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Homélie pour le 6e dimanche après la Pentecôte : « Qu'est-ce qu'on mange ? »

 Je sais…

Je sais ce que vous vous demandez tous.

Je sais à quoi vous pensez.

Cette la même question qui nous travaille tous, tous les dimanches, en ce même moment : « Qu’est-ce qu’on mange à midi ? » – Et il est bien légitime, chers amis, que nous nous posions cette question, car le Christ lui-même l’a fait pour nous, ainsi que nous le lisons dans l’évangile de ce dimanche : « qu’y aura-t-il à manger, demanda en effet Jésus, pour tous ces gens qui ont marché à ma suite aujourd’hui ? ».

Il ne faut pas croire, chers amis, que ce soit une question triviale, d’autant moins pour notre Rédempteur, qui non seulement se fit homme pour nous sauver, mais encore qui se fit – et qui se fait toujours – pain pour rassasier notre âme d’une façon similaire à celle dont nous nourrissons notre corps. La question de savoir de quoi nous allons nous nourrir chaque jour est donc loin d’être triviale ; mais ce qui peut être trivial, c’est la réponse que nous donnons parfois à cette question.

C’est justement pour savoir comment y bien répondre que l’Église offre à notre méditation ce dimanche le passage de l’évangile dont nous venons de faire la lecture. Nous y voyons Jésus, suivi par une foule et parmi elle, des estropiés, des muets, des aveugles, et d’autres infirmes encore. Ils suivaient Jésus dans la montagne, et lui les guérissait. Ce n’est pas saint Marc, dont nous avons lu le récit, qui nous donne ces détails, mais saint Matthieu, qui relate le même évènement.

Cela nous apprend que ce ne sont pas les meilleurs qui suivent Jésus au plus près : ce ne sont pas les plus intelligents, les plus beaux, ni les plus adroits. À travers cette foule, nous nous reconnaissons un peu nous-mêmes. Quand nous ne savons pas trop comment avancer dans la vie, quand nous nous demandons à chaque instant si ce que nous faisons est bien et que nous avons du mal à prendre confiance en nous, nous sommes un peu comme ces boiteux ou ces aveugles, dont la marche est mal assurée, ou ces muets qui ne savent pas très bien quoi dir. Comme cette foule, nous tâchons de marcher à la suite de Jésus, et lui nous entraine sur les montagnes, comme pour nous faire nous rapprocher un peu plus du ciel par tous les moyens. Et tandis que nous peinons, que haletons, que nous rechignons à avancer ou même que nous trébuchons sur le chemin, Jésus ne nous condamne pas, mais au contraire : il nous prend en pitié ; d’autant plus, dit-il que certains viennent de loin.

Et nous avons là, chers amis, une bonne image de la façon dont la grâce de Dieu intervient dans notre vie. Car tous ceux qui marchent, en effet, font l’effort de gravir la montagne à la suite du Christ. Certains sont aidés par d’autres, mais tous peinent sur le chemin et participent activement au voyage. Le Christ, quant à lui, montre la route, mais surtout, il nous donne les forces dont nous avons besoin pour la parcourir ; c’est pourquoi nous lui demanderons dans la prière d’offertoire d’affermir nos pas dans ses sentiers. Et c’est sur ce point que je voudrais particulièrement attirer votre attention ce matin.

D’où Jésus tira-t-il de quoi rassasier la multitude qui le suivait ? Il aurait pu créer des pains à partir de rien, comme Dieu avait fait jaillir le monde du néant à la création. Mais ce n’est pas ainsi qu’il procède habituellement. Jésus ne nous force jamais, il nous laisse toujours libre. Il ne se passe jamais de nous, car c’est pour nous qu’il est venu dans le monde. C’est pourquoi c’est avec nous qu’il accomplit l’œuvre de la Rédemption. Voilà pourquoi c’est le pain fait par les hommes qu’il fait distribuer, mais c’est par sa grâce que ces sept pains suffisent à rassasier une telle foule, et encore de façon surabondante, et d’une façon impossible sans une intervention divine surnaturelle. Nous ne sommes pas face à un tour de magie ou un prodige, mais face à un miracle. Il n’y a pas ici de formule incantatoire, mais la prière du Christ. Pas de chapeau haut de forme d’où tirer une surprise, mais de simples corbeilles. Pas de roulement de tambour, mais une bénédiction. Dieu ne vient pas ridiculiser la faiblesse de notre humanité, mais il l’élève et la tire à lui.

