Quand on voit ce qu’on voit… Et qu’on entend ce qu’on entend… Vous connaissez la suite ! Oui mais encore faut-il pouvoir voir et entendre quelque chose ! Il y a des gens, en effet, qui semblent absolument sourds, qui semblent ne rien comprendre à ce qu’on leur dit : ça rentre par une oreille, ça sort par l’autre, dit-on encore familièrement. Et puisqu’ils sont incapables d’écouter, ils sont incapables de parler rationnellement, et les paroles qu’ils profèrent n’ont aucun sens. Ces gens sont un peu comme le sourd muet dont parle l’évangile ce matin ; ils semblent incapables d’employer adéquatement deux facultés humaines pourtant essentielles : l’audition et la parole.
Ces gens, nous en connaissons tous. Pour la bonne et simple raison que ces sourds, ces muets, chers amis, c’est nous.
Ou plutôt, c’est ainsi que nous serions sans la grâce de Dieu. Et c’est ce que nous risquons de redevenir chaque fois que nous avons le malheur de pécher, c’est-à-dire de nous séparer de l’amour de Dieu. Et c’est, du moins, ce que nous étions avant de recevoir le saint baptême.
Nous reconnaissons, en effet, chers amis, dans l’évangile de ce matin, un évènement que des gestes viennent rappeler et reproduire dans le rituel du baptême. Après avoir imposé la main sur la tête de l’enfant ou du catéchumène, le ministre du baptême lui touche les oreilles et les narines en disant : « “Ephpheta”, c’est-à-dire “ouvrez-vous” ». Il signifie ainsi que le futur baptisé est placé sous la protection du Christ et qu’il est désormais rendu capable de l’écouter et d’en parler.
L’humanité laissée à elle-même ne peut, en effet, se tourner convenablement vers Dieu. Il y a pourtant des vérités touchant Dieu qui sont accessibles à la raison sans l’aide de la révélation, comme le fait qu’il existe ou qu’il est unique. Mais elles ne sont vraiment atteignables que pour une petite élite intellectuelle. La plupart d’entre nous avons besoin d’être soutenus dans notre conviction, et c’est le rôle de la vertu théologale de foi qui nous est donnée au baptême.
Voilà pourquoi c’est principalement par le soutien de la grâce que nous connaissons Dieu, que nous entendons les choses de Dieu. Voilà pourquoi le rituel du baptême nous fait reproduire les gestes que fit Jésus pour guérir la surdité du pauvre homme qui lui avait été présenté. Voilà pourquoi il est une si bonne pratique de faire baptiser les petits enfants, au lieu de les laisser entrer dans la vie sans le secours des dons de Dieu, avec le vague espoir qu’ils pourront eux-mêmes faire leurs propres choix plus tard.
On objecte souvent, en effet, à la pratique du baptême des enfants, que ce serait les engager sans leur consentement. Mais il faut, d’une part, faire remarquer que c’est précisément le rôle des parents que de faire des choix pour les enfants qui ne sont pas encore capables de les faire pour eux-mêmes. Mais surtout, d’autre part, c’est se méprendre sur les effets du baptême.
Être baptisé, ce n’est pas être inscrit à un genre de club, dans lequel on se réunit le dimanche, on rencontre des gens sympas et on s’invite de temps en temps pour boire un coup. Il y a une dimension de sociabilité dans l’Église, et c’est normal, mais ce qui est premier, dans la vie du baptisé, c’est le rapport que l’on a avec Dieu, par l’Église. Quand le ministre du baptême pose la main sur la tête de la personne qu’il va baptiser, il signifie, au nom de Dieu, en tant que son ministre – c’est-à-dire son serviteur, que Dieu prend cette personne sous sa protection, et qu’il s’apprête à la reconnaître comme son enfant. Le baptême engage Dieu, d’une certaine façon, bien plus qu’il ne nous engage nous.
