« À Cordoue, en Espagne, saint Raymond Nonnat, cardinal et confesseur, de l’Ordre de Notre-Dame-de-la-Merci pour la Rédemption des Captifs, illustre par la sainteté de sa vie et par ses miracles ». Ainsi s’ouvre chaque année, à la date du 31 août, le Martyrologe romain, qu’on lit encore chaque soir dans les monastères, après le souper, ou bien à l’office de prime.
L’Église, en effet, chers amis, nous invite à nous souvenir des actes des saints ; c’est le sens des fêtes qui viennent ponctuer l’année, le plus souvent au jour anniversaire de la mort de ces personnages édifiants, c’est-à-dire au jour de leur entrée au ciel. En transférant la fête de saint Raymond Nonnat, patron de notre paroisse, à ce dimanche, nous ne commettons pas une irrévérence envers Notre-Seigneur, dont c’est normalement le jour attitré : le jour du Seigneur, mais au contraire : nous signifions par là l’attachement qui est le nôtre à prendre pour exemple un homme qui plaça le Christ au centre de sa vie.
C’est aussi pourquoi on place sous la protection de tel ou tel saint ou bienheureux toutes les œuvres à caractère spirituel ; nous en avons des exemples ici avec nos œuvres de jeunesse placées sous le regard de saint Joseph ou du Bienheureux Antoine Chevrier. Et on place donc évidemment et surtout les paroisses sous la protection des saints.
La fête de saint Raymond Nonnat, sous le patronage de qui notre paroisse est placée, doit être pour nous l’occasion d’apprendre de lui une des façons qui nous est offerte d’aimer Jésus, en contemplant la façon dont l’amour de Jésus a rayonné à travers lui.
Nous avons lu dans le livre de la Sagesse « qu’heureux est l’homme qui n’a pas couru après l’or, et qui n’a pas mis son espérance dans l’argent et dans les trésors ». Vous savez ce qu’on dit : « l’argent ne fait pas le bonheur » ; et c’est facile à dire quand l’argent ne manque pas. La vie de saint Raymond a quelque chose à nous apprendre à ce sujet.
C’est que, voyez-vous, saint Raymond appartenait à un Ordre religieux un peu particulier, l’ordre de Notre-Dame-de-la-Merci ; une magnifique représentation de la Sainte-Vierge, invoquée sous ce vocable, orne la chapelle des fonds baptismaux, au fond de l’église. Cet ordre avait été fondé peu avant – nous sommes au XIIIe siècle – pour le rachat des captifs, c’est-à-dire pour délivrer les chrétiens réduits en esclavage par les pirates qui sévissaient à l’époque, et jusqu’au XIXe siècle, en Afrique du nord.
Les mercédaires – c’est le nom des membres de cet Ordre – avaient donc pour mission de collecter des fonds et partir ensuite, notamment à Alger, pour négocier la libération des prisonniers chrétiens contre une rançon. Pour les pauvres hommes ainsi libérés, on ne peut pas dire que l’argent n’a pas contribué à faire leur bonheur.
Le mépris des richesses loué par l’Écriture sainte ne réside donc pas dans le refus d’accorder de la considération aux biens de ce monde. Mais il consiste à les mettre à leur juste place, c’est-à-dire au rang des moyens, ordonnés en vue d’une fin plus haute : la pratique de la charité.
Et c’est précisément ce que saint Raymond avait bien compris, lorsqu’il alla lui-même à Alger, probablement deux fois, et ce n’était pas à l’époque une croisière de tout repos mais un voyage extrêmement périlleux. Lors de son second voyage, il n’eut pas suffisamment d’argent pour libérer tous les chrétiens prisonniers. Or, la tentation de ces prisonniers était de se convertir à l’Islam, car l’esclavage entre musulmans est interdit par la loi islamique. Par charité, c’est-à-dire par amour pour Dieu par-dessus tout, et amour du prochain en raison de l’amour de Dieu, saint Raymond se proposa de prendre leur place, en attendant que le reste de l’argent demandé soit trouvé. Puisqu’il était religieux, donc lettré, et issu de famille noble, il avait de la valeur et les esclavagistes acceptèrent.
Raymond consacra alors les huit mois que durèrent sa détention à soulager ses compagnons d’infortune et les renforcer dans la foi, avec une telle ferveur qu’au moins deux de ses geôliers se convertirent et reçurent de lui le baptême.
Mais le mépris bien compris qu’il avait eu pour les richesses et ses propres biens ne suffisait pas : Dieu permit que Raymond témoigne encore d’un mépris pour le bien de son propre corps, pour la charité.
Voyant grandir son influence, en effet, le pacha Setim lui fit percer les deux lèvres afin d’y mettre un cadenas pour que la bouche de Raymond ne puisse plus prêcher. La bouche du juste ne pouvant plus désormais proclamer la sagesse de Dieu, au moins son cœur pouvait-il encore la méditer.
Quand enfin Raymond fut libéré, il se vit offrir les honneurs du cardinalat par le pape Grégoire ; honneurs qu’il commença par décliner mais accepta finalement par obéissance, conservant cependant toujours son habit et son mode de vie religieux, comme en témoigne le fait qu’il demanda la permission d’accepter cette dignité au supérieur et fondateur de son Ordre : saint Pierre Nolasque.
Raymond n’arriva cependant jamais à Rome, il mourut d’une fièvre sur le chemin, deux jours après avoir quitté Barcelone, à l’âge de trente-six ans.
Sachons donc, chers amis, entendre Dieu nous parler à travers la vie des saints. Saint Raymond a su justement employer les biens de ce monde pour délivrer les chrétiens de leurs chaînes. Par ces quelques paroles, je voudrais nous inviter, nous aussi, à méditer sur le juste emploi des biens de ce monde, et nous faire nous poser la question de savoir si nous les mettons au service de notre libération, ou bien si, au contraire, ils ne sont pas pour nous une chaîne de plus qui nous lie au péché. Rien, dans la création, n’est mauvais ni méprisable. Ce qui donne une valeur bonne ou mauvaise aux biens qui nous entourent, c’est l’usage que nous en faisons.
Ayons donc recours dans nos prières à saint Raymond Nonnat pour apprendre à discerner le bon usage des richesses d’ici-bas et nous libérer des liens du péché.
Amen.