Au sens spirituel, c’est-à-dire ce que signifie l’évangile pour notre vie chrétienne, ces sept pains que Jésus utilise, ce sont nos vertus, c’est-à-dire nos dispositions à faire le bien. Elles sont, en effet, au nombre de sept. Il y a les trois vertus théologales : la foi, l’espérance et la charité, qui nous font croire en Dieu, attendre de lui tout bien et l’aimer par-dessus tout, et on les appelle « théologales » justement parce qu’elles ont Dieu pour objet. Et puis il y a les quatre vertus cardinales : la force, qui nous fait poursuivre le bien avec assiduité, la tempérance, qui nous permet de modérer nos passions, la prudence, qui nous permet de choisir les moyens en vue d’une fin, et la justice, qui nous fait mettre à toute chose sa place. Trois vertus théologales et quatre cardinales, ça fait bien sept, le compte y est ! Et de ces sept vertus fondamentales découlent toutes les autres, qui viennent ainsi comme tisser le canevas de notre vie morale.

Et Dieu ne vient pas bouleverser notre structure morale, dont il est par ailleurs l’auteur, mais comme il manifesta l’abondance de ses dons sur les sept pains, il vient faire croître notre organisme moral fondé sur sept vertus par les sept Dons du Saint-Esprit. C’est ainsi que nos dispositions à faire le bien dans l’ordre naturel se trouvent renforcées, et acquièrent encore une portée surnaturelle.

Nous lisons encore qu’il y avait des petits poissons au menu. Vous savez peut-être, chers amis, que, dans l’antiquité, le poisson était un symbole du Christ, en raison d’un jeu de mot en grec – que je vais vous épargner (je vous l’expliquerai si vous voulez) – et c’était très commode pour se reconnaître entre chrétiens pendant les persécutions. Les petits poissons, ce sont ceux qui sont à l’image du « gros poisson » : le Christ ; ce sont les saints : de « petits christs » dont les exemples viennent encore nous encourager et nous fortifier, et nourrir notre vie spirituelle.

N’ayons pas honte, chers amis, de nos pauvretés : de nos faiblesses, de nos chutes, de nos distractions, de nos imperfections ; ce sont autant d’occasions pour Dieu d’avoir pitié de nous et de venir nous toucher. Mais soyons-en conscients et tâchons de faire ce que nous pouvons avec nos forces, en demandant à Dieu de nous affermir dans la pratique des bonnes œuvres. C’est en les pratiquant que croissent les vertus, c’est-à-dire notre persévérance dans le bien, avec la grâce de Dieu qui vient les multiplier et les rendre surabondantes, comme les pains de ce matin. « Que le Christ soit [donc] notre nourriture et la foi notre breuvage », ainsi que nous le chantons le lundi dans l’hymne des laudes, composée par saint Ambroise.

Or, le Christ se donne déjà réellement à nous en nourriture dans l’Eucharistie. Voilà donc le pain qui nous nourrit vraiment, qu’il nous faut désirer par-dessus tout, et dont il faut nous rassasier. Au moment de nous approcher de la sainte table, répétons avec confiance la prière de collecte de cette messe : « Dieu des vertus, auteur de tout ce qui est bon, imprimez dans nos cœurs l’amour de votre nom afin que vous nourrissiez en nous tout ce qu’il y a de bien et le conserviez ».

Amen.