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Homélie pour le 7e dimanche après la Pentecôte

 « Gardez-vous des faux prophètes », c’est l’avertissement que nous donne Jésus ce dimanche. Mais pour bien comprendre cette injonction, il convient d’abord de bien comprendre ce qu’est un prophète. C’est justement la question que je me suis posée en préparant cette homélie. Alors, je suis allé chercher dans le dictionnaire, et j’ai découvert que le mot « prophète » signifie étymologiquement « dire avant », ce qui est en fait plutôt logique. Le prophète, c’est donc celui qui précède et qui annonce. C’est ainsi que saint Jean-Baptiste, le dernier prophète, est aussi appelé « précurseur », c’est-à-dire « celui qui va en avant », pour annoncer la venue du Christ.

Le faux prophète, ce serait donc celui dont les mots ne correspondent à aucun évènement futur, celui dont les prédictions ne se réalisent pas, celui dont les paroles seraient en décalage avec la réalité. Le faux prophète, en ce sens, c’est donc aussi le menteur et le manipulateur : celui qui ne tient pas ses promesses. C’est aussi l’hypocrite, celui qui ne met pas ses actes en accord avec ses paroles.

Le temps après la Pentecôte figure le cours de notre sanctification sur la Terre. Dans le cycle des lectures de ces dimanches, l’Église offre donc à notre méditation les enseignements de Jésus qui nous sont utiles pour exercer notre discernement. C’est ainsi que le Christ lui-même nous enseigne ce matin comment reconnaître les faux prophètes.

Ils viennent à nous sous des vêtements de brebis, c’est-à-dire avec une couverture apparente de vertu, dans la blancheur de l’innocence. Les faux prophètes sont des séducteurs. Par leurs paroles, ils se donnent eux-mêmes en exemple, ils cherchent à plaire, ils flattent. Mais la douceur dont ils témoignent n’est qu’en surface, telle un vêtement, car leurs intentions profondes sont beaucoup moins nobles. Cependant, les intentions des uns et des autres nous sont toujours inconnues en elles-mêmes, Dieu seul connaît le fond des cœurs. C’est pourquoi ce n’est pas en fonction de leurs paroles qu’on peut reconnaître les faux prophètes. Prêcher la vertu, en effet, n’est pas un mal en soi ! Mais si, sur ce point, les fils de lumière ne se peuvent distinguer des loups déguisés en brebis, alors il faut trouver un autre critère. Et ce critère, ce sont les actes.

On définit habituellement, en effet, la vérité comme la conformité d’une parole à la réalité. C’est donc dans la conformité de nos paroles avec nos actes que nous pouvons déterminer si nous sommes dans une démarche de vérité, qui correspond à l’exercice de notre raison, ou bien dans un rapport de séduction, qui correspond à la flatterie de notre sensibilité.

Parce que oui, chers amis, les faux prophètes, ce ne sont pas forcément des personnes extérieures. Nous nous plaçons parfois nous-mêmes dans une démarche de tromperie vis-à-vis de nous, à cause de notre faiblesse, dont nous a parlé saint Paul.

Ces faux prophètes qui parlent à notre conscience, ce sont la chair, le monde et l’orgueil.

La chair nous promet le plaisir des sens, c’est elle qui nous promet que tout sera plus facile si on repousse à plus tard les tâches que nous devrions accomplir maintenant, comme faire ses devoirs ou la vaisselle. C’est elle qui nous promet que nous serons à l’heure à la messe le dimanche même si nous restons encore un peu plus longtemps au lit, car après tout, il n’est que 11 heures moins quart.

Le monde, c’est la séduction des biens extérieurs, des richesses. C’est lui qui nous assure que tout est plus facile avec de l’argent et que l’on peut donc à peu près tout sacrifier pour cela. C’est encore lui qui parle quand nous sommes si préoccupés de l’opinion qu’ont de nous les autres. 

L’orgueil, lui, c’est un peu l’astronome de la bande. C’est lui qui applique la théorie de la relativité à notre esprit, et lui fait croire que tout dépend de son propre référentiel. Et puisque les lois de la perspective sont ainsi faites que les objets paraissent plus petits au fur et à mesure qu’ils s’éloignent du point d’observation, l’orgueilleux en vient à conclure que tout ce qui est loin de lui est minuscule, et que lui seul est grand. Tout cela étant démontré rationnellement, bien entendu.

Voilà les trois murmurateurs qui susurrent continuellement à l’oreille de notre conscience. Nous connaissons leurs paroles, chers amis, nous savons à quel point elles sont suaves et à quel point nous sommes tentés de croire les promesses de ces trois séducteurs. Mais nous connaissons aussi le résultat de ces fausses promesses, nous savons qu’elles conduisent à déliquescence de la vie spirituelle, « car le fruit de ces choses, c’est la mort », c’est-à-dire le péché, c’est-à-dire le renoncement à Dieu. C’est encore ce que saint Paul nous explique ce matin.

Le discernement entre ce qui est à Dieu et ce qui ne vient pas de lui, nous l’exerçons souvent au sujet des personnes ou des choses extérieures à nous. Mais ce matin, chers amis, je voudrais nous inviter à essayer de repérer les fausses prophéties qu’il peut y avoir en chacun de nous : ces illusions qui, parfois malgré nous, nous font nous tromper sur ce qui compte réellement dans la vie. Le secret des cœurs nous est inconnu, même parfois celui de notre propre cœur, mais il est connu de Dieu. Ne nous livrons donc pas en esclave aux promesses de notre nature blessée par le péché originel, mais confions-nous à Dieu en répétant la prière de collecte de cette messe : « Dieu, dont la Providence ne se trompe jamais dans ce qu’elle dispose, écartez de nous tout ce qui est nuisible et accordez-nous tout ce qui nous est profitable ».

Et je voudrais vous faire remarquer que les termes latins utilisés dans cette prière pour désigner ce qui est bon pour nous : « omnia profutura », n’ont pas vraiment de traduction littérale possible en français. Pro – futura, c’est-à-dire pour le futur. Nous demandons à Dieu, en effet, de disposer autour de nous les biens dont nous avons besoin pour la vie future.

Dieu est fidèle. Il est bien plus qu’un prophète qui annonce quelque chose qui ne dépend pas de lui. Notre salut, en effet, dépend de Dieu en tant qu’il est à la fois notre créateur et notre rédempteur. Ce sont donc avant tout ses paroles qu’il faut écouter, animés par la vertu d’espérance qui nous procure la certitude de l’accomplissement des œuvres qu’il a promises : l’obtention de la grâce dans ce monde pour parvenir à la vie éternelle dans l’autre.

Amen.