Dans un village du centre-Var, dans lequel j’ai habité quelques temps, il y avait, sur la place centrale, une vieille maison typique des milieux ruraux, comme on en voit tant en Provence ou dans mon Dauphiné natal. Cette maison avait, sur le côté, une grande porte cochère au bois noirci et écaillé par le soleil et la pluie, et aux charnières rouillées par le temps, qui ouvrait sur ce qui avait certainement autrefois été une grange ou un atelier, et qui n’était plus qu’un grand débarras. Et chaque jour, réglé comme une horloge, l’occupant des lieux : un des doyens du village, passait avec une chaise par la grande porte entrebâillée, installait cette chaise à l’ombre du mur, s’assaillait et restait là sans rien faire d’autre que saluer les gens qui venaient à passer, jusqu’au déjeuner. Il reprenait son activité après la sieste, jusqu’au soir. Et il recommençait ainsi chaque jour.
Notre ami créait ainsi l’occasion de la rencontre, sans pour autant pouvoir créer la rencontre elle-même ; faute de ne plus être suffisamment alerte pour pouvoir se porter seul vers les autres, il guettait leur passage.
L’évangile que nous venons d’entendre parle d’un guet similaire. Il ne s’agissait pas, toutefois, pour la Vierge Marie, de susciter des rencontres mondaines, mais de veiller aux choses de Dieu, en cherchant à susciter la rencontre avec ses mystères.
Un mystère, chers amis, c’est une vérité révélée par Dieu et proposée à notre croyance bien que nous ne puissions pas parfaitement la saisir par notre intelligence, à laquelle elle échappe toujours un peu, comme si le mystère était trop grand pour notre esprit.
Tandis que la Sainte Vierge se tenait en oraison chez elle, elle se mettait dans une attitude de disponibilité vis-à-vis de la rencontre avec Dieu ; ne pouvant par elle-même, comme aucun d’entre nous, s’y porter avec ses propres forces, elle suscitait pourtant l’occasion de la rencontre.
C’est cette même attitude que nous sommes invités à adopter par la récitation du rosaire. En méditant quelques instants sur les mystères de la Rédemption, à commencer par celui de l’annonce de la naissance du Sauveur, dont nous avons lu le récit à l’instant dans l’évangile, nous ouvrons notre esprit aux choses de Dieu, un peu comme si nous ouvrions notre porte au Bon Dieu et lui permettions ainsi de venir nous visiter.
En égrenant notre chapelet, en récitant les « Je vous salue, Marie », nous prenons pour modèle de contemplation la Très Sainte Vierge, en répétant les paroles qui furent celles de l’ange Gabriel au moment d’annoncer à Marie qu’elle allait être la mère de Dieu fait homme.
Dans son roman autobiographique En route, Huysmans s’inquiète du caractère répétitif de cette prière, et du fait qu’elle peut être dite sans réfléchir ; un religieux lui donne, pour le rassurer, une comparaison : « vous avez connu, lui dit-il, des pères et des mères de famille dont les enfants bredouillaient et racontaient n’importe quoi, et ils étaient cependant ravis de les entendre. Il en va de même pour Notre Seigneur et la Sainte Vierge qui sont ravis d’écouter leurs enfants, même s’ils disent n'importe quoi ! ».
Il ne s’agit pas, chers amis, de se satisfaire des faiblesses de notre esprit, mais il ne faut pas non plus s’en affliger excessivement, au point de se détourner de la prière. Il faut, au contraire, être bien convaincus que les mystères de la foi : mystères de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus, sont bien au-delà de ce que l’on peut parfaitement comprendre, et qu’il faut donc toujours se mettre dans une démarche de réceptivité vis-à-vis de Dieu qui, seul, peut nous en donner l’intelligence.
Le papy dont je vous ai parlé tout à l’heure ne pouvait, par lui-même, pas aller à la rencontre des gens ; mais il saluait probablement plus de gens dans la journée que la plupart d’entre nous. On a beaucoup méprisé, depuis quelques décennies, ces petites âmes qui s’appliquent, chaque jour, à réciter le chapelet sous prétexte qu’elles ne brilleraient pas par leur science. En réalité, la prière quotidienne du chapelet nous fait fréquenter les mystères de la foi avec plus de proximité et de régularité que toutes les œuvres de théologie.
Le rosaire est une école de contemplation, comme le rappelaient Paul VI et Jean Paul II, et je vous invite, en cette solennité du Rosaire, à lire ou relire la lettre apostolique Rosarium Virginis Mariæ de Jean Paul II.
Il faut avoir un chapelet toujours dans notre poche, et s’en servir dès que nous avons quelques minutes devant nous : en faisant la queue dans un magasin, en attendant un bus, en marchant dans la rue ou dans son jardin, etc. Vous verrez qu’il est ainsi facile de dire chaque jours les cinq dizaines qui le composent. En nous accompagnant toute la journée, le rosaire nous fait aussi voir tous les évènements de notre vie à la lumière des mystères que nous contemplons. C’est ainsi qu’il est une école de sagesse : il nous fait voir toute chose à la lumière de ce qu’il y a de plus élevé, en même temps qu’il nous rend disponibles à trouver Dieu dans notre vie quotidienne.
« Heureux qui m’écoute et veille tous les jours à ma porte », fait dire le livre des Proverbes à la sagesse de Dieu. En ce mois d’octobre, je nous invite à prendre ou reprendre la résolution de dire le chapelet tous les jours, ainsi que Notre-Dame nous y a si souvent invité lors de ses apparitions.
Veillons donc toujours, chers amis, à la porte de notre âme ; le Bon Dieu passe généralement sans prévenir.
Amen.