Les textes de la messe de ce dimanche nous offrent une méditation sur la pauvreté véritable et le lien qu’il y a entre cette pauvreté et l’humilité. Et pour nous l’expliquer, Jésus, comme à son habitude, utilise une parabole qui nous fait voir côte à côte deux attitudes, incarnées dans deux personnes : un pharisien et un publicain.
Le publicain, comme l’évangile nous l’explique, c’est un collecteur d’impôt. Il ne s’agissait cependant pas d’un simple fonctionnaire, mais plutôt d’une personne privée, chargée, par contrat avec l’occupant romain, du recouvrement des impôts, sur lesquels elle pouvait prélever ses propres revenus ; un peu comme les fermiers généraux de l’Ancien régime, en France. Autant dire que c’était des gens universellement méprisés, à la fois à cause de leur métier, comme de leurs accointances avec l’envahisseur étranger. Ils passaient donc généralement pour des pécheurs et, en fréquentant plusieurs d’entre eux, comme par exemple Matthieu, qui devint apôtre et évangéliste, ou encore Zachée, dont nous lirons l’histoire dimanche prochain, Jésus choquait ses contemporains qui revendiquaient une certaine pureté morale : « moi, je ne suis pas comme eux, je vaux bien mieux », disaient-ils. Et l’archétype de ces moralisateurs de façade, ce sont les pharisiens.
Les pharisiens constituaient une caste juive qui se glorifiait de l’observance scrupuleuse de la loi de Moïse, et même renchérissait dessus ; nous en avons encore un exemple dans l’évangile de ce dimanche : « je jeûne deux fois par semaine – dit le pharisien – et je verse le dixième de tout ce que je gagne », sous-entendu : « je le verse au Temple, ou bien en aumônes ». Et ces œuvres, certes, sont bonnes ! C’est pourquoi les pharisiens paraissaient, aux yeux des juifs de l’antiquité, comme des modèles de vertu.
Mais Jésus voit nos cœurs en vérité, tandis que les hommes n’en voient que les manifestations extérieures. Les hommes voient seulement les bonnes actions du pharisien et les péchés du publicain ; Jésus voit aussi l’orgueil du premier et l’humilité du second.
Or l’orgueil, chers amis, est cette dépravation par laquelle nous croyons être la source du bien qui est en nous. Ce n’est pas que nous nous trompions sur ce qui est bien, du moins au début ; les qualités dont nous tirons orgueil peuvent être bien réelles. Mais le vice de l’orgueil consiste à s’en croire le seul principe, alors que l’humilité nous fait attribuer l’origine de nos réussites à quelque chose qui est hors de nous ; c’est ainsi que celui qui est humble peut reconnaître l’œuvre de Dieu à travers lui. L’orgueil nous fait tout rapporter à nous, alors que la source de tout bien est en Dieu. L’orgueil détourne notre regard de Dieu, et, par la suite, nous fait négliger de nous en remettre à lui ; il devient donc ainsi la cause de nombreux autres péchés, notamment le découragement et le désespoir qui surviennent lorsque celui qui ne compte que sur ses propres forces se retrouve face à un obstacle qu’il ne peut pas franchir.
C’est pourquoi les bonnes actions du pharisien ne peuvent le justifier aux yeux de Dieu, précisément car l’orgueil lui fait les voir comme ses œuvres propres qu’il vient déposer devant Dieu, comme un cadeau superbe, alors qu’il devrait les envisager comme un motif d’action de grâce envers Dieu, à qui ces œuvres appartiennent déjà comme des effets à leur cause.
« Le Seigneur est un juge qui se montre impartial envers les personnes », dit le passage de l’Ecclésiastique que nous avons lu. Il ne méprise ni le pauvre, ni l’opprimé, ni l’orphelin, ni la veuve. Ce n’est donc pas la grandeur de ce qu’on dépose devant lui qui attire sa bienveillance, mais l’humilité avec laquelle on vient devant lui. La raison en est que l’orgueil, qui est l’exaltation de soi, ne laisse aucune place à Dieu ; l’humilité, au contraire, place Dieu à la fois à la source et au but de toute notre existence. C’est « celui dont le service est agréable à Dieu [qui] sera bien accueilli », c’est-à-dire celui qui a le cœur brisé et l’esprit abattu, comme nous l’avons chanté dans le psaume. Ainsi le geste extérieur du publicain, qui se frappait la poitrine, comme pour se briser le cœur – tout comme nous sommes invités à le faire en confessant que nous sommes pécheurs au début de chaque messe – hé bien ce geste s’accompagnait d’un acte intérieur d’humilité, qui, en reconnaissant que rien de ce qui vient de lui n’est digne de Dieu, rendait son âme disponible ; disponible à la miséricorde de Dieu.
La pauvreté dont parlent les textes de ce jour n’est donc pas une indigence matérielle, chers amis, mais consiste à se reconnaitre pécheurs et privés de tout motif de salut sans la grâce de Dieu. Pas de châtiment pour qui trouve en Dieu son refuge, et non dans les biens de ce monde, même bons ; c’est ce qu’avait bien compris saint Paul, quand il écrivait à Timothée que tous ses efforts dans la prédication de l’évangile n’auraient put être accomplis sans le Seigneur, qui l’a assisté et l’a rempli de force.
Contrairement au publicain, saint Paul a pratiqué les bonnes œuvres et ne s’est pas enrichi par injustice, et il le revendique, comme le pharisien : « j’ai mené le bon combat, j’ai gardé la foi ». Mais contrairement au pharisien, cette fois, saint Paul comprend que Dieu a été la seule vraie source du bien qui est advenu par lui, que le Seigneur, qui l’a arraché à la gueule du lion et l’arrachera encore, le soutient encore à ce jour, et que c’est à lui que revient, en action de grâce, l’offrande de sa propre vie.
Alors, chers amis, sachons, nous aussi, bénir le Seigneur en tout temps : dans la prospérité comme dans la pauvreté, dans la félicité comme dans l’adversité. Si nous nous glorifions, si nous devons nous mettre en avant, que ce soit par le Seigneur, avec lui, en lui, afin qu’il entende toujours quand nous l’appelons. Ainsi, nous serons déjà offerts en sacrifice de louange, et, après avoir achevé notre course terrestre, nous serons rendus dignes d’être introduits dans le royaume céleste, où nous rendrons enfin gloire à Dieu pour les siècles des siècles.
Amen.