Quand sont touchées les oreilles du futur baptisé pour les rendre capables d’entendre Dieu, c’est Dieu qui s’engage à parler à celui qu’il s’apprête à adopter. Le baptême, loin de nous contraindre, nous libère. Il est comme un accroissement ou un développement de notre être. Il nous donne quelque chose de plus : il nous rend enfant et ami de Dieu, pas esclave. C’est le péché, au contraire, qui nous asservit. Dieu, lui, nous exalte.
Le baptême ne nous oblige pas, mais il nous invite. Il nous invite à répondre à l’amour que Dieu a eu pour nous, amour qui poussa Jésus à mourir pour nous, comme le rappelle saint Paul aux corinthiens. Le baptême appelle donc une réponse.
Le muet, c’est celui qui ne sait pas répondre quand on lui parle. C’est pourquoi, après leur avoir ouvert les oreilles, Jésus ouvre la bouche des hommes. La première réponse que nous avons à faire à l’invitation de Dieu, en effet, c’est de le remercier. C’est un peu la moindre des politesses, oserais-je dire : quand on nous invite, on dit merci ! Et ensuite, on honore l’invitation par des actes. Nous voyons Jésus, ce matin, parcourir la Décapole, c’est-à-dire, comme son nom l’indique, une région de dix cités ; qui n’est pas sans évoquer les dix commandements. Répondre à l’invitation de Dieu, après la louange et l’action de grâce, c’est aussi pratiquer les commandements et éviter le péché. Et si nous avons le malheur d’échouer, ce qui arrive même aux justes et aux saints, nous avons à demander pardon ; notre bouche sert aussi à ça.
Il faut nous servir de cette faculté, chers amis. Si nous ne savons pas utiliser notre bouche pour honorer Dieu, elle risque de se refermer. C’est ce qu’on appelle l’endurcissement, quand la banalité du péché fait que nous nous habituons au mal et ne souffrons plus de sa présence. Nos facultés de faire le bien s’affaiblissent alors et finissent par dépérir, comme des fleurs prises entre des ronces qu’aucun jardinier ne viendrait dégager.
Alors que faire dans ce cas ? Que faire des pécheurs endurcis ? Que faire de tous nos contemporains qui vivent comme si Dieu n’existait pas ? Que faire de tous ces gens qui semblent ne rien entendre ou bien tout oublier ?
Comme le sourd-muet de ce matin, chers amis, il faut tout faire pour les amener vers Jésus. Les amener physiquement, j’entends. On a beaucoup raillé les dévotions populaires ; c’est un grand tort. Les processions, les fêtes patronales, etc. même si elles peuvent avoir parfois quelque chose de folklorique, ont le très grand mérite de faire entrer physiquement dans les églises des gens qui n’y mettent autrement jamais les pieds. Or, l’église, c’est la maison de Jésus : tout le monde, d’une part, y est le bienvenu et, d’autre part, c’est là que réside réellement Jésus, dans le tabernacle. L’humanité du Christ n’est pas une mascarade, le fait qu’il se soit fait chair n’est pas une illusion. Il y avait, dans le cours de sa vie terrestre, une réalité de la proximité physique avec lui, tout comme il y a désormais une réelle vertu à la proximité physique avec l’Eucharistie, vrai corps et vrai sang du Christ. C’est pourquoi Jésus touchait ceux qui lui étaient présentés, c’est pourquoi il vient encore nous toucher, par l’intermédiaire de ses ministres, dans la célébration des sacrements. Jésus nous guérit par sa présence, par son toucher, c’est pourquoi il faut tout faire pour favoriser la proximité avec lui, pour nous rendre présent à lui le plus souvent possible.
Cette présence, chers amis, cette proximité, ce toucher, dans l’évangile de ce matin, est réalisé par la foule des fidèles, qui amènent physiquement leur compagnon près de Jésus, qu’ils sollicitent aussi par la prière. Sachons donc nous aussi présenter à Dieu les pécheurs de la même façon. Prions pour leur conversion, prions pour le salut du monde. Prions pour que leurs oreilles s’ouvrent à la parole de Dieu et pour que leur bouche annonce ses louanges. Dieu se sert de l’humanité pour venir vers nous, ne négligeons pas, nous aussi, de nous servir de tout ce qui fait notre humanité pour amener le monde à lui.
Amen.