l’hiver. Et nous pourrions être tentés de faire de même ! En voyant l’hiver arriver, nous pourrions penser que les fêtes de Noël approchent, ainsi que les vacances, les moments en famille, les bons repas, les cadeaux, le ski, etc. et finalement nous préparer à entrer dans une sorte d’hibernation bien confortable ; et nous dire que le monde est, de toutes façons, fichu, alors à quoi bon s’en soucier ? Attendons plutôt le retour du Christ devant un bon feu de cheminée.

Le Christ lui-même nous prévient : « voilà que viendra l’angoisse des nations, inquiètes au sujet de tout ce qui doit arriver ». Mais il ne nous invite pas au découragement, au contraire : « quand ces choses commenceront à arriver – dit-il – redressez-vous et relevez la tête, parce que votre délivrance approche ».

Oui la fin du monde approche, il est absolument certain que chaque jour qui passe nous conduit inexorablement à elle, mais cette certitude n’a rien à voir avec ce que nous voyons arriver autour de nous et ce n’est pas cela qui doit nous préoccuper en premier lieu. Ce qui doit nous intéresser avant tout, avant la fin du monde, c’est la fin de notre monde, c’est notre propre fin.

Les scandales, les tribulations, les épreuves en tout genre : personnelles, morales, médicales, économiques, politiques, ecclésiales (!), sont autant de signes qui nous rappellent que la béatitude n’est pas pour ce monde, et qu’il faut pour le moment porter le fardeau du péché. Cela nous rappelle aussi que tout ici-bas a une fin, mais une fin qui n’est pas seulement temporelle : une fin qui est aussi une finalité, une raison d’être ; et ce but vers quoi tout converge, c’est le Christ, qui attire tout à lui.

Oui, c’est bientôt la fin ! Mais ne laissons pas l’hiver s’installer dans notre âme : les drames que nous pouvons vivre sont autant de bourgeons qui annoncent le printemps. Il n’est donc pas temps de chausser nos pantoufles, chers amis, et nous installer au coin du feu, mais plutôt de redoubler d’effort pour cultiver la terre de notre âme, sinon qu’aurons-nous à offrir au moissonneur quand il viendra ? Le fait que tout semble devoir se finir nous invite donc plutôt à tout recommencer, et à recommencer par le début : le mystère de la grande attente de l’avènement du Sauveur dans notre chair. Et c’est précisément du mot « avènement » – « ad-ventus » : ce qui doit venir – qu’est issu le mot « avent ».

Nous sommes en chemin, sujets à une progression. En nous faisant commémorer, années après années, les évènements majeurs de l’histoire de notre rédemption, l’Église n’entend pas seulement les faire davantage pénétrer en nous comme on applique une couche supplémentaire de peinture, mais encore nous apprendre à marcher à la suite du Christ, qui est à la fois le chemin, la vérité et la vie. C’est justement parce que le salut nous est offert par le Christ, seulement par lui, et que tout est accompli, qu’il n’y a pas d’autre voie de salvation. Par conséquent, il n’y a pas d’autre chemin à parcourir que celui sur lequel nous sommes conduits par l’Église, encore et encore, à la suite de Jésus, jusqu’à parvenir enfin un jour, avec sa grâce, au terme de la route : notre propre pâque qui nous fera transiter par la mort de ce monde, dans lequel tout fini, jusqu’à l’aube du dimanche éternel, irradiant d’une lumière sans déclin.

Amen.